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il parle, après l’avoir nommé par son nom particulier ou indiqué autrement, est il, ou lui, ou elle, &c. Les noms plus particuliers ont retenu seuls dans la grammaire la qualité de noms ; & les noms plus communs de moi, vous, lui, &c. se sont appellés pronoms, parce qu’ils s’employent pour les noms particuliers & en leur place ».

Il faut convenir avec le P. Buffier que tous les mots qui sont employés pour marquer simplement un sujet dont on veut affirmer quelque chose, ou, en d’autres termes, pour présenter à l’esprit un être déterminé, soit réel, soit abstrait ; que tous ces mots, dis-je, doivent être tenus pour être de même nature à cet égard. Mais pourquoi les tiendroit-on pour des noms, puisque le langage usuel des Grammairiens les distingue en deux classes, l’une de noms & l’autre de pronoms ? Ce sont tous des mots déterminatifs, ainsi que je l’ai dit ailleurs. Voyez Mot. Mais comme ils déterminent de différentes manieres, ce sont des mots déterminatifs de différente espece ; les uns déterminent les êtres par l’idée de leur nature, & ce sont les noms ; les autres déterminent les êtres par l’idée précise d’une relation à l’acte de la parole, & ce sont les pronoms.

C’est pour cela que si un même être est désigné par un nom & par un pronom tout-à-la-fois, le nom s’accorde en personne avec le pronom, parce que la personne n’est qu’un accident dans le nom, & qu’elle est une propriété essentielle du pronom ; le pronom au contraire s’accorde en genre avec le nom, parce que le genre n’est qu’un accident dans le pronom, & que c’est une propriété essentielle du nom. La différence des genres vient dans les noms de celle de la nature, dont l’idée déterminative caractérise l’espece des noms ; & de même la différence des personnes vient dans les pronoms de celle de la relation à l’acte de la parole, dont l’idée déterminative caractérise l’espece des pronoms : au contraire les nombres & les cas dans les langues qui les admettent sont également propres aux deux especes, parce que les deux especes énoncent des êtres déterminés, & que tout être déterminé dans le discours l’est nécessairement sous l’une des qualités désignées par les nombres, & sous l’un des rapports marqués par le cas de quelque espece que soit l’idée déterminative. Voyez Nombre, Cas & Personne.

A l’occasion de la grammaire françoise de M. l’abbé Wailly, l’auteur de l’année littéraire 1754, t. VII. lettre x. propose une difficulté, dont il reconnoît devoir le germe à M. l’abbé de Condillac, essai sur l’origine des connoissances humaines, part. II. chap. x. §. 109. On va voir qu’il auroit pû en avoir l’obligation au passage que j’ai rapporté du P. Bustier, ou au chapitre que j’ai cité de la Minerve de Sanctius. Quoi qu’il en soit, voici comment s’explique M. Fréron.

« Il y a, dit-il, trois sortes de pronoms personnels, je, me, moi, nous, tu, te, toi, vous, pour la premiere & la seconde personne. C’est le cri général de toutes les grammaires… Tous ces mots sont les noms de la premiere & de la seconde personne, tant au pluriel qu’au singulier, & ne sont point des pronoms. Tout mot quelconque, excepté ceux-ci, appartiennent à la troisieme personne ; ce qu’on démontre en ajoutant à un mot quelconque un verbe qui aura toujours la terminaison de la troisieme personne, Antoine revient, le marbre est dur, le froid se fait sentir, &c. Les mots je, me, moi, &c. considérés comme pronoms, représenteroient donc des noms, & conséquemment des noms de la troisieme personne, puisqu’il est certain que la troisieme personne s’empare de tout. Or ces mots je, me, moi, &c. représentant des noms de la troisieme personne, comment seroient-ils des pronoms de la

premiere personne & de la seconde ? Ces mots sont donc les véritables noms, & non les pronoms de la premiere & de la seconde personne ».

Toute cette difficulté porte sur la supposition répétée sans examen par tous les Grammairiens comme par autant d’échos, que les pronoms représentent les noms, c’est-à-dire, pour me servir des termes de M. l’abbé Girard, tome I. disc. vj. p. 283, que leur propre valeur n’est qu’un renouvellement d’idées qui désigne sans peindre, qu’ils ne sont que de simples vicegérens des noms, & que le sujet qu’ils expriment n’est déterminé que par le ressouvenir de la chose nommée ou supposée entendue.

Cette supposition est née de la dénomination même de cette espece de mot, que les Grammairiens ont mal entendue. On a cru qu’un pronom étoit un mot employé pour le nom, représentant le nom, & n’ayant par lui-même d’autre valeur que celle qu’il emprunte du nom dont il devient le vicegérent ; comme un proconsul étoit un officier employé pour le consul, représentant le consul, & n’ayant par lui-même d’autre pouvoir que celui qu’il empruntoit du consul dont il devenoit le vicegérent. C’est la comparaison que fait lui-même M. l’abbé Regnier, p. 216. in-12. p. 228. in-4°. pour trouver dans l’étymologie du mot pronom la définition de la chose.

Mais ce n’est point là ce que l’analyse nous en apprend, voyez Mot ; quoique réellement elle nous indique que le pronom fait dans le discours le même effet que le nom, parce que les pronoms, comme les noms, présentent à l’esprit des sujets déterminés. Les noms sont des mots qui font naître dans l’esprit de ceux qui les entendent les idées des êtres dont ils sont les signes ; nomen dictum quasi notamen, quòd nobis vocabulo suo notas efficiat ; ibid. Hispal. orig. I. vj. Les pronoms font pareillement naître dans l’esprit les idées des êtres qu’ils désignent ; & c’est en cela qu’ils vont de pair avec les noms & qu’ils sont comme des noms, pronomina. Mais on ne se seroit jamais avisé de distinguer ces deux especes de mots, s’ils présentoient les êtres sous les mêmes aspects, & si l’on n’avoit pas senti, du-moins confusément, les différences caractéristiques que l’analyse y découvre.

Les noms, je le répete, expriment des sujets déterminés par l’idée de leur nature, & les pronoms des sujets déterminés par l’idée précise d’une relation personnelle à l’acte de la parole. Cette différence est le juste fondement de ce cri général de toutes les grammaires qui distinguent les pronoms de la premiere, de la seconde & de la troisieme personne, parce que rien n’est plus raisonnable que de différencier les especes de pronoms par les différences mêmes de leur nature commune.

Il est donc faux de dire que les pronoms ne sont que de simples vicegérens des noms, & que le sujet qu’ils expriment n’est déterminé que par le ressouvenir de la chose nommée : le sujet y est déterminé par l’idée précise d’une relation personnelle à l’acte de la parole ; & cette détermination rappelle le souvenir de la nature du même sujet, parce qu’elle est inséparable du sujet. Ainsi quand, au sortir du spectacle, je dis qu’Andromaque m’a vivement intéressé ; chacun se rappelle les graces séduisantes de l’inimitable Clairon, quoique je ne l’aie désignée par aucun trait qui lui soit individuellement propre ; le rôle dont elle étoit chargée dans la représentation rappelle nécessairement le souvenir de l’actrice, parce qu’il l’indique individuellement, quoiqu’accidentellement. C’est de la même maniere que l’idée du rôle, dont est chargé un sujet dans la représentation de la pensée, indique alors ce sujet individuellement, & rappelle le souvenir de sa nature propre ; mais ce souvenir n’est rappellé qu’accidentellement, parce que le rôle est lui-même accidentel au sujet.