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toujours fondée sur le même titre. Voyez la pragmatique, § de pacificis possess. & la glose ; le concordat de pacifiq. possess. §. staiuimus, d’Héricourt, chap. de la prise de possession. Bouchel, somme de ref. verbo patronage. Pérard & Castel.

Possession vicieuse est celle qui est infectée de quelque défaut, comme de mauvaise foi, ou qui est furtive ou fondée sur quelque titre vicieux. (A)

Possession du démon, (Théolog.) état d’une personne dont le démon s’est emparé, dans le corps de laquelle il est entré, & qu’il tourmente.

On met cette différence entre l’obsession & la possession du démon, que dans la premiere le démon agit au-dehors, & que dans l’autre il agit au-dedans. Voyez Obsession.

Les exemples de possession sont communs sur-tout dans le nouveau Testament. Jesus-Christ & ses apôtres ont guéri une infinité de possédés, & les histoires ecclésiastiques en fournissent encore un grand nombre ; mais comme on fait par plusieurs expériences, que souvent on a abusé de la crédulité des simples par des obsessions & des possessions feintes & supposées ; quelques prétendus esprits forts se sont imaginés que toutes ces obsessions ou possessions étoient des maladies de l’esprit, & des effets d’une imagination fortement frappée ; que quelquefois des personnes se croyoient de bonne-foi possédées ; que d’autres feignoient de l’être, pour parvenir à certaines fins ; qu’en un mot il n’y avoit ni possessions ni obsessions véritables ; & voici les raisons sur lesquelles ils se fondent.

Le démon, dit-on, ne peut naturellement agir sur nos corps. Il est d’une nature toute spirituelle, & ne peut par sa seule volonté, remuer nos membres, ni agir sur nos humeurs & nos organes, sans une permission expresse de Dieu. S’il avoit naturellement ce pouvoir, tout le monde seroit plein de possédés & d’obsédés : il exerceroit à tout moment sa haine contre les hommes, & feroit éclater sa puissance & son empire avec tout l’éclat dont son orgueil pourroit s’aviser. Combien ne verroit-on pas tous les jours d’hommes possédés, agités, tourmentés, précipités, étouffés, étranglés, brûlés, noyés, &c. si l’on accordoit au démon le pouvoir dont nous parlons ? Si l’on dit que Dieu modere ce pouvoir, qu’il reprime le démon, & ne lui permet pas d’exercer sa malice contre des pécheurs & des mechans, ne voyons-nous pas au contraire que ce malin esprit obsede ou possede des personnes très-innocentes ? On fait ce qu’il fit souffrir à Job : on voit des enfans possédés & d’autres personnes dont la vie paroît avoir été sans crime & sans desordre.

Pour quoi, ajoutent-ils, ne voit-on des possédés qu’en certains tems & dans certains pays ? Qu’il y a des nations entieres où on ne connoît point de possédés ? D’où vient que l’on n’en voit que dans les pays dont les peuples sont superstitieux, & que ces accidens n’arrivent qu’à des personnes d’un esprit peu solide, & d’un tempérament melancolique ? Qu’on examine tous ceux ou celles qui se disent ou qui se sont dits possédés ou possédées, il est certain qu’il ne s’en trouvera aucun qui n’ait quelques-unes des qualités ou des foiblesses dont on vient de parler.

Si l’on suppose, continuent-ils, que le démon arrête ou suspend les opérations de l’ame d’un possédé pour se mettre lui-même eu la place de l’ame, ou même que plusieurs démons agitent & possedent un même homme, la difficulté sera encore plus grande. Comment concevoir cette ame qui n’agit plus dans le corps qu’elle anime, & qui se livre, pour ainsi dire, au pouvoir du démon ? Comment tant de mauvais esprits peuvent-ils s’accorder à gouverner un seul homme ? Si tout cela se peut faire sans miracle, que deviendra la preuve des miracles pour les incrédules ? Ne diront-ils pas que tout ce qu’on appelle

miracles, sont des opérations du démon ? Et s’il faut un miracle pour qu’un homme soit possédé du démon, voilà Dieu auteur, ou au moins coopérateur du démon dans les obsessions & dans les possessions des hommes.

Enfin, disent-ils, on a tant d’exemples de choses toutes naturelles, qui toutefois paroissent surnaturelles, qu’on a lieu de croire que ce qu’on appelle possessions du démon n’est pas d’autre sorte. Tant de gens s’imaginent être changés en loups, en bœufs, être de verre ou de beurre, être devenus rois ou princes ; personne dans ces cas ne recourt au démon ni au miracle : on dit tout simplement que c’est un dérangement dans le cerveau, une maladie de l’esprit ou de l’imagination, causée par une chaleur de visceres, par un excès de bile noire ; personne n’a recours aux exorcismes ni aux prêtres : on va aux médecins, aux remedes, aux bains ; on cherche des expédiens pour guérir l’imagination du malade, ou pour lui donner une autre tournure. N’en seroit-il pas de même des possédés ? Ne réussiroit-on pas à les guérir par des remedes naturels, en les purgeant, les raffraîchissant, les trompant artificieusement, & leur faisant croire que le démon s’est enfui & les a quittés ? On a sur cela des expériences fort singulieres ; mais quand on les rapporteroit, les partisans des possessions diroient toujours que ces gens-la n’étoient pas possédés ; qu’ils ne nient pas qu’il n’y ait dans cette matiere bien de l’illusion, mais qu’ils soutiennent que parmi ce grand nombre d’énergumenes, on ne peut nier qu’il n’y en ait eu de vraiment possédés. Les autres soutiennent qu’il n’y en a aucun, & qu’on peut expliquer naturellement tout ce qui arrive aux possédés, sans recourir au démon. C’est-là tout le nœud de la difficulté.

Les défenseurs de la réalité des possessions du démon, remarquent que si tout cela n’étoit qu’illusion, J. C. les apôtres & l’Eglise seroient dans l’erreur, & nous y engageroient volontairement en parlant, en agissant, en priant, comme s’il y avoit de vrais possédés. Le Sauveur parle & commande aux démons qui agitoient les énergumenes : ces démons répondent, obéissent, & donnent des marques de leur présence, en tourmentant ces malheureux qu’ils étoient obligés de quitter ; ils leur causent de violentes convulsions, les jettent par terre, les laissent comme morts ; se retirent dans des pourceaux, & précipitent ces animaux dans la mer. Peut-on nommer cela illusion ? Les prieres & les exorcismes de l’Eglise ne sont-ils pas un jeu & une momerie, si les possédés ne sont que des malades imaginaires ? Jesus-Christ dans S. Luc, c. vij. v. 20 & 21. donne pour preuve de sa mission, que les démons seront chassés : & dans S. Marc, chap. xvij. v. 17. il promet à ses apôtres le même pouvoir. Tout cela n’est-il que chimere ?

On convient qu’il y a plusieurs marques équivoques d’une vraie possession, mais il y en a aussi de certaines. Une personne peut contrefaire la possédée, & imiter les paroles, les actions & les mouvemens d’un énergumene ; les contorsions, les cris, les hurlemens, les convulsions, certains efforts qui paroissent venir du surnaturel, peuvent être l’effet d’une imagination échauffée, ou d’un sang mélancolique, ou de l’artifice : mais que tout-d’un-coup une personne entende des langues qu’elle n’a jamais apprises ; qu’elle parle de matieres relevées qu’elle n’a jamais étudiées ; qu’elle découvre des choses cachées & inconnues ; qu’elle agisse & qu’elle parle d’une maniere fort éloignée de son inclination naturelle ; qu’elle s’éleve en l’air sans aucun secours sensible ; que tout cela lui arrive sans qu’on puisse dire qu’elle s’y porte par intérêt, par passion, ni par aucun motif naturel, si toutes ces circonstances, ou la plûpart d’entr’elles,