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me, le combattit, le vainquit, & ensevelit la république dans les plaines de Pharsale. Scipion qui commandoit en Afrique, eût encore rétabli l’état, s’il avoit voulu traîner la guerre en longueur, suivant l’avis de Caton ; de Caton, dis-je, qui partageoit avec les dieux les respects de la terre étonnée ; de Caton enfin, dont l’image auguste animoit encore les Romains d’un saint zele, & faisoit frémir les tyrans.

Enfin la république fut opprimée ; & il n’en faut pas accuser l’ambition de quelques particuliers, il en faut accuser l’homme, toujours plus avide du pouvoir à mesure qu’il en a davantage, & qui ne desire tout, que parce qu’il possede beaucoup. Si César & Pompée avoient pensé comme Caton, d’autres auroient pensé comme firent Cesar & Pompée ; & la république destinée à périr auroit été entraînée au précipice par une autre main.

César après ses victoires, pardonna à tout le monde, mais la modération que l’on montre après qu’on a tout usurpé, ne mérite pas de grandes louanges. Il gouverna d’abord sous des titres de magistrature ; car les hommes ne sont guere touchés que des noms, & comme les peuples d’Asie abhorroient ceux de consul & de proconsul, les peuples d’Europe détestoient celui de roi ; de sorte que dans ces tems-là, ces noms faisoient le bonheur ou le désespoir de toute la terre. César ne laissa pas que de tenter de se faire mettre le diadème sur la tête ; mais voyant que le peuple cessoit ses acclamations, il le rejetta. Il fit encore d’autres tentatives ; & l’on ne peut comprendre qu’il pût croire que les Romains, pour le souffrir tyran, aimassent pour cela la tyrannie, ou crussent avoir fait ce qu’ils avoient fait. Mais ce que César fit de plus mal, c’est de montrer du mépris pour le sénat depuis qu’il n’avoit plus de puissance ; il porta ce mépris jusqu’à faire lui même les sénatus-consultes, & les souscrire du nom des premiers sénateurs qui lui venoient dans l’esprit.

On peut voir dans les lettres de quelques grands hommes de ce tems-là, qu’on a mises sous le nom de Ciceron, parce que la plûpart sont de lui, l’abattement & le désespoir des premiers hommes de la république à cette révolution étrange qui les priva de leurs honneurs, & de leurs occupations même. Lorsque le sénat étant sans fonctions, ce crédit qu’ils avoient eu par toute la terre, ils ne purent plus l’espérer que dans le cabinet d’un seul, & cela se voit bien mieux dans ces lettres, que dans les discours des historiens. Elles sont le chef-d’œuvre de la naïveté de gens unis par une douleur commune, & d’un siecle où la fausse politesse n’avoit pas mis le mensonge partout : enfin, on n’y voit point comme dans la plûpart de nos lettres modernes, des gens qui veulent se tromper ; mais on y voit des amis malheureux qui cherchent à se tout dire.

Cependant il étoit bien difficile qu’après tant d’attentats, César pût défendre sa vie contre des conjurés. Son crime dans un gouvernement libre ne pouvoit être puni autrement que par un assassinat ; & demander pourquoi on ne l’avoit pas poursuivi par la force ou par les lois, n’est-ce pas demander raison de ses crimes ?

De plus, il y avoit un certain droit des gens, une opinion établie dans toutes les républiques de Grece & d’Italie, qui faisoit regarder comme un homme vertueux, l’assassin de celui qui avoit usurpé la souveraine puissance. A Rome, sur-tout depuis l’expulsion des rois, la loi étoit précise, les exemples reçus ; la république armoit le bras de chaque citoyen, le faisoit magistrat pour le moment, & l’avouoit pour sa défense. Brutus ose bien dire à ses amis, que quand son pere reviendroit sur la terre, il le tueroit tout de même ; & quoique par la continuation de la tyrannie, cet esprit de liberté se perdît peu-à-peu, toute-

fois les conjurations au commencement du regne

d’Auguste, renaissoient toujours.

C’étoit un amour dominant pour la patrie, qui, sortant des regles ordinaires des crimes & des vertus, n’écoutoit que lui seul, & ne voyoit ni citoyen, ni ami, ni bienfaiteur, ni pere ; la vertu sembloit s’oublier pour se surpasser elle-même ; & l’action qu’on ne pouvoit d’abord approuver, parce qu’elle étoit atroce, elle la faisoit admirer comme divine.

Voilà l’histoire de la république romaine. Nous verrons les changemens de sa constitution sous l’article Romain, empire ; car on ne peut quitter Rome, ni les Romains : c’est ainsi qu’encore aujourd’hui dans leur capitale, on laisse les nouveaux palais pour aller chercher des ruines. C’est ainsi que l’œil qui s’est reposé sur l’émail des prairies, aime à voir les rochers & les montagnes. (Le Chevalier de Jaucourt.)

République fédérative, (Gouvernem. polit.) forme de gouvernement par laquelle plusieurs corps politiques consentent à devenir citoyens d’un état plus grand qu’ils veulent former. C’est une société de sociétés qui en font une nouvelle, qui peut s’aggrandir par de nouveaux associés qui s’y joindront.

Si une république est petite, elle peut être bientôt détruite par une force étrangere : si elle est grande, elle se détruit par un vice intérieur. Ce double inconvénient infecte également les démocraties & les aristocraties, soit qu’elles soient bonnes, soit qu’elles soient mauvaises. Le mal est dans la chose même ; il n’est point de forme qui puisse y remédier. Aussi y a-t-il grande apparence que les hommes auroient été à la fin obligés de vivre toujours sous le gouvernement d’un seul, s’ils n’avoient imaginé une maniere de constitution & d’association, qui a tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain, & la force extérieure du monarchique.

Ce furent ces associations qui firent fleurir si longtems le corps de la Grece. Par elles, les Romains attaquerent l’univers ; & par elles seules l’univers se défendit contre eux : & quand Rome fut parvenue au comble de sa grandeur, ce fut par des associations derriere le Danube & le Rhin, associations que la frayeur avoit fait faire, que les barbares purent lui résister. C’est par-là que la Hollande, l’Allemagne, les ligues Suisses, sont regardées en Europe, comme des républiques éternelles.

Les associations des villes étoient autrefois plus nécessaires qu’elles ne le sont aujourd’hui ; une cité sans puissance couroit de plus grands périls. La conquête lui faisoit perdre non-seulement la puissance exécutrice & la législative, comme aujourd’hui ; mais encore tout ce qu’il y a de propriété parmi les hommes, liberté civile, biens, femmes, enfans, temples, & sépultures même.

Cette sorte de république, capable de résister à la force extérieure, peut se maintenir dans sa grandeur, sans que l’intérieur se corrompe : la forme de cette société prévient tous les inconvéniens. Celui qui voudroit usurper ne pourroit guere être également accrédité dans tous les états confédérés : s’il se rendoit trop puissant dans l’un, il allarmeroit tous les autres. S’il subjuguoit une partie, celle qui seroit libre encore pourroit lui résister avec des forces indépendantes de celles qu’il auroit usurpées, & l’accabler avant qu’il eût achevé de s’établir.

S’il arrive quelque sédition chez un des membres confédérés, les autres peuvent l’appaiser. Si quelques abus s’introduisent quelques parts, ils sont corrigés par les parties saines. Cet état peut périr d’un côté, sans périr de l’autre ; la confédération peut être dissoute, & les confédérés rester souverains. Composé de petites républiques, il jouit de la bonté du gouvernement intérieur de chacune ; & à l’égard du dehors,