L’Encyclopédie/1re édition/DENTS
DENTS, s. m. (Anatomie.) dentes, quasi edentes, parce qu’elles servent à manger, sont les os les plus durs & les plus compacts de tous ceux du corps humain. Voyez Mastication & Squelete.
L’homme, & la plûpart des animaux, ont deux rangs de dents, l’un à la mâchoire supérieure, l’autre à la mâchoire inférieure. Voyez Gencive, & Machoire.
Dans l’homme, le nombre ordinaire des dents est de trente-deux, seize à chaque mâchoire : elles sont toutes placées dans des loges particulieres, qu’on nomme alvéoles ; elles y sont affermies par une articulation en forme de cheville, appellée gomphose. oyez Alvéole & Gomphose.
Il y a de trois sortes de dents : celles qui sont à la partie antérieure de chaque mâchoire, se nomment incisives ; elles sont larges, minces, & plates, & au nombre de quatre à chaque mâchoire. Quelques-uns les appellent dents de primeur, en latin primores, parce qu’elles paroissent les premieres : d’autres les nomment dents de lait, lactei ; & d’autres rieuses, ridentes, parce qu’elles se montrent les premieres quand on rit. Voyez Incisives.
Derriere les dents incisives de chaque côté de chaque mâchoire, il y en a deux qui sont pointues & un peu plus éminentes ; on les appelle canines, & le peuple ailleres ou dents de l’œil, parce qu’une partie du nerf qui fait mouvoir les yeux s’y distribue ; & de-là le danger de les tirer.
Derriere les canines sont les molaires, cinq de chaque côté, qui, dans l’homme, servent principalement à la mastication. Voyez Molaire & Mastication.
Les incisives n’ont ordinairement qu’une racine : les canines en ont quelquefois deux, & les molaires trois ou quatre, & quelquefois cinq, sur-tout les plus postérieures qui agissent avec le plus de force.
Les ouvertures des alvéoles ne sont pas toutes sensibles dans le fœtus ; il n’en paroît que dix ou douze à chaque mâchoire, elles ont peu de profondeur ; les cloisons qui les séparent sont très-minces : ces alvéoles se font connoître avant la sortie des dents par autant de bosses ; le bord de ces cavités est très-mince, & leur ouverture est alors fermée par la gencive qui paroît tendineuse.
A mesure que les dents font quelques progrès, la gencive devient molle & vermeille ; elle demeure dans cet état jusqu’à six ou sept mois : si après l’avoir coupée on examine ce qui est contenu dans les alvéoles, on reconnoîtra que dès les premiers tems de la formation, chaque alvéole renferme un amas de matiere visqueuse & molle, figurée à-peu-près comme une dent ; cette matiere est renfermée dans une membrane vésiculaire, tendre, poreuse, & parsemée d’un grand nombre de vaisseaux, qui se distribuent au germe pour y porter la nourriture & la matiere suffisante à l’accroissement de la dent, dans laquelle ils se distribuent ensuite. Quelques Anatomistes ont appellé cette membrane chorion. Voyez Chorion.
Cet amas de matiere molle & visqueuse s’appelle communément le noyau de la dent ; quelques-uns le nomment la coque, & d’autres le germe de la dent. Voyez Germe.
On trouve ordinairement dans chaque alvéole deux germes, & rarement trois, placés l’un sur l’autre, & séparés par une cloison membraneuse, qui paroît être une production de celle qui revêt l’alvéole. Voyez Alvéole.
Les dents, selon Peyer, sont formées de pellicules repliées, durcies, & jointes ensemble par une mucosité visqueuse. Si l’on examine les dents du cerf, du cheval, du mouton, &c. on trouvera que le sentiment de cet auteur est bien fondé.
D’autres auteurs expliquent autrement la formation des dents. Quincy observe que les alvéoles sont tapissés d’une tunique mince, sur laquelle on voit plusieurs vaisseaux par où passe une humeur épaisse & transparente, qui à mesure que l’enfant croît se durcit & prend la forme des dents ; & vers le septieme ou le huitieme mois après la naissance, les dents percent le bord de la mâchoire, déchirent le périoste & la gencive, qui étant fort sensibles, occasionnent une violente douleur & d’autres symptomes qui surviennent aux enfans dans le tems de la naissance des dents.
Les dents ne commencent pas toutes à la fois à paroître : les incisives de la mâchoire supérieure paroissent les premieres, & ensuite celles de la mâchoire inférieure, parce que les incisives sont les plus minces & les plus pointues. Après celles-là sortent les canines, parce qu’elles sont plus pointues que les molaires, mais plus épaisses que les incisives. Les molaires paroissent les dernieres de toutes, parce qu’elles sont les plus épaisses & les plus fortes.
Les dents incisives paroissent vers le septieme, le dixieme, & quelquefois le douzieme mois après la naissance : les canines, le neuvieme ou le dixieme mois ; les molaires, à la fin de la premiere ou de la seconde année.
Il tombe ordinairement dix dents de chaque mâchoire vers la quatrieme, cinquieme, sixieme année, quelquefois même plus tard ; savoir, les incisives, les canines, & les quatre petites molaires ; ce sont ces dents qu’on appelle dents de lait. Celles qui leur succedent percent ordinairement entre la septieme & la quatorzieme année.
Les auteurs ne sont pas d’accord sur les racines des dents de lait ; quelques-uns prétendent qu’elles n’en ont point ; d’autres, comme Diemmerbroek, veulent que les secondes dents soient produites par les racines des dents de lait. On s’est assûré de la fausseté de ces deux sentimens par la dissection ; car non seulement on a remarqué dans le fœtus les deux germes distinctement séparés, mais encore dans les sujets de quatre, cinq à six ans avant la chûte des dents de lait, on voit les deux dents, savoir la dent de lait & celle qui doit lui succéder, parfaitement bien formées, avec un corps & une racine.
Si l’on a vû des gens faire des dents jusqu’à trois fois, c’est qu’ils avoient dans les alvéoles trois couches de l’humeur visqueuse, ce qui n’arrive presque jamais.
Vers l’âge de vingt-un an les deux dernieres des dents molaires paroissent, & sont nommées dents de sagesse, parce qu’elles sortent lorsque l’on est à l’âge de discrétion. Voyez Sagesse.
On distingue dans chaque dent en particulier deux portions ; l’une est hors l’alvéole & appellée le corps de la dent ; elle est aussi appellée couronne, mais ce nom convient plus particulierement aux molaires ; l’autre est renfermée dans l’alvéole, & se nomme la racine de la dent. Ces deux portions sont distinguées par une espece de ligne circulaire, qu’on appelle le collet de la dent : leur situation est telle, que dans le rang supérieur les racines sont en-haut & le corps en-bas, & dans le rang inférieur la racine est en-bas & le corps en-haut.
On observe au collet de la dent quelques petites inégalités à l’endroit où s’attache la gencive, & le long des racines différens petits sillons qui rendent l’adhérence de leur périoste plus intime. Voyez Gencive & Périoste.
On observe au bout de la racine de chaque dent un trou par où passent les vaisseaux dentaires, & qui est l’orifice d’un conduit plus ou moins long, qui va en s’élargissant aboutir à une cavité située entre le corps & la racine ; cette cavité s’appelle sinus : elle est plus ou moins grande, & il paroît que l’âge n’est pas la seule cause de ces variétés ; car on la trouve grande dans de vieux sujets, & petite dans de jeunes ; petite dans des gens avancés en âge, & grande dans de jeunes gens.
Lorsque les racines ont plusieurs branches, ces branches varient beaucoup par rapport à leur direction ; tantôt elles s’approchent par leur bout en embrassant quelquefois une portion de la mâchoire & les vaisseaux dentaires : on donne alors à ces dents le nom de dents barrées ; tantôt elles se portent en-dehors, quelquefois elles se confondent ensemble, rarement avec leurs voisines.
M. de la Hire le jeune a observé que le corps de la dent est couvert d’une substance particuliere appellée émail, entierement différente de celle du reste de la dent.
Cet émail appellé périoste, coeffe, croûte par quelques autres, est composé d’une infinité de petites fibres qui s’ossifient par leurs racines, à-peu-près comme font les ongles ou les cornes. Voyez Ongle & Corne.
Cette composition se discerne facilement dans une dent cassée, où l’on apperçoit l’origine & la situation des fibres. M. de la Hire est persuadé que l’accroissement de ces fibres se fait à-peu-près comme celui des ongles. Si par quelque accident un petit morceau de cet émail vient à être cassé, ensorte que l’os reste à nud, c’est-à-dire si les racines des fibres sont emportées, l’os se cariera en cet endroit, & on perdra sa dent, n’y ayant aucun os dans le corps qui puisse souffrir l’air. Voyez Os.
Il y a à la vérité des gens, qui à force de se frotter les dents avec des dentifriques, &c. ont l’émail si usé & si endommagé, qu’on voit l’os à travers, sans que néanmoins la dent soit cariée. Mais la raison de cela est que l’os n’est pas entierement nud, & qu’il reste encore une couche mince d’émail qui le conserve ; & comme cette couche est assez mince pour être transparente, la couleur jaune de l’os se voit à-travers.
Les dents de la mâchoire supérieure reçoivent des nerfs de la seconde branche de la cinquieme paire ; celles de la mâchoire inférieure de la troisieme branche de la cinquieme paire. Voyez les articles Nerf & Machoire.
Les arteres viennent des carotides externes, & les veines vont se décharger dans les jugulaires externes. Voyez Carotide & Jugulaire.
Quoique les dents ne soient pas revêtues d’un périoste semblable à celui des autres os, elles ont cependant une membrane qui leur en tient lieu ; le périoste qui revêt les os maxillaires s’approche du bord des alvéoles, dans lesquelles il se réflechit & s’unit intimement avec la membrane qui les tapisse en-dedans, à moins que quelques fibres charnues de la gencive ne s’opposent à cette union.
Les dents ne sont point sensibles par elles-mêmes, & elles tiennent des nerfs qui s’y distribuent toute la sensibilité qu’elles paroissent avoir. Voyez Nerf.
Quelquefois une dent se casse, & l’os reste nud, sans que la personne en ressente aucune douleur. La raison de cela est que le trou de la racine de la dent par où entre un petit filet de nerf, qui rend la dent sensible, étant entierement bouché par l’âge ou par quelqu’autre cause, a comprimé le nerf & ôté toute communication entre la dent & l’origine des nerfs, & par conséquent toute sensibilité.
Les anciens, & même Riolan parmi les modernes, ont crû que les dents étoient incombustibles, & qu’elles l’étoient seules entre toutes les parties du corps ; c’est pourquoi on les plaçoit avec grand soin dans des urnes parmi les cendres des morts. Mais cette opinion est fausse, car on n’a trouvé que deux dents dans les tombeaux de Westphalie, dont il y en avoit même une à demi-calcinée. On peut d’ailleurs s’assûrer par soi-même de la fausseté de ce sentiment.
Une autre erreur populaire est que les dents croissent toûjours, même dans les vieillards, jusqu’à l’heure de la mort. M. de la Hire observe que l’émail, qui est une substance fort différente de celle des dents, est la seule partie des dents qui croît.
La figure, la disposition & l’arrangement des dents, sont admirables. Les plus antérieures sont foibles, & éloignées du centre de mouvement, comme ne servant qu’à donner la premiere préparation aux alimens ; les autres, qui sont faites pour les broyer & les hacher, sont plus grosses & placées plus près du centre de mouvement.
Galien suppose que l’ordre des dents fût renversé, & que les molaires, par exemple, fussent à la place des incisives ; & il demande de quel usage seroient alors les dents, & quelle confusion ne causeroit pas ce simple dérangement. Il conclut de-là que comme nous jugerions qu’un homme auroit de l’intelligence, parce qu’il rangeroit dans un ordre convenable une compagnie de trente deux hommes, ce qui est justement le nombre des dents, nous devons à plus forte raison juger la même chose du créateur, &c. Gal. du usu partium.
La différente figure des dents dans les différens animaux, n’est pas une chose moins remarquable ; elles sont toutes exactement proportionnées à la nourriture particuliere & aux besoins des diverses sortes d’animaux : ainsi dans les animaux carnaciers elles sont propres à saisir, à tenir, à déchirer la proie. Dans les animaux qui vivent d’herbages, elles sont propres à ramasser & à briser les végétaux : dans les animaux qui n’ont point de dents, comme les oiseaux, le bec y supplée.
Le défaut de dents pendant un certain tems dans quelques animaux, n’est pas moins digne d’attention ; comme, par exemple, que les enfans n’en ayent point, tandis qu’ils ne pourroient s’en servir que pour se blesser eux-mêmes, ou leurs meres ; & qu’à l’âge où ils peuvent prendre une nourriture plus substancielle & se passer de la mammelle, & où ils commencent à avoir besoin de dents pour parler, qu’alors justement elles commencent à paroître, & qu’elles croissent à mesure qu’ils en ont plus besoin.
Quelques personnes sont venues au monde avec toutes leurs dents, comme un Marcus Curius Dentatus, un Cnéius Papirius Carbo ; ou avec une partie, comme Louis XIV. D’autres n’ont eu qu’une seule dent continue qui occupoit toute la longueur de la mâchoire, comme Pyrrhus roi d’Epire, & Prusias fils du roi de Bithynie : les racines s’étoient apparemment confondues ensemble. M. Laudumiey qui fut envoyé en 1714 à la cour d’Espagne, rapporta de ce pays une dent molaire qu’il avoit arrachée, composée de deux couronnes bien distinctes, dont la racine avoit sept branches. On dit que d’autres ont eu deux ou trois rangs de dents à une seule mâchoire, comme Hercule.
Mentzelius, medecin allemand, assûre avoir vû à Cleves en 1666, un vieillard âgé de cent vingt ans, à qui il étoit venu, deux ans auparavant, des dents doubles qui pousserent avec de grandes douleurs. Il vit aussi à la Haye un Anglois à qui il étoit venu un nouveau rang de dents à l’âge de cent dix-huit ans.
Un medecin danois nommé Hagerup, soûtient dans une these qu’on peut entendre avec les dents. L’habitude qu’ont les sourds d’ouvrir quelquefois la bouche pour entendre, & qui par ce moyen entendent effectivement, peut avoir induit ce medecin en erreur ; car ce n’est qu’à la communication que l’oreille interne a avec la bouche par la trompe d’Eustache, que nous devons attribuer cet effet. Voyez Ouie & Oreille.
Quant aux animaux, il y a des poissons qui ont leurs dents à la langue, comme la truite ; d’autres les ont au fond du gosier, comme le merlus : d’autres, comme le grand chien de mer, appellé canis carcharias, ont trois, quatre ou cinq rangs de dents à la même mâchoire.
Le requin & le crocodile en ont chacun trois rangs, & toutes incisives. La vipere a deux grosses dents canines qui sont crochues, mobiles, ordinairement couchées à plat, & qui ne se dressent que lorsque l’animal veut mordre, voyez Vipere, &c. La grenouille de mer, ou diable de mer, a aussi toutes ses dents mobiles. Le crapaud & la seche n’ont point de dents, & ne laissent pas de mordre.
Le grand nombre de squeletes de différens animaux, que l’on a amassés par ordre du Roi, & que l’on conserve avec soin dans la salle du jardin royal, ayant donné moyen à M. Duverney de comparer ensemble leurs mâchoires & leurs dents, il a remarqué qu’on peut connoître par la seule inspection de ces parties, de quels alimens chaque animal a coûtume de se nourrir.
Les animaux carnaciers, comme les lions, les tigres, les ours, les loups & les chiens, &c. ont au-devant de chaque mâchoire six dents incisives, dont les deux dernieres sont plus longues que les quatre autres qui sont au milieu. Les racines de toutes ces dents sont plates, & le côté extérieur de ces racines est plus épais que l’intérieur, de même qu’à l’homme. Ensuite de ces dents incisives sont deux dents canines fort grosses, de figure ovale, excepté vers la pointe, qui est ronde, courbées en-dedans, & environ trois fois plus longues que les premieres incisives. Les deux canines, dans un vieux lion qu’il a disséqué, avoient plus d’un pouce & demi de longueur. Il y a des espaces vuides dans chaque mâchoire, pour loger les bouts de ces dents. Les côtés des mâchoires sont garnis chacun de quatre molaires plates & tranchantes, qui ont ordinairement trois pointes inégales, lesquelles forment une espece de fleur-de-lys, la pointe du milieu étant un peu plus longue que les deux autres. Les dernieres molaires qui sont tout au fond de la mâchoire, sont les plus longues & les plus grosses, & les autres vont toûjours en diminuant. Les racines de chaque dent molaire sont partagées en deux branches qui s’enchâssent dans deux trous creusés dans l’alvéole, & qui sont séparées par une cloison où il y a de chaque côté une espece de languette qui entre dans une petite rainure creusée dans la partie intérieure de chaque branche, afin de tenir la dent plus fermement enchâssée : ces dents sont emboîtées de maniere qu’elles portent entierement sur la cloison, & que le bout de chaque branche ne presse que très-peu le fond de son alvéole. Les chiens & les loups ont douze molaires à chaque mâchoire. L’ours a cela de particulier, que ses dents molaires sont plates, à-peu-près comme celles des chevaux.
Dans les animaux carnaciers la mâchoire inférieure est plus étroite que la supérieure ; de sorte que la mâchoire venant à se fermer, les dents molaires ne se rencontrent point l’une contre l’autre, mais celles de la mâchoire d’en-bas passent par-dessous celles d’en-haut, à la maniere des branches des ciseaux : néanmoins ces deux mâchoires sont d’égale longueur, ainsi les dents incisives se rencontrent l’une contre l’autre, à la maniere des tenailles.
L’articulation de la mâchoire inférieure est favorable à ce mouvement ; car étant en forme de charniere, elle ne lui permet qu’un simple mouvement de haut en-bas ou de bas en-haut : la maniere dont les canines ou défenses s’engagent les unes dans les autres, y contribue aussi beaucoup.
Les dents incisives d’en-bas rencontrant celles d’en-haut, à la maniere des tenailles, comme il a été dit, il paroît qu’elles sont faites pour arrêter la proie, pour la couper, & même pour la déchirer ; car elles ont quelques pointes inégales, n’étant pas simplement taillées en coin ou en biseau, comme le sont les incisives des autres animaux.
Les canines servent aussi à déchirer, mais leur principal usage est de percer & de retenir ; & plus leurs crochets sont longs, plus ils retiennent facilement ce que l’animal arrache.
Les racines de ces dents canines sont très-longues ; elles sont courbées en-dedans, de même que la partie extérieure de la dent ; & le plus grand diametre du corps de la dent, qui est ovale, comme on a remarqué ci-dessus, suit la longueur de la mâchoire : ce qui fait que les dents résistent davantage en-devant que de côté ; c’est aussi en ce sens-là que ces animaux font de plus grands efforts.
Les molaires des animaux carnaciers ne se rencontrent point, comme dans les animaux qui broyent leur nourriture ; mais elles agissent en ciseaux, ainsi qu’il a été dit. Les trois pointes dont elles sont armées, font connoître qu’elles ne servent qu’à déchirer & à briser : elles sont égales, afin qu’entrant l’une après l’autre, elles trouvent moins de résistance à la fois, & que par ce moyen elles puissent facilement broyer par parties ce qu’elles auroient de la peine à broyer tout ensemble. Les dernieres dents molaires sont les plus grosses & les plus solides, de même qu’à l’homme, parce qu’elles servent à briser les choses les plus dures.
Les dents molaires de l’ours ne sont ni tranchantes ni pointues, mais plates & quarrées, & elles se rencontrent, à la maniere des dents des animaux qui broyent leur nourriture ; ce qui fait connoître que les dents molaires de l’ours ne peuvent pas broyer en frottant obliquement l’une contre l’autre, comme font les meules : car l’engagement des défenses & l’articulation de la mâchoire en forme de charniere, ne leur permettent pas d’autre mouvement que celui de haut en-bas ; ainsi elles brisent seulement, de la maniere que le pilon écrase dans un mortier.
Les dents incisives & les canines de l’ours, sont ordinairement plus petites que celles du lion ; aussi l’ours se sert-il plus de ses pattes que de ses dents, soit pour combattre, soit pour déchirer & rompre les filets & les toiles des chasseurs ; parce que ses pattes sont très-larges, & qu’elles sont armées de griffes longues & crochues, & que les muscles qui servent à les mouvoir, sont très-forts ; au lieu que ses dents ne sont pas fort longues, comme on l’a déjà fait remarquer, & que la grosseur & l’épaisseur de ses levres l’empêchent de s’en servir aussi commodément que fait le lion.
Dans le lion & dans la plûpart des animaux carnaciers, le sommet de la tête est élevé comme la crête d’un casque ; & les os des tempes & les pariétaux sont disposés de maniere qu’il y a vers les tempes un enfoncement très-considérable : cette crête & cet enfoncement servent à aggrandir l’espace où sont logés les muscles des tempes, qui couvrent les deux côtés du sommet de la tête. Il y a un sinus ou enfoncement dans l’os de la mâchoire inférieure, au-dessus de son angle, qui sert encore à aggrandir l’espace où doit être logé le muscle masseter, qui est fort épais.
Les mâchoires de ces animaux sont composées de grands os très-solides, armés de dents grosses & tranchantes, & garnis de muscles très-forts, tant pour leur épaisseur extraordinaire & par leur tissu fort compacte, que parce qu’ils sont très-éloignés du point d’appui ; ainsi elles ont tout ce qui est nécessaire pour serrer puissamment la proie, & pour la déchirer.
Les bœufs, les moutons, les chevres, les cerfs, les dains, & tous les autres animaux qui vivent d’herbe, & qui ruminent, n’ont point de dents incisives à la mâchoire supérieure ; mais ils ont à la place de ces dents, une espece de bourlet formé de la peau intérieure de la bouche, qui est fort épaisse en cet endroit.
Le devant de leur mâchoire inférieure est garni de huit dents incisives, qui sont de différente longueur, & disposées de maniere que celles du milieu sont les plus longues & les plus larges, & que les autres vont toûjours en diminuant. Ces animaux n’ont point de dents canines ni en-haut ni en-bas ; entre les incisives & les molaires, il y a un grand espace vuide qui n’est point garni de dents : ils ont à chaque mâchoire douze dents molaires, savoir six de chaque côté, dont les racines ont pour l’ordinaire trois crocs enchâssés comme ceux des dents molaires du lion. La base de ces dents, qui est a l’endroit par où elles se touchent en mâchant, est rendue inégale par plusieurs éminences pointues, entre lesquelles il y a de petits enfoncemens ; de sorte que les dents d’en-haut & celles d’en-bas venant à se rencontrer, les pointes des unes glissent dans les cavités des autres, & permettent le mouvement de la mâchoire de droite à gauche. Ces dents étant coupées obliquement, leur surface en devient plus grande, & par conséquent plus propre à broyer.
La mâchoire inférieure est presque de la moitié moins large que la supérieure ; ce qui la rend plus légere, & beaucoup plus propre au mouvement : elle ne laisse pas d’être aussi propre à broyer que si elle étoit plus large, parce que pouvant se mouvoir, elle peut s’appliquer successivement à tous les endroits de la mâchoire supérieure, dont les dents sont plus larges, peut-être afin de suppléer en quelque façon, par leur largeur, au mouvement qu’elle n’a pas. Ces dents paroissent composées de différentes feuilles appliquées les unes aux autres.
A la mâchoire supérieure, la partie extérieure de la dent est moins solide, & plus longue que la partie inférieure de la même dent : à la mâchoire inférieure, au contraire, la partie extérieure de la dent est plus solide & moins longue que sa partie intérieure. Cette disposition étoit nécessaire ; car il est évident qu’à la mâchoire inférieure, l’extérieur de la dent s’appuie plus long-tems dans le broyement sur la dent de la mâchoire supérieure, que l’intérieur de la même dent ; & qu’au contraire dans la mâchoire supérieure la partie intérieure de la dent soûtient plus long-tems le frottement de la mâchoire inférieure, que l’extérieur de cette même dent. C’est pour cela qu’à la mâchoire supérieure le côté intérieur de la dent est plus court que l’extérieur, quoiqu’il soit plus solide, & qu’à la mâchoire inférieure le côté extérieur de la dent est le plus court & le plus solide.
Le chameau est différent des autres animaux qui ruminent, en ce qu’il a dix incisives à la mâchoire inférieure, & qu’il a à chaque mâchoire trois canines, qui sont courtes & disposées comme celles des chevaux.
Le bourlet que les animaux qui ruminent ont au lieu de dents à la mâchoire supérieure, est si propre pour aider à couper l’herbe & à l’arracher, que si l’on avoit à choisir de mettre un corps dur à la place, on devroit s’en tenir au bourlet ; car il est certain que deux corps durs, quand même ils seroient continus, ne s’appliqueroient jamais si exactement l’un contre l’autre, qu’il n’y eût des intervalles qui laisseroient passer quelques brins d’herbe ; & que s’ils étoient divisés comme le sont les dents, il s’en échapperoit davantage. D’ailleurs ces brins d’herbe étant inégaux en grosseur, en dureté, il arriveroit que les plus gros & les plus durs empêcheroient les plus petits d’être serrés autant qu’il seroit nécessaire pour être arrachés ; au lieu que le bourlet s’appliquant à la mâchoire inférieure, remédie à tous les inconvéniens ; & qu’enfin il épargne aux dents une partie du coup qu’elles recevroient lorsque les animaux arrachent l’herbe ; car la violence du coup est amortie par la mollesse du bourlet.
Ce qui se passe dans l’action des dents, lorsque ces animaux paissent l’herbe, est très-remarquable. Le bœuf jette d’abord sa langue pour embrasser l’herbe, comme le moissonneur fait avec sa main ; ensuite il serre cette herbe avec ses dents d’en-bas contre le bourlet. Mais si les dents incisives étoient également longues, elles ne pourroient pas serrer l’herbe également par-tout ; c’est pourquoi elles vont toûjours en diminuant, comme on l’a ci-devant remarqué.
L’herbe étant ainsi serrée contre le bourlet qui sert à ces animaux comme une autre branche de tenailles, ils la coupent & l’arrachent facilement ; & le coup de tête qu’ils donnent à droite ou à gauche, y contribue beaucoup. Cette herbe étant ainsi arrachée, les joues se serrent & s’enfoncent dans le vuide qui est entre les incisives & les molaires, pour arrêter ce qui a été arraché, & empêcher qu’il ne retombe. La langue qui s’insinue aussi dans ce vuide, ramasse & pousse l’herbe dans le fond du gosier, où elle ne fait que passer, sans être que fort peu mâchée.
Après que ces animaux ont employé une quantité suffisante de cette nourriture, & qu’ils en ont rempli le premier ventricule appellé la pance, l’animal se met ordinairement sur les genoux pour ruminer avec plus de facilité ; & alors l’herbe (qui pendant qu’elle a demeuré dans ce premier ventricule, a été un peu ramollie, tant par la chaleur & par l’humidité de cette partie, que par l’action de la salive dont elle a été moüillée en passant par la bouche), est renvoyée dans la bouche pour être remâchée, & ensuite distribuée aux autres ventricules, dans un état plus propre à y être digérée : ainsi l’animal ayant ramené cette herbe par pelotons dans la bouche, par une méchanique très-ingénieuse qu’on expliquera dans la suite, il la mâche une seconde fois, en la faisant passer & repasser sous les dents molaires, dont les bases inégales frottant obliquement les unes contre les autres, la froissent & la broyent jusqu’à ce qu’elle soit assez preparée pour la seconde digestion qu’elle doit recevoir dans trois autres ventricules.
Comme la plûpart des animaux qui ruminent, ne vivent que d’herbe, & que l’herbe qu’ils ont arrachée avec leurs dents incisives, est encore trop longue pour être facilement broyée, la nature leur a donné des dents molaires, qui sont en même-tems propres à couper & à broyer l’herbe.
Les animaux qui vivent d’herbe & qui ne ruminent point, comme font les chevaux, les ânes & les mulets, ont à chaque mâchoire six dents incisives fort grosses, disposées de maniere qu’elles se rencontrent & se touchent également par leur base ; elles ont cela de particulier qu’elles sont très-larges, & qu’elles ont de petites inégalités, ayant dans leur milieu un espace vuide, qui pour l’ordinaire se remplit à mesure que ces animaux vieillissent. Les bords de ce vuide étant un peu élevés, laissent tout-à-l’entour un petit enfoncement, qui est terminé par le bord extérieur de la dent ; ils ont deux canines fort courtes qui se jettent en-dehors, & qui laissent entr’elles un peu d’espace, ne s’engageant pas l’une dans l’autre, comme font les canines des animaux carnaciers. Il y a un grand espace vuide entre les incisives & les molaires, de même qu’aux animaux qui ruminent.
Chaque côté des mâchoires est garni de sept molaires, dont les racines sont très-profondes & très grosses. La base de ces dents est plate & quarrée ; mais elle est rendue inégale par de légeres éminences & par des cavités peu profondes.
Le cheval ne se sert que de ses levres pour amasser l’herbe, & non pas de sa langue, comme le bœuf ; aussi ne la coupe-t-il pas de si près, ni en si grande quantité à chaque fois.
Après qu’il a ramassé l’herbe avec ses levres, il la presse avec les dents incisives, qui sont disposées de maniere qu’elles la serrent également par-tout ; & comme leurs bases sont fort larges, & qu’elles ont de petites inégalités, il la retient plus facilement : ensuite il l’arrache en donnant un coup de tête à droite & à gauche, & aussi-tôt il la pousse avec la langue sous les dents molaires, qui se frottant obliquement l’une contre l’autre à droite & à gauche, la froissent & la broyent : il la mâche plus exactement que ne fait le bœuf, & même il la choisit avec plus de soin, parce qu’il ne peut lui donner les préparations que lui donnent les animaux qui ruminent.
Les dents canines du cheval étant fort courtes, & ne se rencontrant point l’une contre l’autre, elles ne sont pas propres pour arracher l’herbe, ni pour leur donner aucune préparation, & elles ne servent au cheval que d’armes pour se défendre.
Dans le cheval & dans les animaux qui ruminent, la figure de la mâchoire inférieure est coudée de sorte qu’elle s’applique également en même tems dans toute sa longueur aux dents molaires de la mâchoire supérieure, afin que les dents puissent broyer à la fois une plus grande quantité de nourriture ; car sans cela elles ne pourroient broyer exactement les alimens qu’en un seul point de la mâchoire. Les animaux carnaciers ont au contraire la mâchoire inférieure moins coudée, parce qu’ayant à briser des os, il leur faudroit un bien plus grand effort pour les casser, si leurs dents s’appliquoient en même tems les unes contre les autres, que quand elles s’appliquent successivement.
Les castors, les porcs-épics, les rats, les lievres, les lapins, les écureuils, & tous les autres animaux qui vivent de racines, d’écorces d’arbres, de fruits, & de noyaux, ont deux incisives seulement à chaque mâchoire ; elles sont demi-rondes par-dehors, d’un rouge clair, tirant sur le jaune, & fort tranchantes par le bout qui est taillé en biseau par-dedans ; leurs racines sont très-longues, principalement dans la mâchoire inférieure. Dans le castor & le porc-épic, leurs racines sont longues de trois pouces, & le corps de la dent n’a que cinq lignes de longueur : elles sont courbées suivant la courbure de la mâchoire, & elles s’étendent dans toute sa longueur.
Ces dents sont situées de maniere que la partie tranchante de celles d’en-bas ne rencontre point la partie tranchante de celles d’en-haut, mais elles passent les unes sur les autres en forme de ciseau, celles d’en-bas coulant sous celles d’en-haut ; & afin que les dents de la mâchoire inférieure qui est fort courte, puissent s’enfoncer suffisamment sous celles d’en-haut suivant les différens besoins, les appuis de cette mâchoire ont un mouvement très-libre en devant & en arriere.
Le museau de tous les animaux ressemble à celui des lievres : la levre supérieure étant fendue, celle d’en-bas forme par-dedans un repli qui fait comme un étui qui sert à loger les incisives de la mâchoire inférieure. Ils n’ont point de dents canines ; il y a un vuide considérable entre leurs incisives & leurs molaires ; ils ont à chaque mâchoire huit molaires, savoir quatre de chaque côté. Dans le porc-épic, dans le castor, & dans le cochon d’inde, toutes ces dents sont courtes, leurs bases sont coupées fort également, & elles ne sont pas entierement solides, étant percées fort avant par plusieurs trous de différente figure ; dans les écureuils & dans les rats, les dents molaires ont des inégalités qui peuvent leur aider à couper & à broyer.
On remarque que ces animaux coupent avec leurs dents, non pas en les serrant doucement les unes contre les autres, mais en frappant par plusieurs petits coups réitérés & fort fréquens. Comme la force du lievre est fort diminuée vers l’extrémité de la machoire, & que l’effort qui s’y feroit pour serrer seroit très-petit ; ces animaux, pour augmenter le mouvement qui est nécessaire pour l’incision, y ajoutent la force de la percussion ; ils frappent donc de petits coups de dents ce qu’ils veulent couper : mais comme ces coups agiroient autant contre leurs mâchoires que contre les corps qu’ils ont à couper & à briser, la nature a fait la racine de leurs dents six fois plus longue que leur partie extérieure, & a courbé cette longueur afin que l’effort que la dent soûtient se partageant dans toute cette longue courbure, chaque partie en souffrît moins, & que par conséquent la membrane intérieure s’en trouvât moins ébranlée dans chacune de ses parties. Cette courbure fait aussi qu’une plus grande longueur est enchâssée dans les mâchoires, quoique très-courtes, afin que leurs alvéoles les embrassent & les affermissent dans un plus grand nombre de parties, & non pas comme quelques-uns ont pensé, pour en faire des bras de leviers plus longs, puisque la longueur du levier ne se mesure que par la perpendiculaire qui part du point d’appui.
Ces animaux ont des dents molaires dont ils se servent pour broyer les alimens durs qu’ils ont coupés & rongés ; leur maniere de broyer se fait comme dans l’homme, en les frottant à droite & à gauche, en devant & en arriere, parce que l’articulation de la mâchoire permet ces deux especes de mouvemens.
Dans les castors, les porc-épics, & autres animaux semblables, la base de ces dents est comme piquée de plusieurs petits trous qui semblent n’être que les intervalles des feuilles dont la dent est composée, ce qui rend ces dents plus propres à moudre & à broyer que si elles étoient parfaitement polies ; de même que l’on a soin d’entretenir des inégalités dans les meules de moulin, en les piquant de tems en tems ; comme ces trous pénetrent assez avant dans la dent, ils ont toûjours assez de profondeur pour entretenir ces inégalités, quoique la dent s’use un peu.
La structure des dents de l’homme fait connoître qu’il peut vivre de toutes sortes d’alimens ; il y a à chaque mâchoire quatre incisives, deux canines, & dix molaires. Ses incisives sont taillées en biseau, & elles sont tranchantes comme celles des animaux carnaciers, pour déchirer & couper les viandes.
Ses dents canines sont plus rondes, plus épaisses, & plus solides que les incisives ; leur extrémité est taillée en pointe, & leurs racines sont un peu plus longues & enchâssées plus avant dans celles des incisives.
Les dents canines des animaux sont beaucoup plus longues que leurs incisives : elles passent ordinairement les unes à côté des autres ; & il y a dans chaque mâchoire des espaces vuides pour en loger les bouts, ce qui n’est pas ainsi dans l’homme ; cependant la figure des dents canines de l’homme les rend très-propres à percer & à ronger les corps durs ; d’où vient que l’on porte naturellement sous ces dents les os qu’on veut ronger & le corps qu’on veut percer : & en cela l’homme tient encore des animaux carnaciers.
Les molaires dans l’homme sont plates & quarrées : leurs bases ont des éminences & des cavités qui sont reçues les unes dans les autres quand les mâchoires sont fermées ; & la mâchoire ayant ses appuis formés de têtes plates enchassées dans des cavités presque rondes & fort larges, elle a la liberté de remuer en tous sens : en tout cela l’homme ressemble aux animaux qui vivent de grain & d’herbe.
Cette articulation permet aussi aux dents incisives de rencontrer tantôt à la maniere des tenailles, & tantôt à la maniere des ciseaux, les dents d’en-bas pouvant aisément couler sous celles d’en-haut, & pouvant aussi passer un peu par-dessus ; & en cela l’homme ressemble aux animaux qui rongent les fruits & les racines.
Le singe est celui de tous les animaux dont les visceres & toutes les parties intérieures approchent le plus de celles de l’homme ; c’est aussi celui dont les dents sont le plus semblables à celles de l’homme : il a quatre incisives à chaque mâchoire comme l’homme, & il a de même les dents plates & quarrées ; aussi mange-t-il de toute sorte d’alimens de même que l’homme. Pour ce qui est des canines dans la plûpart des singes, elles sont longues en maniere de défenses, & il y a des espaces vuides en chaque mâchoire pour les loger ; en quoi le singe ressemble aux animaux carnaciers. Cependant M. Duverney a fait voir quelques têtes de singes dont les dents canines n’étoient pas plus longues que les incisives, y ayant seulement dans chaque mâchoire des espaces vuides pour les loger : il a encore montré la tête d’un petit singe, où les dents canines étoient rangées & disposées comme à l’homme.
Les mâchoires de l’éléphant n’ont point de dents incisives ni de canines : elles ont deux molaires de chaque côté : la base par où ces dents se touchent en mâchant est fort large ; elle est aussi très-égale & très lisse, parce que ces dents s’usent par leur frottement mutuel. Chaque dent paroît composée de plusieurs feuilles de substance blanche, qui sont collées & jointes ensemble par une matiere grisâtre ; elles sont de grandeur différente à la mâchoire d’en-haut : celles de devant sont les plus longues, au lieu qu’à la mâchoire d’en-bas les plus longues sont celles de derriere. Dans la mâchoire de l’éléphant dissequée par MM. de l’académie royale des Sciences, lequel avoit environ dix-sept ans, on a trouvé les germes des dents qui devoient repousser. La mâchoire inférieure de cet animal est fort pesante, & beaucoup plus courte que la supérieure.
Les défenses de l’éléphant sont appellées dents par quelques auteurs ; mais on peut dire que l’origine & la situation de ces défenses décident la question & ne laissent aucun doute sur ce sujet ; car l’os dont elles sortent est distinct & séparé de celui d’où sortent les véritables dents : leur substance a aussi beaucoup plus de rapport à celle des cornes qu’à celle des dents ; car l’ivoire qui n’est autre chose que les défenses de l’éléphant, est aisé à couper & à travailler, & il s’amollit au feu de même que la corne ; au lieu que les dents ne s’amollissent point au feu, & qu’elles sont d’une si grande dureté que les burins les plus tranchans n’y sauroient mordre : le seul rapport que ces défenses ont avec les dents, est qu’elles se nourrissent de la même maniere.
L’éléphant prend sa nourriture d’une maniere qui lui est particuliere.
L’homme se sert de ses mains pour porter les alimens à sa bouche ; & les animaux à quatre piés se servent pour le même usage, ou de leurs levres, ou de leur langue, ou de leurs piés de devant : pour ce qui est de la boisson, l’homme pour la prendre se sert de ses mains ; les chiens se servent de leur langues ; les oiseaux de leur bec : mais les chevaux & les anes la tirent en suçant. L’éléphant ne prend rien immédiatement avec sa bouche, si ce n’est qu’on y jette quelque chose quand elle est ouverte ; il se sert seulement de sa trompe qui lui tient lieu de main, & même, pour ainsi dire, de gobelet ; car c’est par le moyen d’un rebord, en forme de petit doigt, qui est à l’extrémité de sa trompe, qu’il fait tout ce qu’on peut faire avec la main : il dénoue des cordes, il prend avec adresse les choses les plus petites, & il en enleve de fort pesantes quand il peut y appliquer ce rebord qui s’y attache fermement par la force de l’air que l’éléphant attire par sa trompe. C’est aussi en attirant l’air qu’il fait entrer sa boisson dans la cavité de sa trompe qui contient environ un demi-seau ; ensuite recourbant en dessous l’extrémité de sa trompe, il la met fort avant dans sa bouche, & il y fait passer la liqueur que la trompe contient, la poussant à l’aide du souffle de la même haleine qui l’a attirée ; aussi quand il prend l’herbe, dont il se nourrit, de même que de grain & de fruit, il l’arrache avec sa trompe, & il en fait des paquets qu’il fourre bien avant dans sa bouche.
Cette maniere si singuliere de prendre la nourriture est fondée sur la structure de la trompe & sur celle du nez. La trompe a tout de son long dans le milieu deux conduits qui vont en s’élargissant vers sa racine, afin que la liqueur qui y est contenue soit poussée dehors avec plus de force par le souffle de l’haleine, le retrécissement que ces conduits ont vers leur sortie augmentant ce mouvement : ces conduits sont environnés de fibres charnues qui forment diverses couches, & qui servent à l’alongement, à l’accourcissement, & aux différentes inflexions de la trompe : ils sont comme deux narines prolongées qui s’ouvrent dans les deux cavités du crane, où sont enfermés les organes immédiats de l’odorat, & qui sont situées vers la racine de cette trompe. De-là il est aisé de voir que l’usage de ces conduits est de donner passage à l’air pour la respiration & pour l’odorat, & de recevoir la boisson pour la porter dans la bouche de l’éléphant par le même endroit par où la trompe l’a reçue, ainsi qu’il a été dit.
Dans les autres animaux, les narines sont ordinairement proches & au-dessus de l’endroit par où l’animal reçoit sa nourriture, afin que la bonne ou la mauvaise odeur des alimens le détermine à les prendre ou à les rejetter. L’éléphant qui a l’ouverture des narines à la racine de sa trompe, & bien loin de sa bouche, n’a dû rien prendre qu’avec sa trompe, autrement il seroit en danger d’avaler ce qui lui seroit nuisible ; mais la trompe avec laquelle il prend les choses dont il a besoin, étant sensible aux bonnes & aux mauvaises odeurs, cet animal a l’avantage de pouvoir sentir ce qu’il doit mettre dans sa bouche, pendant tout le tems qu’il employe à rouler & à tourner sa trompe autour de ce qu’il veut choisir & enlever.
On remplace les dents naturelles qui manquent à l’homme par des dents artificielles. On les fait ordinairement d’ivoire : mais comme l’ivoire jaunit bientôt dans la bouche, Fabricius conseille de les faire de l’os de la jambe d’un jeune taureau, qui conserve sa couleur blanche. Nos dentistes se servent des dents de cheval marin.
La coûtume de porter des dents d’ivoire, & de les attacher avec un fil d’or, est fort ancienne : Lucien & Martial en parlent comme d’une chose pratiquée parmi les Romains.
Guillemeau nous donne la composition d’une pâte pour faire des dents artificielles, qui ne jaunissent jamais : c’est de belle cire blanche fondue avec un peu de gomme élémi, où l’on ajoûte une poudre de mastic blanc, de corail, & de perle. (L)
Dents (Séméiotique.) Il est à-propos de ne pas omettre les présages que le medecin peut tirer des dents en général, par l’effet du vice des organes qui les font choquer entr’elles, craquer, grincer, sans que la volonté ait aucune part à ces mouvemens irréguliers, & par les changemens qu’elles éprouvent dans les maladies aiguës.
Hippocrate regarde comme un signe d’un délire prochain, les mouvemens convulsifs de la mâchoire inférieure, qui cause des grincemens de dents ; lorsque cela n’arrive pas à un enfant, ou à une personne qui ait retenu depuis l’enfance l’habitude de grincer les dents. Si ce signe se joint au délire, il est absolument funeste ; le malade touche à sa fin. Prosper Alpin confirme par sa propre expérience le jugement d’Hippocrate à cet égard. C’est aussi un très-mauvais signe, selon ce grand medecin, que les dents paroissent desséchées. Dans tous ces cas, le cerveau est considérablement affecté, desséché : ce qui ne peut avoir lieu que par la violence de la fievre & de la chaleur dont elle est accompagnée ; le fluide nerveux qui se sépare alors est presque de nature ignée ; les muscles les plus voisins de ce viscere éprouvent les premiers effets de l’altération des nerfs : ceux-ci agités, tiraillés par le liquide qu’ils contiennent, causent d’abord des secousses convulsives dans les muscles qui environnent la tête ; elles sont plus sensibles dans ceux qui servent à mouvoir une partie libre qui n’est point pressée, comprimée par les corps ambians, telle que la mâchoire : cette sécheresse du cerveau est une suite de celle de la masse des humeurs, qui fait cesser toutes les secrétions dont elle ne peut pas fournir la matiere ; c’est en conséquence que la bouche est âpre, brûlée : mais particulierement les dents sont noires, seches, parce qu’il ne se fait aucune séparation de salive pour les humecter. Un tel état ne peut qu’avoir les suites les plus fâcheuses, par l’altération générale qu’il suppose nécessairement dans toute l’œconomie animale. (d)
Dents, (Maréchal.) les chevaux en ont de deux sortes ; savoir 1°. les dents mâchelieres au nombre de vingt-quatre, dont douze sont à la mâchoire inférieure, six de chaque côté : & douze à la mâchoire supérieure, 6 de chaque côté : ces dents servent à mâcher les alimens. 2°. Les dents de devant ou incisives au nombre de douze ; savoir six en-haut, & six en-bas : celles qui sont tout-à-fait au-devant de la bouche, s’appellent les pinces ; celles qui les cotoyent, les mitoyennes ; & celles d’après, les coins : les crocs viennent entre les dents mâchelieres & les dents de devant. Voyez Crocs. Ces dents de devant servent à couper l’herbe & le foin, & elles sont éloignées des mâchelieres de quatre à cinq pouces : cet intervalle s’appelle la barre. Les dents de devant servent à faire connoître l’âge du cheval jusqu’à sept ans. Les dents de lait sont celles de devant qui poussent au cheval aussitôt qu’il est né, & tombent au bout d’un certain tems pour faire place à d’autres, que le cheval garde toute sa vie. Avoir la dent mauvaise, se dit d’un cheval qui mord ceux qui l’approchent. Mettre, pousser, prendre, jetter, percer, ôter ses dents ; voyez ces mots à leurs lettres.
Un cheval dangereux du pié ou de la dent, doit être coupé, cela l’empêche de mordre & de ruer. Voyez Chatrer. (V)
Dent, Dentelé, (Botaniq.) on dit d’une feuille qu’elle est dentelée, quand elle est entourée dans son bord de petites échancrures appellées dents, & qui forme de la dentelle. (K)
Dent de chien, dens canis, (Hist. nat. botan.) genre de plantes à fleurs liliacées, composées de sept pétales inclinées en bas & recoquillées en-dehors ; le pistil sort du milieu de la fleur, & devient dans la suite un fruit arrondi, divisé en trois loges qui renferment des semences oblongues : ajoûtez aux caracteres de ce genre que la racine est charnue, & faite en forme de dent de chien. Tournefort, inst. rei herb. Voyez Plante. (I)
Dent de lion, dens leonis, (Hist. nat. botaniq.) genre de plante à fleurs, composées de plusieurs demi-fleurons qui tiennent à des embryons, & qui sont entourés par le calice ; ces embryons deviennent dans la suite des semences garnies d’une aigrette, rassemblées en un bouquet rond, & attachées sur la couche : ajoûtez aux caracteres de ce genre que les fleurs naissent sur des pédicules, qui sont creux pour l’ordinaire, & qui ne sont point branchus. Tournefort, inst. rei herb. Voy. Plante. (I)
Dent, se dit aussi, en Méchanique, des petites parties saillantes qui sont à la circonférence d’une roue, & par lesquelles elle agit sur les ailes de son pignon pour le faire tourner.
La figure des dents des roues est une chose essentielle, & à laquelle on doit faire beaucoup d’attention dans l’exécution des machines. On peut avoir parfaitement calculé le rapport des roues aux pignons, & en conséquence l’effet que doit faire telle ou telle puissance dans une machine ; mais si la figure des dents des roues & des ailes des pignons sur lesquelles elles agissent, n’est pas telle qu’il en résulte un mouvement uniforme de ces pignons, c’est-à-dire que l’effort que font les roues pour les faire tourner, ne soit pas constamment le même, un pareil calcul n’apprendra rien du véritable effet de la machine : car l’effort des roues étant tantôt plus grand, tantôt plus petit, on ne pourra tabler que sur l’effet de la machine dans le cas le plus desavantageux ; effet qui sera souvent très-difficile à connoître. On voit donc de quelle nécessité il est, que ces dents ayent une figure convenable. Cependant, quoiqu’il y ait plusieurs siecles que l’on fasse des machines où l’on employe des roues dentées, les Méchaniciens avoient entierement négligé ces considérations, & laissoient aux ouvriers le soin de cette partie de l’exécution des machines, lesquels n’y observoient d’autre regle, que de faire les dents des roues & les ailes des pignons, de façon que les engrenages se fissent avec liberté, & de maniere à ne causer aucun arrêt. M. de la Hire, de l’académie royale des Sciences, est le premier qui en ait parlé. Il examine cette matiere fort au long dans son traité des épicycloïdes ; mais des différentes courbures de dents qu’il détermine pour différentes especes de pignons, il n’y a guere que celle qu’il donne aux dents qui menent un pignon à lanterne, qui soit praticable. M. Camus a suppléé à ce qui manquoit au traité de M. de la Hire. Ce savant académicien dans son mémoire, année 1733 des mém. de l’acad. roy. des Sciences, détermine les courbes que doivent avoir les dents d’une roue, & les ailes de son pignon pour qu’elle le mene uniformément, soit que la dent rencontre l’aile dans la ligne R I, fig. 102. Plan. XIX. d’Horlog. qu’on appelle la ligne des centres ; soit qu’elle la rencontre (fig. 99.) avant la ligne des centres, & qu’elle la mene au-delà ; soit enfin que (fig. 98.) la dent rencontre l’aile avant la ligne des centres, & qu’elle la mene jusqu’à cette ligne : on peut dire qu’il a rendu par-là un très-grand service à l’Horlogerie. Car quoique les habiles horlogers eussent des notions assez justes sur cette matiere, la véritable figure des dents des roues étoit toûjours pour eux une espece de problème.
Nous voudrions pouvoir rapporter ici ce mémoire, dont nous reconnoissons que nous avons tiré beaucoup de lumiere : mais comme il est un peu trop étendu, & de plus qu’il est démontré d’une maniere un peu trop abstraite pour la plûpart des horlogers ; nous tâcherons d’y suppléer, en démontrant par une autre voie ce qui regarde la figure des dents des roues, & celle des ailes des pignons.
Une roue REV étant donnée (fig. 98 & 100), & un pignon PIG, je dis que, pour que la roue mene le pignon uniformément, il faut que, dans une situation quelconque de la dent & de l’aile pendant la menée, les perpendiculaires à la face de l’aile & de la dent, au point où elles se touchent, se confondent & passent toutes par un même point M dans la ligne des centres, lequel doit être tellement situé sur cette ligne, que RM soit à MI, comme le nombre des dents de la roue à celui des ailes du pignon.
Pour le démontrer, soit supposé LO tirée perpendiculairement à la face de l’aile, au point G où la dent la touche ; & les lignes IO, RL, abaissées perpendiculairement sur cette ligne des points I & R centres du pignon & de la roue : les lignes RL & TO exprimeront, l’une RL, le levier par lequel la roue pousse le pignon ; l’autre OI, celui par lequel le pignon est poussé. C’est ce qui paroîtra évident, si l’on fait attention que le mouvement du levier RL se fait dans une perpendiculaire à la ligne OI, & par conséquent que la longueur des arcs infiniment petits, décrits dans un instant & par les points L & O, sera la même : comme cela arrive, lorsqu’un levier agit immédiatement sur un autre, dans une direction perpendiculaire. RL exprimant donc le levier par lequel la roue pousse le pignon, & IO celui par lequel le pignon est poussé ; il est clair que dans tous les points de la menée, si le levier par lequel le pignon est poussé, & celui par lequel la roue le pousse, sont toûjours dans le même rapport, l’action de la roue dans tous ces différens points pour faire tourner le pignon, sera uniforme : car la valeur en degrés de chacun des arcs parcourus en même tems par les leviers RL, OI, est en raison inverse de leurs longueurs, ou comme OI est à RL ; & la valeur en degrés des arcs parcourus par la roue & par le pignon dans le même tems, est encore comme ces leviers OI & RL : mais les leviers semblables à IO, RL, étant toûjours dans le même rapport dans tous ces points de la menée, les valeurs en degrés des arcs parcourus dans le même tems par la roue & par le pignon, y seront donc aussi. Or les vîtesses angulaires du pignon & de la roue sont comme ces arcs. De plus, on sait par les principes de la Méchanique, que pour qu’il y ait équilibre entre deux puissances, il faut qu’elles soient en raison inverse de leurs vîtesses ; donc si des puissances constantes qui agissent en sens contraire, l’une sur la roue, l’autre sur le pignon, sont en équilibre dans un point quelconque de la menée, elles seront en raison des vîtesses du pignon & de la roue dans ce point : mais ces vîtesses dans tous les points de la menée étant dans le même rapport, ces puissances y seront toûjours en équilibre ; donc la force avec laquelle la roue entraînera le pignon dans tous ces points, sera toûjours la même ; donc le pignon sera mené uniformément.
Ce principe de Méchanique bien entendu, imaginons que la dent (voyez fig. 98 & 100) soit dans une situation quelconque EG, & que la perpendiculaire au point G passe par un point quelconque M dans la ligne des centres ; RL sera, comme on l’a vû, le levier par lequel la roue poussera le pignon, & OI le levier par lequel il sera poussé. Supposons de plus que la dent & l’aile étant dans la ligne des centres, elles se touchent dans ce même point M, RM sera le levier par lequel la roue poussera le pignon dans ce point, & MI celui par lequel il sera poussé. Mais à cause des triangles semblables RLM, MOI, on a RL : OI ∷ RM : MI ; donc par le principe précédent la roue menera uniformément le pignon dans les deux points M & G, puisque le rapport entre les leviers RM & MI dans le point M, est le même que le rapport entre les leviers RL & OI dans le point C. On en démontrera autant de tous les autres points de la menée, pourvû que les perpendiculaires à la dent & à l’aile passent par ce point M. De plus les tours ou les vîtesses du pignon & de la roue doivent être en raison inverse de leurs nombres ; & comme la roue doit mener le pignon uniformément, leurs vîtesses respectives dans un point quelconque de la menée, doivent être encore dans la même raison. Ces nombres étant une fois donnés, les vîtesses respectives du pignon & de la roue le seront donc aussi. Or la vîtesse angulaire du pignon au point M est à celle de la roue au même point, comme le levier MR au levier MI ; MR doit donc être à MI, comme le nombre de la roue à celui du pignon ; car sans cela, la vîtesse angulaire du pignon dans ce point ne seroit pas à celle de la roue, comme le nombre de la roue à celui du pignon. Donc le point M doit diviser la ligne RI, tellement que RM soit à MI, comme le nombre de la roue à celui du pignon. Donc pour qu’une roue mene son pignon uniformément, il faut que dans tous les points de la menée les perpendiculaires à la dent & à l’aile se confondent, & passent par un même point M dans la ligne des centres, situé tellement sur cette ligne, que RM soit à MI, comme le nombre de la roue à celui du pignon C. Q. F. D.
Cette démonstration, comme on voit, s’étend à tous les trois cas, puisqu’on y a considéré la dent dans une situation quelconque en-deçà ou au-delà de la ligne des centres. Il est donc clair que soit que la dent & l’aile se rencontrent dans la ligne des centres, soit qu’elles se rencontrent avant cette ligne & qu’elles s’y quittent, soit enfin qu’elles se rencontrent avant la ligne des centres & qu’elles se quittent après ; le pignon sera mené uniformément, si les perpendiculaires aux points où la dent & l’aile se touchent dans toutes leurs situations pendant la menée, passent par un même point M dans la ligne des centres, tellement situé sur cette ligne, que RM soit à MI, comme le nombre de la roue à celui du pignon. Il y a plus, c’est que cette démonstration s’étend à toutes sortes d’engrenages où l’on voudroit que la roue menât le pignon uniformément, de quelques figures que soient les dents de la roue & les ailes du pignon.
Il suit de la démonstration précédente (voy. les fig. 103 & 104), que si la perpendiculaire à l’aile dans un point quelconque G où la dent la touche, au lieu de passer par le point M, passe par un point F entre R & M ; la force de la roue, pour faire tourner le pignon dans ce point G, sera plus grande que lorsque la dent & l’aile étoient dans la ligne des centres & se touchoient en M ; & qu’au contraire si cette perpendiculaire passe par un point T entre M & I, cette force sera plus petite ; ce qui est évident, puisque dans le premier cas le pignon tournera plus lentement, sa vîtesse par rapport à celle de la roue étant, comme nous l’avons fait voir, comme RF à FI ; & dans le second il tournera plus vîte, sa vîtesse étant à celle de la roue comme RT à TI.
Nous aurions pû démontrer tout ceci d’une maniere plus abregée, & dans une forme plus géométrique ; mais nous avons cru devoir tout sacrifier à la clarté & à la nécessité d’être entendu par les gens du métier.
On vient de voir les conditions requises dans un engrenage pour que la roue mene uniformément le pignon ; nous allons démontrer à présent que lorsque la dent rencontre l’aile dans ou après la ligne des centres, il faut pour que cet effet ait lieu, que la face de l’aile soit une ligne droite tendante au centre, & que celle de la dent soit la portion d’une épicycloïde engendrée par un point d’un cercle qui a pour diametre le rayon du pignon, & qui roule extérieurement sur la circonférence de la roue.
Si un cercle COQ (fig. 97. no 2.) roule extérieurement sur la circonférence d’un autre cercle ALE, ou intérieurement comme en M, un point quelconque C de la circonférence du premier décrira par ce mouvement une ligne qu’on appelle épicycloïde. Voy. Epicycloïde. Si le cercle COQ a pour diametre le rayon d’un cercle ALE, alors en roulant en-dedans sur sa circonférence, comme en M, la ligne qu’il décrira sera une ligne droite diametre de ce cercle ALE. Voyez Epicycloïde. Cela posé, les cercles PIG, RVE (fig. 95. no 2.) représentant l’un le pignon l’autre la roue, dont les diametres HI, HR, sont entre eux comme leurs nombres ; qu’on suppose deux petits cercles COQ, ayant pour diametre le rayon du pignon, & posés si parfaitement l’un sur l’autre, qu’on n’en puisse voir qu’un ; que leurs centres soient parfaitement dans le même point O dans la ligne des centres, & le point C en H ou D dans la même ligne : qu’on imagine ensuite (fig. 94 no 4.) que la roue & le pignon se meuvent en tournant sur leurs centres de M en X, & que ces deux petits cercles se meuvent aussi, l’un en-dedans sur la circonférence du pignon, l’autre en-dehors sur la circonférence de la roue, mais tellement qu’à chaque arc que le pignon & la roue parcourent, ils en parcourent d’entierement égaux en sens contraire ; c’est-à-dire que la roue & le pignon ayant parcouru l’un l’arc MH, l’autre l’arc égal MD, les deux cercles COQ ayent aussi parcouru en sens contraire, l’un en-dehors sur la circonférence de la roue, l’autre en-dedans sur la circonférence du pignon, l’arc MC égal à l’arc MH ou MD. Il suivra de ce mouvement des deux cercles COQ, que leur centre O ne sortira point de la ligne des centres RI, puisqu’à chaque instant que le mouvement de la roue & du pignon tendra à les en écarter d’un arc quelconque, ils y seront ramenés en roulant toûjours en sens contraire d’un arc de la même longueur. Maintenant supposons pour un moment que la roue se mouvant de M en H, entraîne par le simple frottement de sa circonférence le pignon, l’effet sera encore le même ; & le pignon sera mû uniformément, puisqu’on pourra le regarder avec la roue comme deux rouleaux dont l’un fait tourner l’autre, par la simple application de leurs parties l’une sur l’autre, Mais ces petits cercles par leurs mouvemens, l’un dans le pignon, l’autre sur la circonférence de la roue, seront dans le même cas que les cercles COQ, M (fig. 96. no 2.) & COQ qui rouloient au-dedans de la circonférence du cercle ALE & au-dehors. Ainsi le point C du cercle COQ roulant au-dedans du pignon, y décrira une ligne droite DS, diametre de ce pignon, & dont une partie, comme CD, répondra à un arc CM parcouru en même tems par ce cercle. De même le point C du cercle COQ roulant sur la circonférence de la roue, décrira un épicycloïde dont une partie, comme CH, répondra aussi à l’arc MH égal à CM. Mais comme ces deux cercles ont même diametre, & parcourent toûjours dans le même sens des arcs égaux, à cause du mouvement uniforme du pignon & de la roue, le point décrivant C du cercle qui se meut au-dedans du pignon se trouvera au même lieu que le point décrivant C du cercle qui se meut sur la circonférence de la roue. Donc le point C de la partie DI de la ligne droite DS, & le point, C de la partie de l’épicycloïde CH, seront décrits en même tems. Or dans une situation quelconque du point décrivant C, la ligne MC menée du point M dans la ligne des centres, sera perpendiculaire à la ligne CD ou ID, puisque ces deux lignes formeront toûjours un angle qui aura son sommet à la circonférence du cercle COQ, & qui s’appuiera sur son diametre. De même cette ligne MC sera aussi perpendiculaire à la portion infiniment petite de l’épicycloïde CK décrite dans le même tems, puisque MC sera alors comme le rayon décrivant d’une portion de cercle infiniment petite CK. Donc si la face de l’aile & celle de la dent sont engendrées par un point d’un cercle dont le diametre soit égal au raiyon du pignon, & qui se meuve sur sa circonférence en-dedans & sur la circonférence de la roue en-dehors, elles auront les mêmes propriétés que les lignes CS & CH ; & par conséquent dans toutes les situations où elles se trouveront les perpendiculaires aux points où elles se toucheront, se confondront, & passeront toutes par le même point M. Mais ce point M par la construction divisera la ligne des centres dans la raison des nombres du pignon & de la roue. Donc si la face de l’aile est une ligne droite tendante au centre, & celle de la dent un épicycloïde décrite par un cercle qui a pour diametre le raiyon du pignon, & qui se meut sur la circonférence de la roue en-dehors, la roue menera le pignon uniformément, puisqu’alors les perpendiculaires à l’aile du pignon & à la face de la dent dans tous les points où elles se toucheront se confondront, & passeront toûjours par un même point M dans la ligne des centres, qui divise cette ligne selon les conditions requises.
Il est facile de voir que cette démonstration s’étend à toutes sortes d’épicycloïdes ; c’est-à-dire qu’une roue menera son pignon toûjours uniformément, si les faces de ses ailes sont des épicycloïdes quelconques engendrées par un point d’un cercle qui roule au-dedans du pignon, & celles de la dent d’autres épicycloïdes engendrées par le même cercle roulant sur la circonférence de la roue. L’action de la roue pour faire tourner le pignon étant toûjours uniforme, il est clair en renversant que l’action du pignon pour faire tourner la roue le sera aussi. Car si dans un point quelconque de la menée l’action du pignon étoit différente de celle qui se feroit dans un autre point, l’action contraire de la roue le seroit aussi : donc elle n’agiroit pas toûjours uniformément ; ce qui est contre la supposition.
Dans le cas où le pignon PIG meneroit la roue REV (fig. 102), il est clair que l’aile rencontreroit la dent avant la ligne des centres, & la meneroit jusqu’à cette ligne ; d’où il est facile de conclure qu’une roue dont la dent rencontre l’aile avant la ligne des centres, & la mene jusqu’à cette ligne, est précisément dans le même cas. Mais on vient de voir que le pignon menoit la roue uniformément lorsque les faces des ailes étoient des lignes tendantes au centre, & celles des dents des portions d’épicycloïdes engendrées par un point d’un cercle ayant pour diametre le raiyon du pignon, & roulant extérieurement sur la circonférence de la roue. Il faut donc pour qu’il y ait uniformité de mouvemens dans ce cas-ci, que les faces des dents de la roue soient des lignes droites tendantes à son centre, & celles des ailes du pignon des portions d’épicycloïde engendrées par un cercle dont le diametre seroit le raiyon de la roue, & qui rouleroit extérieurement sur la circonférence du pignon. De même encore lorsque (fig. 99) la dent mene l’aile avant & après la ligne des centres, il faut qu’elle soit composée de deux lignes, l’une droite GK tendante au centre de la roue qui mene l’aile avant la ligne des centres, & l’autre courbe GE qui la mene après ; & l’aile du pignon de deux autres lignes, l’une courbe GS par laquelle la dent mene avant cette ligne, & l’autre droite DG tendante au centre du pignon par laquelle elle mene après. La courbe de la dent doit être une épicycloïde décrite par un cercle qui a pour diametre le raiyon du pignon, & qui roule extérieurement sur la circonférence de la roue ; & la courbe du pignon doit être une épicycloïde décrite par un cercle qui a pour diametre le raiyon de la roue, & qui roule extérieurement sur la circonférence du pignon.
Nous venons de faire voir les courbes que doivent avoir les dents de la roue & les ailes du pignon, dans les trois différens cas où la dent peut rencontrer l’aile ; il n’est plus question que de choisir lequel de ces cas est le plus avantageux. Il est clair que c’est celui où la dent rencontre l’aile dans la ligne des centres ; parce que 1°. le frottement de la dent sur l’aile est bien moindre, ne s’y faisant point en arc-boutant comme dans les deux autres ; & 2°. que les ordures au lieu d’être poussées au-dedans, comme dans les autres cas, sont poussées en-dehors. Il n’y a qu’une circonstance où l’on doit préférer la menée avant & après la ligne des centres ; c’est lorsque le pignon est d’un trop petit nombre, comme 6, 7, &c. jusqu’à 10 exclusivement ; parce que dans des pignons d’un si petit nombre, en supposant que la dent rencontre l’aile dans la ligne des centres, l’engrenage ne peut avoir lieu, comme il est facile de le voir, l’intervalle entre les deux pointes des deux dents étant plus grand que celui qui est entre les deux ailes au même point. Si on veut s’en assûrer par le calcul, on remarquera que dans le triangle RIG, (fig 102) en connoissant les deux côtés & l’angle compris, il est facile de connoître le troisieme, qui donnera la quantité de l’engrenage, & en même tems l’angle IRG, qui pour que l’engrenage ait lieu dans la ligne des centres, doit être plus petit & au moins de deux degrés, que la moitié de l’angle compris entre deux pointes de dents voisines l’une de l’autre.
Quant à la courbe que doivent avoir les dents des roues qui menent des pignons dans un autre plan, comme par exemple celle d’une roue de champ, ce doit être une portion de cycloïde ; & supposant que la face de l’aile du pignon soit une ligne droite tendante au centre, cette cycloïde doit être engendrée par un cercle dont le diametre soit le raiyon du pignon. On en comprendra facilement la raison, pour peu qu’on ait bien entendu ce qui a précédé.
Il y auroit encore beaucoup de choses à ajoûter sur cette matiere, qui a été fort negligée, & qui s’étend cependant beaucoup plus loin qu’on ne l’imagine ordinairement ; mais cela allongeroit encore cet article, qui est déjà assez long. On trouvera à l’artic. Pignon à lanterne ce qui regarde la figure des dents des roues qui engrennent dans cette espece de pignon. Voyez Engrenage, Roue, Pignon, Lanterne, Aile, Menée, Epicycloïde, Cycloïde, &c. (T)
Dent de loup, (Jardinage.) ornement de parterre ; c’est une espece de palmette tronquée dans son milieu, & échancrée en fer à cheval : on s’en sert dans la broderie, pour varier d’avec les autres figures. (K)
Dent, (Reliure.) instrument de Relieur & d’autres ouvriers. Il sert aux premiers à brunir l’or de dessus la tranche. Cette dent doit être une dent des plus grosses, non émoussée, & emmanchée dans un manche de bois, où il faut qu’elle soit bien mastiquée. Au défaut d’une dent de loup on peut se servir d’une dent de chien, en prenant les plus aigues & les plus fortes. On se servira fort bien au même usage, d’un morceau d’acier travaillé en forme de dent, limé, bien uni ; car la moindre inégalité suffit pour écorcher l’or. Voyez la Pl. II. fig. 1. de Reliure.
Dent de rat, (Ruban.) petit ornement qui se forme sur les lisieres de plusieurs ouvrages : il ressemble assez à la denture d’une scie ; mais l’usage est de le nommer dent de rat. Voici comment on l’exécute. Il y a sur les deux extrémités des ouvrages à dent de rat, de chaque côté, un fer ou un bout de fil de laiton, droit, fixé au bout d’une ficelle, qui elle-même est arrêtée aux bouts en-dedans des potenceaux. Ces fers viennent passer à travers le peigne. dont on a ôté une dent de chaque côté, pour leur donner le passage ; ils aboutissent ainsi à la poitriniere. J’ai dit plus haut qu’il falloit qu’ils fussent droits, pour pouvoir facilement sortir de l’ouvrage après avoir fait leur effet, qui consiste à lever sur certaines marches, & à recevoir par ces levées la trame : d’autres marches ensuite ne levant pas ces fers, la lisiere se travaille à l’ordinaire, & ainsi de même alternativement. Chaque fois que l’ouvrier tire sa tirée, les fers qui sont fixés, ainsi qu’il a été dit, glissent dans l’ouvrage, ou plûtôt sortent de l’ouvrage où ils sont comme engainés ; & cedant à cet effort, l’ouvrage s’en trouve dégagé, & la dent de rat faite.
* Dent, (Serrur.) ce sont ces divisions ou refentes qu’on voit en plus ou moins grand nombre sur le museau du panneton de la clé. Les parties de la serrure dans laquelle passent les dents, s’appellent le rateau ; ainsi il y a toûjours une dent de plus à la clé qu’au rateau. Voyez Rateau & Serrure.
* Dent de loup, (Serrur.) espece de clou fait en coin, ou plûtôt en clavette, car il est extrèmement plat ; & si on suppose la clavette pointue, elle représentera très-bien le clou à dent de loup. On s’en sert ordinairement dans la charpente, pour arrêter les piés des chevrons, & autres pieces de bois qui ne sont point assemblées à tenons & à mortoises ; & l’on pourroit s’en servir dans la maçonnerie, pour arrêter les plâtres sur le bois, lorsque l’épaisseur des plâtres exige cette précaution.
Dents, (Faire les) en terme de Tabletier-Cornetier ; c’est proprement les tracer ou les marquer, avant de les percer tout-à-fait.
Dent de peigne, chez les Tisserands & tous les ouvriers qui travaillent de la navette ; ce sont les petites cloisons ou de roseau ou de fer, qui forment les espaces dans lesquels passent les fils de la chaîne d’une étoffe ou d’une toile : on les appelle aussi dents de rot, parce que le peigne de ces métiers, & principalement de celui des Tisserands en toile, se nomme rot. Voyez Peigne.
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