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gands punis pour leurs crimes, qu’on avoit salées pour les conserver. C’est ainsi que cet impie traite les moines & les religieux ; il falloit que la licence fût encore bien grande du tems qu’on écrivoit de pareilles choses sur la religion des empereurs.

Ruffin ne manque pas de nous rapporter qu’on trouva le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts, & des machines disposées pour les fourberies des prêtres. Il nous apprend entre autres choses, qu’il y avoit à l’orient du temple une petite fenêtre par où entroit à certains jours un rayon du soleil qui alloit donner sur la bouche de Sérapis. Dans le même tems on apportoit un simulacre du soleil qui étoit de fer, & qui étant attiré par de l’aimant caché dans la voûte, s’élevoit vers Serapis. Alors on disoit que le soleil saluoit ce dieu ; mais quand le simulacre de fer retomboit, & que le rayon se retiroit de dessus la bouche de Sérapis, le soleil lui avoit assez fait sa cour, & il alloit à ses affaires.

L’oracle de Sérapis à Babylone, rendoit ses réponses en songe. Lorsqu’Alexandre tomba malade tout-d’un-coup à Babylone, quelques-uns des principaux de sa cour allerent passer une nuit dans le temple de Sérapis, pour demander à ce dieu s’il ne seroit point à propos de lui faire apporter le roi afin qu’il le guérît. Le dieu répondit qu’il valoit mieux pour Alexandre qu’il demeurât où il étoit. Sérapis avoit raison ; car s’il se le fût fait apporter, & qu’Alexandre fût mort en chemin, ou même dans le temple, que n’eût-on pas dit ? Mais si le roi recouvroit sa santé à Babylone, quelle gloire pour l’oracle ? S’il mouroit, c’est qu’il lui étoit avantageux de mourir après des conquêtes qu’il ne pouvoit augmenter ni conserver. Il s’en fallut tenir à cette derniere interprétation, qui ne manqua pas d’être tournée à l’avantage de Sérapis, sitôt qu’Alexandre fut mort. (D. J.)

Oracle de Trophonius, (Théologie payenne.) Trophonius, héros selon les uns, brigand selon les autres, étoit frere d’Agamedes, & tous deux fils d’Erginus, roi des Orchoméniens. Leurs talens pour l’architecture les fit rechercher de plusieurs princes, par l’ordre desquels ils bâtirent des temples & des palais. Dans celui qu’ils construisirent pour Hyricus ils ajusterent une pierre de maniere qu’elle pouvoit s’enlever la nuit, & ils entroient par-là pour aller voler les trésors qui y étoient renfermés. Le prince qui voyoit diminuer son or, sans que les serrures ni les cachets fussent rompus, dressa des piéges au tour de ses coffres, & Agamedès s’y trouvant arrêté, Trophonius lui coupa la tête de peur qu’il ne le découvrît dans les tourmens qu’on lui auroit fait souffrir si on l’avoit pris en vie. Comme Trophonius disparut dans le moment, on publia que la terre l’avoit englouti dans le même endroit, & la superstition alla sur une réponse de la Pithie de Delphes, jusqu’à mettre ce scélérat au rang des demi-dieux, & à lui élever un temple où il recevoit des sacrifices & prononçoit des oracles en Béotie, qui devinrent les plus pénibles & les plus célebres de tous ceux qui se rendirent en songe. Pausanias qui avoit été lui-même le consulter, & qui avoit passé par toutes ces cérémonies, nous en a laissé une description fort ample, dont je crois qu’on sera bien aise de trouver ici un abrégé exact.

Avant que de descendre dans l’antre de Trophonius, il falloit passer un certain nombre de jours dans une espece de petite chapelle qu’on appelle de la bonne fortune & du bon génie. Pendant ce tems on recevoit des expiations de toutes les sortes ; on s’abstenoit d’eaux chaudes ; on se lavoit souvent dans le fleuve Hircinas ; on sacrifioit à Trophonius & à toute sa famille, à Apollon, à Jupiter surnommé Roi, à Saturne, à Junon, à une Cérès Europe qui

avoit été nourrice de Trophonius, & on ne vivoit que des chairs sacrifiées. Les prêtres apparemment ne vivoient aussi d’autre chose. Il falloit consulter les entrailles de toutes ces victimes, pour voir si Trophonius trouvoit bon que l’on descendît dans son antre ; mais quand elles auroient été toutes les plus heureuses du monde, ce n’étoit encore rien, les entrailles qui décidoient étoient celles d’un certain bélier qu’on immoloit en dernier lieu. Si elles étoient favorables, on vous menoit la nuit au fleuve Hircinas. Là deux jeunes enfans de douze ou treize ans vous frottoient tout le corps d’huile : ensuite on vous conduisoit jusqu’à la source du fleuve, & on vous y faisoit boire de deux sortes d’eaux, celles de Léthé qui effaçoient de votre esprit toutes les pensées profanes qui vous avoient occupé auparavant, & celles de Mnémosine, qui avoit la vertu de vous faire retenir tout ce que vous deviez voir dans l’antre sacré. Après tous ces préparatifs on vous faisoit voir la statue de Trophonius, à qui vous faisiez vos prieres ; on vous équipoit d’une tunique de lin ; on vous mettoit de certaines bandelettes sacrées, & enfin vous alliez à l’oracle.

L’oracle étoit sur une montagne dans une enceinte faite de pierre blanche, sur laquelle s’élevoient des obélisques d’airain. Dans cette enceinte étoit une caverne de la figure d’un four, taillée de main d’homme. Là s’ouvroit un trou où l’on descendoit par de petites échelles. Quand on y étoit descendu on trouvoit une autre petite caverne dont l’entrée étoit assez étroite. On se couchoit à terre ; on prenoit dans chaque main de certaines compositions de miel ; on passoit les piés dans l’ouverture de la petite caverne, & pour-lors on se sentoit emporté au-dedans avec beaucoup de vîtesse.

C’étoit là que l’avenir se déclaroit, mais non pas à tous d’une même maniere. Les uns voyoient, les autres entendoient, vous sortiez de l’antre couché par terre comme vous y étiez entré, & les piés les premiers. Aussi-tôt on vous menoit dans la chaise de Mnémosine où l’on vous demandoit ce que vous aviez vû ou entendu. De-là on vous ramenoit dans cette chapelle du bon génie, encore tout étourdi & tout hors de vous, vous repreniez vos sens peu-à-peu, & vous commenciez à pouvoir rire ; car jusques-là, la grandeur des mysteres, & la divinité dont vous étiez rempli, vous en avoient empêché : pour moi il me semble qu’on n’eût pas dû attendre si tard à rire.

Pausanias nous dit qu’il n’y a jamais eu qu’un homme qui soit entré dans l’antre de Trophonius & qui n’en soit pas sorti. C’étoit un certain espion que Démétrius y envoya pour voir s’il n’y avoit pas dans ce lieu saint quelque chose qui fût bon à piller : on trouva loin de-là le corps de ce malheureux, qui n’avoit point été jetté dehors par l’ouverture sacrée de l’antre.

Voici les réflexions sensées dont M. de Fontenelle accompagne ce récit. « Quel loisir, dit-il, n’avoient pas les prêtres pendant tous ces différens sacrifices qu’ils faisoient faire, d’examiner si on étoit propre à être envoyé dans l’antre ? car assurément Trophonius choisissoit ses gens, & ne recevoit pas tout le monde. Combien toutes ces ablutions, & ces expiations, & ces voyages nocturnes, & ces passages dans des cavernes obscures, remplissoient-elles l’esprit de superstition, de frayeur & de crainte ? combien de machines pouvoient jouer dans ces ténebres ? L’histoire de l’espion de Démétrius nous apprend qu’il n’y avoit pas de sureté dans l’antre, pour ceux qui n’y apportoient pas de bonnes intentions ; & de plus qu’outre l’ouverture sacrée qui étoit connue de tout le monde, l’antre en avoit une secrette qui n’étoit connue que des prêtres.