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chaleur au geste & à la pantomime ; & depuis ce moment l’opéra, canticum, est exécuté par deux sortes d’acteurs qui représentent un même sujet en même tems, sur les mêmes airs, sur les mêmes mesures, sur la même scène, les uns par le chant, les autres par la danse ou pantomime. L’histrion, ou le pantomime ne chante plus que de la main, histrionibus fabularum actus relinquitur ; & le chanteur ne joue plus que de la voix. La voix d’accord avec la flûte explique en chantant le sujet, tandis que la danse d’accord avec la mesure du chant, l’exécute en gesticulant. Ad manum cantatur.... Diverbia voci relicta. Voyez Tite-Live.

Ce que le hasard établit jadis sur le théâtre de Rome, une imitation réfléchie devroit nous le faire adopter dans l’exécution de notre poëme lyrique. Par ce moyen nos castrats qui sont ordinairement des chanteurs si excellens, & des acteurs si médiocres, ne seroient plus que des instrumens parlans placés dans l’orchestre & le plus près de la scène qu’il seroit possible. Ils exécuteroient la partie du chant avec une supériorité dont rien ne pourroit les distraire, tandis qu’un habile pantomime exécuteroit la partie de l’action avec la même chaleur & la même expression.

Plus on pénétrera l’esprit du poëme lyrique, plus on sera engoué de cette idée. L’opéra ainsi exécuté ne seroit plus restreint à ne charmer qu’un petit nombre d’hommes excessivement sensibles & qui entendent le langage de la musique. Le plus ignorant d’entre le peuple seroit aussi avancé que le plus grand connoisseur, parce que le pantomime auroit soin de lui traduire la musique mot pour mot, & de rendre intelligible à ses yeux ce qu’il n’a pu entendre de ses oreilles.

Cette maniere d’exécuter le poëme lyrique rendroit aussi au poëte & au compositeur l’empire que le chanteur & l’entrepreneur ont usurpé sur eux. Tout ce qui ne tient pas au fond du sujet ne seroit plus supportable sur ce théâtre. Tout le style figuré & épique disparoîtroit des ouvrages dramatiques : car quel geste le pantomime trouveroit-il pour l’expression de telles paroles & de tels airs ? & comment nous feroit-il sentir, sans devenir ridicule, qu’il ressemble à un coursier indompté & fier, ou qu’il se compare à un vaisseau battu par la tempête ? Les situations les plus pathétiques ne seroient plus énervées par des épisodes froids & subalternes. Le poëte, peu embarrassé de la durée du spectacle & du nombre des acteurs, conduiroit son sujet par une intrigue simple, forte & rapide à la catastrophe que l’histoire ou la nature des choses auroit indiquée. Je ne sais combien d’actes, combien de décorations, combien d’acteurs il faudroit pour l’opéra d’Andromaque ou de Didon ainsi construit & exécuté ; mais je sais que ces sujets dépouillés de tout ce qui les défigure & les énerve, feroient les impressions les plus profondes & les plus terribles. Le musicien n’auroit rien changé à son faire ; le poëte auroit rapproché le sien de la simplicité & de la force du théâtre d’Athènes, & la représentation théâtrale auroit acquis une vérité & un charme dont il seroit téméraire de marquer les effets & les bornes.

Supposé que la durée d’un drame ainsi serré ne remplisse pas le tems consacré au spectacle, rien n’empêcheroit d’imiter encore l’usage d’Athènes en représentant plus d’une piece. Le poëme lyrique chanté & dansé seroit suivi du poëme-ballet : celui-ci seul seroit peut-être propre à représenter quelques instans d’un merveilleux visible.

Mais le sort de l’homme veut que sa petitesse paroisse toujours à côté de ses plus sublimes efforts de génie ; & nous mettons dans les affaires les plus sérieuses tant de négligence & d’inconséquence, qu’il ne faut pas nous croire capables de l’obstination &

de la persévérance nécessaires à la perfection d’un simple art d’amusement. Et le sort des empires, & le sort des théâtres sont l’ouvrage du hasard : tout dépend de ce concours de circonstances qu’un heureux ou un mauvais hasard rassemble. Qu’il paroisse quelque part en Europe un grand prince ; & après avoir acquis par ses travaux le droit de consacrer un glorieux loisir à la culture des Beaux Arts, qu’il porte ses vûes sur le plus beau de tous, & l’art dramatique deviendra sous son regne le plus grand monument érigé à la félicité publique & à la gloire du génie de l’homme.

Les Italiens ont un poëme lyrique qu’ils appellent oratorio ; ce sont des drames dont le sujet est tiré de nos livres sacrés. On les a quelquefois joués sur des théâtres élevés dans les églises ; mais ces exemples sont rares, & communément on ne fait aucun usage de ces pieces. Il est étonnant que la puissance spirituelle, qui favorise si fort en Italie les pompes religieuses, n’ait pas secondé la Poésie & la Musique dans le dessein de se consacrer à la Religion. De tels spectacles auroient pu devenir très-augustes & très-intéressans dans la célébration des solemnités de l’Eglise.

Il ne seroit pas singulier qu’un homme de goût fît plus de cas des oratorio de Metastasio, que de ses opéra les plus célebres. On s’apperçoit bien que le poëte n’y a pas été assujetti à une foule de lois arbitraires & absurdes, qui n’ont tendu qu’à le gêner & qu’à défigurer le poëme lyrique.

Le compositeur pourroit se permettre dans l’oratorio un style plus élevé, plus figuré que celui de l’opéra. La religion qui rend ce drame sacré, semble aussi autoriser le musicien d’éloigner ses personnages un peu plus de la nature par des accens moins familiers à l’homme, & par une plus forte poésie. Cet article est de M. Grimm.

Poeme philosophique, (Poésie didactiq.) espece de poëme didactique dans lequel on emprunte le langage de la Poésie, pour traiter par principes des sujets de morale, de physique ou de métaphysique. On y raisonne, on y cite des autorités, des exemples, on tire des conséquences. Tel est l’ouvrage de Lucrece parmi les anciens, celui de Pope parmi les modernes.

Le poëme philosophique doit tendre sur toutes choses à la lumiere, parce que le but des sciences est d’éclairer. Ainsi la méthode doit y être plus sensible que dans les autres poëmes didactiques & dans les poëmes de pure fiction. Ceux-là échauffent le cœur, ceux-ci éclairent l’esprit ou dirigent ses facultés. Il est donc moins permis d’y jetter des digressions qui empêchent de suivre le fil du raisonnement. Par la même raison, on s’attachera moins à y mettre des figures vives & poétiques, à moins qu’elles ne concourent à la clarté en donnant du corps aux pensées ; car autrement, il y auroit de la petitesse à sacrifier la netteté & la précision à l’éclat d’un beau mot, aussi Lucrece suit-il constamment son objet. On ne le voit point au milieu d’un raisonnement, s’égarer dans des descriptions inutiles à son but. Il en a quelques-unes dont la matiere pourroit se passer ; mais il les place tellement, soit devant, soit après ses argumens, qu’elles servent, ou à préparer l’esprit à ce qu’il va dire, ou à le délasser, après lui avoir fait faire des efforts. Princip, de littérat. (D. J.)

Poeme en prose, (Belles-Lettres.) genre d’ouvrage où l’on retrouve la fiction & le style de la poésie, & qui par-là sont de vrais poëmes, à la mesure & à la rime près ; c’est une invention fort heureuse. Nous avons obligation à la poésie en prose de quelques ouvrages remplis d’avantures vraissemblables, & merveilleuses à la fois, comme de préceptes sages & praticables en même tems, qui n’auroient peut-