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qu’autant qu’ils sont demandés avant qu’on ait coupé pour le coup suivant. Car si les cartes étoient mêlées & coupées sans qu’on les eût demandés, on ne seroit plus en droit de se les faire payer.

Prendre, sans prendre, au médiateur, est lorsque quelque joueur a dans son jeu de quoi faire six levées sans le secours de personne ; il gagne alors seul, & se fait payer ce qui est dû en pareil cas. Voyez l’article du Médiateur.

PRENEUR, s. m. (Gram.) celui qui prend. Voyez l’article Prendre. On dit preneur de villes, preneur d’oiseaux, preneur de tabac, &c.

Preneur, (Jurisprudence.) est un terme usité dans les baux à cens ou à rente, pour exprimer celui qui prend à cens ou à rente l’héritage. Bailleur est celui qui donne l’héritage, le preneur celui qui le reçoit. Voyez Bail a rente, Bailleur, Cens, Rente. (A)

Preneur, vaisseau preneur, (Marine.) c’est celui qui a fait une prise.

PRENOM, s. m. (usage des Romains.) le prénom, prænomen, étoit un nom qui se mettoit devant le nom de famille ; il revient à notre nom propre, qui sert à distinguer les freres d’une même famille, quand nous les appellons Pierre, Jean, Louis.

Le prénom ne fut introduit chez les Romains que longtems après le nom de famille qu’ils avoient coutume d’imposer aux enfans le neuvieme jour après leur naissance pour les garçons ; & le huitieme pour les filles ; on les reconnoissoit pour légitimes par cette cérémonie ; mais on ne leur donnoit le prénom, que lorsqu’ils prenoient la robe virile, c’est-à-dire, environ à l’âge de dix-sept ans. Le prénom du pere se donnoit ordinairement au fils aîné, & celui du grand-pere & des ancêtres au second fils, & aux autres suivans.

Il faut encore remarquer, qu’il n’y avoit que les gens d’une condition libre qui eussent un prénom, ou, comme l’on dit, un nom avant le nom propre, tel que Marcus, Quintus, Publius ; c’est pour cette raison que les esclaves une fois affranchis & gratifiés des faveurs de la fortune, ne manquoient pas de prendre ces prénoms, & d’être enchantés qu’on les distinguât par ces prénoms. Perse dit :

Momento turbinis exit
Marcus Dama.

« de Dama qu’il étoit, il devint aussi-tôt Marcus Dama ». Ces prénoms Marcus, Quintus, Publius, &c. étoient pour ces gens-là, ce que le monseigneur est aujourd’hui pour un évêque. Cicéron nous apprend que les prénoms avoient une sorte de dignité, parce qu’on ne les donnoit qu’aux hommes & aux femmes d’une certaine naissance. (D. J.)

PRÉNOTION, s. f. (Gram. & Métaphysiq.) notion anticipée des choses. En ce sens les prénotions sont des chimeres. Si l’on entend par ce mot des connoissances superficielles, qu’on prend au premier coup d’œil, qu’on étend & apronfondit par l’expérience & par l’étude ; c’est la marche de l’esprit humain, & nous commençons tous par la prénotion pour arriver à la science.

PRENSLOW, (Géog. mod.) petite ville d’Allemagne, dans la Marche de Brandebourg, au canton d’Ukermarck, dont elle est le chef lieu, sur le lac Ukerzée, à 18 lieues au nord de Berlin. (D. J.)

PRÉOCCUPATION, s. f. (Métaphysiq.) la préoccupation, selon le pere Mallebranche, ôte à l’esprit qui en est rempli, ce qu’on appelle le sens commun. Un esprit préoccupé ne peut plus juger sainement de tout ce qui a quelque rapport au sujet de sa préoccupation ; il en infecte tout ce qu’il pense. Il ne peut même guere s’appliquer à des sujets entierement éloignés de ceux dont il est préoccupé. Ainsi, un

homme entêté, par exemple, d’Aristote ne peut goûter qu’Aristote : il veut juger de tout par rapport à Aristote : ce qui est contraire à ce philosophe lui paroît faux : il aura toujours quelque passage d’Aristote à la bouche : il le citera en toutes sortes d’occasions, & pour toutes sortes de sujets ; pour prouver des choses obscures, & que personne ne conçoit, pour prouver aussi des choses très-évidentes, & desquelles des enfans même ne pourroient pas douter ; parce qu’Aristote lui est ce que la raison & l’évidence sont aux autres.

La préoccupation se rencontre dans les commentateurs, parce que ceux qui entreprennent ce travail, qui semble de soi peu digne d’un homme d’esprit, s’imaginent que leurs auteurs méritent l’admiration de tous les hommes. Ils se regardent aussi comme ne faisant avec eux qu’une même personne ; & dans cette vue l’amour-propre joue admirablement bien son jeu. Ils donnent adroitement des louanges avec profusion à leurs auteurs ; ils les environnent de clartés & de lumiere ; ils les comblent de gloire, sachant bien que cette gloire rejaillira sur eux-mêmes. Cette idée de grandeur n’éleve pas seulement Aristote ou Platon dans l’esprit de beaucoup de gens, elle imprime aussi du respect pour tous ceux qui les ont commentés, & tel n’auroit pas fait l’apothéose de son auteur, s’il ne s’étoit imaginé comme enveloppé dans la même gloire.

Les inventeurs de nouveaux systèmes sont sur-tout extrémement sujets à la préoccupation. Lorsqu’ils ont une fois imagine un système qui a quelque vraissemblance, on ne peut plus les en détromper. Leur esprit se remplit tellement des choses qui peuvent servir en quelque maniere à le confirmer, qu’il n’y a plus de place pour les objections qui lui sont opposées. Ils ne peuvent distraire leur vue de l’image de vérité que portent leurs opinions vraissemblables, pour la porter sur d’autres faces de leurs sentimens, lesquelles leur en découvriroient la fausseté.

La préoccupation se décele d’une maniere bien sensible dans les personnes, à qui il suffit qu’une opinion soit populaire pour qu’ils la rejettent. Les opinions singulieres ont seules le privilege de captiver leurs esprits, soit que l’amour de la nouveauté ait pour eux des appas invincibles, soit que leur esprit, d’ailleurs éclairé, ait été la dupe de leur cœur corrompu, soit que l’irréligion soit l’unique moyen qu’ils aient de percer la foule, de se distinguer, & de sortir de l’obscurité, à laquelle le sort jaloux semble les avoir condamnés. Ce que la nature leur refuse en talent, l’orgueil le leur rend en impiété. Ils méritent qu’on les méprise assez pour leur laisser cette estime flétrissante, qu’ils ambitionnent comme leur plus beau titre, d’hommes singuliers.

Il y a encore des gens qui se préoccupent d’une maniere à n’en revenir jamais. Ce sont par exemple des personnes qui ont lu beaucoup de livres anciens & nouveaux, où ils n’ont point trouvé la vérité. Ils ont eu plusieurs belles pensées, qu’ils ont trouvées fausses, lorsque leur ardeur ralentie leur a permis de les examiner avec une attention plus exacte & plus sérieuse. De-là ils concluent que tous les hommes leur ressemblent, & que, si ceux qui croient avoir découvert quelques vérités, y faisoient une réflexion plus sérieuse, ils se détromperoient aussi bien qu’eux. Cela leur suffit pour les condamner sans entrer dans un examen plus particulier, parce que s’ils ne les condamnoient pas, ce seroit en quelque maniere tomber d’accord qu’ils ont plus d’esprit qu’eux ; & cela ne leur paroît pas vraissemblable.

Je ne puis m’empêcher de citer ici un trait admirable de la comédie du Tartuffe, où le divin Moliere peint la préoccupation d’Orgon contre tous les gens de bien, parce qu’il avoit été dupé par les gri-