Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/218

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ne sont si variées & si multipliées, & n’existent même que dans l’imagination de quelques oisifs spéculateurs : il voit d’ailleurs que quand même la matiere de la transpiration seroit âcre, ce seroit une mauvaise raison que d’attribuer la même âcreté au sang & à la lymphe. L’axiome allégué, vrai dans quelques occasions, est un pur sophisme dans le cas dont il s’agit. L’épaississement de la lymphe n’est pas mieux fondé, & cette froide explication de la formation des tumeurs, démontre dans ses auteurs une connoissance bien peu exacte de l’œconomie animale, de la marche des liqueurs, de l’action des vaisseaux, de leur vice & de leur méchanisme ; mais enfin, si l’on n’avoit que ces défauts à reprocher à cette théorie, le mal ne seroit pas grand, & absurdités pour absurdités, celles-là pourroient aussi-bien passer que tant d’autres qui ont été dites ou avant ou après ; & nous aurions toujours l’avantage d’avoir, en avançant, une erreur de moins à craindre : plus on a fait de fautes, & moins on nous en laisse à faire. Mais ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que ces principes erronés ont donné lieu à des conséquences pernicieuses ; une fausse théorie a établi une mauvaise pratique, surtout dans le traitement des maladies chroniques de la peau. Si toutes les humeurs sont âcres, a-t-on dit, si leur acrimonie est la base, le fondement & la cause premiere de ces maladies, il n’y aura qu’à la détruire pour en faire cesser les effets. Jettons donc dans le sang des médicamens aqueux, doux, mucilagineux, nous noyerons les sels, adoucirons leur âcreté, envelopperons & engaînerons, pour ainsi dire, leur pointe ; en même tems les vaisseaux enduits par ces sucs gras, onctueux, seront moins susceptibles d’irritation ; défendus par ce bouclier, ils seront à l’abri des picotemens de ces globules pointus, ils résisteront à leur action, aux efforts plus foibles qu’ils font pour pénétrer dans leur tissu, alors aussi la quantité de liquide aqueux qui servira de véhicule à ces médicamens, délayera la lymphe, & le sang diminuera sa cohésion, le voisinage des globules ; par ce moyen ces deux vices fondamentaux du sang seront efficacement corrigés ; les humeurs seront édulcorées & rendues plus fluxiles, par conséquent plus de stagnation, plus d’engorgement & plus de tumeur, en même-tems plus d’irritation, plus de picotement, & par là même, cessation entiere de la démangeaison & de la douleur ; & par une suite nécessaire ultérieure, le calme le plus parfait, l’harmonie & l’uniformité sont rétablies dans l’œconomie animale. Voilà comme ces médecins guérissent dans leurs cabinets & leurs consultations : les indications sont très-naturelles, les remedes répondent exactement aux indications ; mais malheureusement le succès n’y répond pas : c’est un fort joli roman ; mais il n’y a rien de réel ; les situations sont bien ménagées, bien amenées ; mais elles sont imaginées : les caracteres sont bien soutenus ; mais ils sont faux, ils n’existent pas dans la nature. L’observation s’accorde ici avec la raison pour détruire de fond en comble cet édifice superbe & régulier. Tous les bouillons adoucissans de poulet, de grenouilles, de limaçon, &c. ne font que passer sur l’estomac de ces malades, ils ne touchent rien du tout à la maladie ; il en est de même du lait, remede si vanté, si célebre, si souvent & si vainement employé dans ces maladies. J’ai par-devers moi plusieurs observations qui constatent l’inefficacité de ces médicamens. Voyez Lait.

Je ne m’arrête pas davantage à réfuter ces systèmes produits de l’imagination : qui vult videre videat. Je n’ajouterai que quelques remarques pratiques sur la nature & le traitement de ces maladies, remarques fondées sur l’observation, & conformes à la raison.

1°. Les maladies aiguës de la peau sont ordinairement un espece de dépôt critique qui purge la mas-

se du sang infectée, salutaire par son siege aux parties

extérieures, & par la fievre qui les accompagne ; elle en est le remede le plus prompt, le plus sûr, &, pour mieux dire, l’unique : la petite vérole peut servir d’exemple. Voyez ce mot.

Les maladies chroniques privées du secours de la fievre, exigent les secours de l’art ; elles ne guérissent pas sans remedes. Il y en a qui dépendent d’une cause spécifique, particuliere, qui ne peut être combattue & détruite que par des remedes spécifiques particuliers ; la Medecine rationnelle est bien peu avancée sur ce qui les regarde ; le peu de lumieres qu’on a est dû à l’empirisme : telles sont la vérole, la gale, le scorbut ; ce n’est pas le théoricien qui a trouvé en raisonnant le mercure, le soufre, & le cochléaria ; c’est le hasard qui les a découverts inopinément à l’empirique étonné.

3°. Toutes les affections cutanées, opiniâtres, souvent périodiques, dépendent sans doute immédiatement, de même que toutes les maladies de la peau, d’un vice dans la transpiration. Quelques faits bien appréciés sont penser que les dérangemens dans l’action du foie, dans la sécrétion de la bile, sont les causes très-ordinaires du vice de la transpiration. Nous ne prétendons pas expliquer le méchanisme, la façon d’agir de ces causes ; nous avouons notre ignorance là-dessus, & cet aveu nous le faisons sans peine & souvent : il nous paroît préférable à des opinions hasardées, ou bâties sur des fondemens peu solides ; nous ne saurions adopter ni comme vérité, ni même comme simple hypothèse, le sentiment de ceux qui voudroient faire refluer la bile mal séparée & excernée, excreta, en petite quantité du foie dans le sang, & de-là dans les vaisseaux cutanés où elle corrompt, infecte la matiere de l’insensible transpiration, en diminue la quantité. Cette marche nous paroît trop peu conforme aux lois bien approfondies de l’œconomie animale. La fausseté de cette théorie ne nous semble point équivoque ; elle se sent, mais elle n’est pas démontrable.

4°. C’est dans ces maladies que le médecin doit agir, la nature est insuffisante ; la méthode la plus sûre, est de rétablir & de favoriser la transpiration ; c’est l’indication qui se présente d’abord, magis obvia ; les bains domestiques un peu chauds sont très-appropriés ; ils gueriroient seuls, si le vice n’étoit qu’à l’extérieur, si la transpiration seule péchoit ; mais ils n’operent jamais une guérison complette ; je me suis servi avec un succès surprenant d’un remede composé avec le soufre & le mercure doux, dans une teigne invéterée, qui avoit été long-tems traitée inutilement, par tous les remedes que la médecine & la superstition suggerent. Les extraits amers sont très-appropriés, celui de fumeterre est regardé presque comme spécifique. On les donne ordinairement avec du petit-lait, auquel on pourroit substituer, sans risquer de perdre beaucoup de vertu médicamenteuse, l’eau simple ou aiguisée avec un peu de sucre, de nitre ou de sel de Glauber ; l’aloës joint au tartre vitriolé a opéré des guerisons merveilleuses : ces remedes un peu actifs, irritans, réussissent mieux & sans inconveniens, quand on les tempere par l’usage des bains d’ailleurs avantageux ; les purgatifs résineux, cholagogues, ne doivent point être négligés, leur action n’est point indifférente dans ces maladies, elle est sur-tout nécessaire chez les enfans. Les eaux minérales sulphureuses sont encore un secours très-assuré ; l’on éprouve de très-bons effets de celles qui sont acidules, salées, ferrugineuses & légerement purgatives. Quelqu’efficaces que soient ces différens médicamens, que le médecin éclairé peut varier suivant les circonstances, il faut y joindre un régime convenable : on peut tirer des observations que l’illustre & patient Sanctorius a eu la générosité de fai-