Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/349

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me recevroit un grand avantage d’une telle entreprise, qui releveroit les bords du Tibre, & remédieroit à ses fréquens débordemens.

Rome offre un autre spectacle curieux, c’est la grande variété des colomnes de marbre dont elle est remplie, & qui ont été tirées d’Egypte ou de la Grece. On conçoit la difficulté qu’on a dû éprouver pour les tailler & leur donner la forme, la proportion & & le poli. Je sai que quelques modernes condamnent la proportion & la forme de ces colomnes ; mais les anciens sachant que le but de l’architecture est principalement de plaire à l’œil, s’attachoient à remplir ce but ; c’étoit un effet de l’art, & de ce que les Italiens appellent el gusto grande ; ils considéroient toujours l’assiette d’un bâtiment, s’il étoit haut ou bas, dans une place ouverte ou dans une rue étroite, & ils s’écartoient plus ou moins des regles de l’art, pour s’accommoder aux diverses distances & élevations, d’où leurs ouvrages devoient être regardés.

Je mets au rang des colomnes de Rome, tous les obélisques qui sont dans cette capitale, & qui y ont été apportés d’Egypte. Tel est l’obélisque qui est au milieu de la place qui fait face à S. Pierre de Rome, & celui qui est vis-à-vis de S. Jean de Latran. Sixte-quint a la gloire de les avoir tous deux fait relever. Voyez Obélisque.

Le ponte Sant’Angelo, par où quelques voyageurs ont commencé à décrire la ville de Rome, est celui qu’on appelloit anciennement Pons-Ælius, du nom de l’empereur Ælius Adrianus, qui le fit bâtir ; & il a pris celui de ponte Sant’Angelo, qu’il porte aujourd’hu, à cause que S. Grégoire le Grand, étant sur ce pont, vit, à ce qu’on dit, un ange sur le moles Adriani, qui remettoit son épée dans le fourreau, après une grande peste qui avoit désolé toute la ville. En jettant les yeux sur la riviere, on découvre à gauche les ruines du pont triomphal, par-dessus lequel tous les triomphes passoient pour aller au capitole ; ce qui fit que ce passage en demeura plus libre, & que par un decret du sénat, il fut défendu aux paysans & aux laboureurs.

Le château S. Ange est au bout du ponte Sant-Angelo, c’est ce qu’on appelloit moles Adriani, parce que l’empereur Adrien y avoit été enterré ; c’est dans ce château qu’on met les prisonniers d’état ; & que Sixte V. déposa cinq millions, avec une bulle qui défend de s’en servir sans une pressante nécessité ; apparemment que quelques-uns de ses successeurs se sont trouvés dans ce cas ; car les cinq millions de Sixte V. n’existent plus. On arrive bientôt après à la place de S. Pierre, & à l’église de même nom, qui passe pour le plus vaste & le plus superbe temple du monde. Voyez S. Pierre de Rome.

Le palais du Vatican est tout joignant l’église de S. Pierre, & c’est grand dommage ; car si l’église étoit isolée, & qu’on la pût voir de tous côtés en champ libre, l’effet en seroit bien plus beau. Le Vatican est un édifice aussi vaste qu’irregulier. Voyez Vatican.

Ce palais a une bibliotheque magnifique, grossie par celle de Heidelberg, & par la bibliotheque du duc d’Urbin. Il y a dans cette bibliotheque un volume de lettres de Henri VIII. à Anne de Boulen ; il seroit à souhaiter que celles de Anne de Boulen à Henri VIII. y fussent aussi ; car on en connoit quelques-unes qui sont admirables. Parmi les manuscrits des derniers siecles, on y trouve quelques lettres que des cardinaux s’écrivoient, & dans lesquelles ils se traitoient de Messer-Pietro, Messer-Julio, sans autre cérémonie. Leur style a bien changé depuis ; mais comme l’article de la bibliothèque du Vatican se trouve de a fait dans ce Dictionnaire, je suis dispensé de plus grands détails à cet égard. Voyez le mot Bibliotheque.

Près de l’église de S. Pierre est l’hôpital du S. Esprit, l’un des plus beaux de l’Europe par sa grandeur & par son revenu. Il y a, dit-on, jusqu’à mille lits pour les malades, & un prélat qui gouverne toute la maison. C’est une espece de mont de piété, où l’on porte son argent en dépôt ; & comme il y a toujours quelques millions de superflu, l’hôpital en fait profiter le relai à ses risques, & ce profit est beaucoup plus que suffisant pour les dépenses dont l’hôpital est chargé.

De l’hôpital du S. Esprit, on passe à l’église de S. Onuphre, où l’on voit le tombeau du Tasse. Un peu plus loin est la villa Pamphilla, maison de plaisance ornée de statues & de tableaux, entre lesquels on distingue S. Pierre attaché en croix, & la conversion de S. Paul, par Michel-Ange.

En rentrant dans la ville par la porte de S. Pancrace, on voit sur la route l’église des cordeliers appellée San Pietro-Montorio, dont le grand autel est embelli d’un tableau de la transfiguration de Notre Seigneur, par Raphaël. Du haut de la montagne où est San Pietro Montorio, & qui fut anciennement le janicule, on a la vue de toute la ville ; c’est ici qu’étoit le tombeau de Numa Pompilius.

L’église de Santa-Maria-Transtevere n’est pas loin, & c’est la premiere qui ait été bâtie à Rome, au rapport de Baronius. Elle occupe la place des Tabernæ Meritoriæ, où les anciens Romains donnoient tous les jours la pitance aux soldats estropiés.

On va ensuite vers l’île de S. Barthélemy, nommée anciennement insula Tiberina. Elle se forma dans ce lieu-là, lorsque Tarquin le superbe eut été chasse de Rome. Comme on arracha les blés qu’il avoit fait semer autour de Rome, on les jetta dans le Tibre avec les racines, ensorte que la terre qui y étoit attachée, ayant arrêté l’eau dans l’endroit où elle étoit bâtie, la bourbe s’y amassa insensiblement, & il s’en fit peu-à-peu une île.

On sort de cette île par le pont de quatre tentes, nommé anciennement pons Fabricius, qui la joint avec la ville, & à main droite est le pont appellé pons Sublicius, à l’entrée duquel Horatius Coclès soutint lui seul les efforts de l’ennemi, tandis qu’on rompoit ce pont derriere lui ; après quoi il se jetta dans la riviere, & se sauva à la nage. Ce pont étoit alors de bois, & Æmilius le fit faire de pierre. C’est de ce pont que l’empereur Héliogabale fut précipité dans la riviere avec une pierre au col.

Au sortir du pont, on voit la porte de derriere du quartier des Juifs, qui demeurent dans un coin de la ville, où toutes les nuits on les enferme à la clé. Ils n’éprouvent point cette ignominie en Allemagne, en Angleterre, ni en Hollande. A quelque distance de leurs synagogues, on voit à main gauche le palais du prince Savelli, bâti sur les ruines du théâtre de Marcellus, qu’Auguste fit éléver en l’honneur de son neveu. Plus loin est le grand égoût de Rome, qui se décharge dans le Tibre, & qu’on appelloit Cloaca magna. Tarquinius Priscus le fit bâtir de pierre de taille. Une charrette y peut aisément entrer, & il y a plusieurs canaux voutés par où s’écoulent les immondices. Cet ouvrage est un de ceux qui marquent le plus quelle a été la grandeur de la vieille Rome.

Du mont Aventin on va à la porte de S. Paul, & on voit en chemin la petite montagne ou colline qu’on appelle communément il Doliolo, ou le monte Testaccio, la montagne des pors casiés, nom qui vient peut être de la quantité prodigieuse de vases de terre qu’on faisoit à Rome pour les gens de médiocre condition pendant tout le tems que dura l’usage de brûler les morts, & l’on jettoit dans cet endroit-là tous les débris de ces vases.

En approchant de la porte de S. Paul, on apperçoit le mausolée de Caïus Cestius, monument fort