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salle dans laquelle un aqueduc construit sur la Garonne portoit les eaux d’une fontaine, & qui pour cette raison s’appelloit les bains de la reine. L’historien ajoute que, suivant quelques-uns, cette reine étoit la reine pédauque, quam reginam aliqui fuisse la regina pedauca volunt, expression qui suppose que ce nom devoit être connu depuis long-tems dans le Languedoc.

Antoine Noguier, qui publia en 1559 une histoire françoise de la même ville, adopta le récit de Nicolas Bertrand, & y joignit une description détaillée tant des bains de la princesse, que du pont de brique qui y conduisoit les eaux. Il remarqua de plus que la reine pédauque se trouve représentée au portail occidental de l’église de S. Sernin, où l’on voit dans les sculptures dont ce portail est orné, la fille du roi de Toulouse plongée dans l’eau jusqu’au milieu du corps, en mémoire, dit-il, du baptême par immersion que lui avoient conféré S. Saturnin & S. Martial.

Il est assez probable que le goût de la princesse pour le bain donna lieu de dire qu’elle tenoit du naturel des oies, & que ce fut-là le fondement du surnom ou sobriquet de reine au pié d’oie, de reine pédauque.

Chabanel, de qui nous avons une histoire de l’église de la Daurade imprimée en 1621, est allé plus loin que Bertrand & Noguier ; il a prétendu que la reine qu’on a surnommée pedauque n’étoit autre que Ragnachilde, femme d’Euric, roi des Visigoths, qui avoit été, selon lui, appellée Ragnachilde, à cause de sa passion pour le bain ; ce mot signifiant, dit-il, inclination de grenouille. Chabanel dérivoit le terme barbare ragna du latin rana. En admettant cette étymologie Ragnachilde & Pédauque sans être absolument le même nom, expriment précisément la même chose.

Tout ce qui résulte des fables que racontent les trois auteurs toulousains, c’est que le nom de la reine pédauque est connu depuis long-tems en Languedoc, ainsi que nous l’avons déja dit. Ce que M. l’abbé Lebeuf a rapporté, ne peut servir à nous indiquer, ni quelle étoit originairement cette reine, ni pourquoi elle se trouve représentée au portail de plusieurs de nos églises. Mais Nicolas Bertrand, le plus ancien des trois, nous apprend ailleurs que le vrai nom de la princesse étoit Austris. Arrêtons-nous à ce mot, dit l’académicien de Paris, dans l’idée qu’il doit être la clé de tout le mystere de la reine pédauque.

Il pense donc que la reine Austris des Toulousains est la reine de Saba des livres sacrés. On sait, dit-il, que Jesus-Christ lui-même la nomme dans l’Evangile regina Austri. On sait encore qu’elle a été regardée par les peres de l’Eglise & par les anciens commentateurs de l’Ecriture comme une figure de l’Eglise dont Jesus-Christ est le Salomon. De-là vint dans le moyen âge la coutume de la représenter aux portiques des églises avec le pere & la mere de celui qu’elle étoit venue consulter & admirer, c’est-à-dire avec David & Bethsabée autre figure de l’église, & avec Salomon même. Les sculpteurs y joignirent quelquefois Moïse, Aaron, Melchisedec & Samuël ; & pour retracer à l’esprit les rapports de la nouvelle loi avec l’ancienne, ils ajouterent souvent Jesus-Christ, S. Pierre & S. Paul : ce sont-là les rois, les reines, les évêques que quelques critiques modernes ont cru voir au portail de plusieurs églises du royaume, ainsi que dans celles où est représentée la reine pédauque. Ces figures n’étoient souvent dans l’idée des sculpteurs que des symboles, & n’étoient pas toujours, comme plusieurs l’ont cru, des princes fondateurs ou bienfaiteurs de ces églises.

D’ailleurs, comme c’étoit aux portes des églises que se prononçoient les jugemens ecclésiastiques, & que l’Evangile a dit de la reine de Saba qu’elle étoit

assise pour juger, regina Austri sedet in judicio ; cette raison jointe à la représentation des personnages qui sont joints à la reine pédauque ou à la reine de Saba, savoir Moise, Aaron, Melchisédec, Salomon, Jesus-Christ, S. Pierre & S. Paul, qui tous ont porté ou ont été de rang à porter des jugemens ; cette raison, dis-je, a été la cause de l’honneur qu’elle a d’être placée à certains portails de nos églises ; c’est ainsi que l’imagine M. l’abbé Lebeuf.

Il reste à savoir pourquoi la reine de Saba ou la reine pédauque se trouve représentée avec un pié d’oie. M. l’abbé Lebeuf croit encore avoir trouvé le fondement de cette bisarrerie dans les traditions judaïques, qui nous ont été conservées par le second paraphraste chaldéen. Cet ecrivain dit dans un endroit que, selon l’opinion des juifs, la reine de Saba aimoit tellement le bain, qu’elle se plongeoit tous les jours dans la mer. La chaleur du climat sous lequel étoient situés ses états, rendoit cette idée fort vraissemblable. Ailleurs il décrit ainsi l’entrée de la princesse à Jérusalem : « Benajam, fils de Jéhoïada, la conduisit auprès du roi Salomon. Lorsque le roi fut informé de son arrivée, il alla aussi-tôt l’attendre dans un appartement tout de crystal. La reine de Saba, en y entrant, s’imagina que le prince étoit dans l’eau ; & pour se mettre en état de passer, elle leva sa robe. Alors, continue le paraphraste, le roi voyant ses piés qui étoient hideux, votre visage, lui dit-il, a la beauté des plus belles femmes, mais vos jambes & vos piés n’y répondent guere ».

On pourroit concevoir que la premiere de ces traditions auroit pu donner naissance à la seconde ; la passion de la princesse pour le bain fit naturellement imaginer de la comparer aux animaux terrestres qui passent leur vie dans l’eau, aux oies ; bientôt on ajouta qu’elle en avoit les piés ; en effet, la membrane cartilagineuse qui forme leur patte est leur caractere le plus marqué. Les Sculpteurs qui sont venus depuis le conserverent religieusement à la reine de Saba comme un signe qui devoit la distinguer des autres personnages qu’ils lui associoient, & cette attention leur parut d’autant plus nécessaire, qu’autrement on eut pu la confondre avec Bethsabée qui se trouve auprès de David comme la reine de Saba auprès de Salomon.

Telles sont les conjectures de M. l’abbé Lebeuf, dont nous n’entreprenons pas de garantir la solidité ; mais elles engageront peut-être quelqu’un à abandonner la reine de Saba pour recourir à des recherches plus simples & plus vraissemblables. (D. J.)

Reine, (Mythologie.) Junon, la reine des dieux, étoit quelquefois appellée tout court la reine : elle eut à Rome sous ce nom une statue qui lui avoit été érigée à Véres, d’où elle fut transportée au mont Aventin en grande cérémonie. Les dames romaines avoient beaucoup de considération pour cette statue ; personne n’osoit la toucher que le prêtre qui étoit à son service. (D. J.)

Reine, (Critique sacrée.) ce mot dans le V. Testament signifie quelquefois la souveraine d’un état où les femmes peuvent régner. Telle étoit la reine de Saba, que l’Ecriture appelle reine du midi, parce que son royaume que l’on croit avoir été dans l’Arabie, étoit au midi de Jérusalem. 2° Ce mot se prend pour la femme, la concubine d’un roi, comme cette multitude de princesses que Salomon avoit prises pour femmes au nombre de sept cens, III. Rois xj. 5. quasi reginæ septinginta, dit la vulgate. 3° La mere ou la grand’mere d’un roi est nommée reine par Daniel, v. 10. la reine Nitoris, mere ou grand’mere de Balthasar, entra dans la salle du festin. 4° Enfin ce mot se prend pour celle qui est relevée par quelque dignité. Il y a soixante reines & plus encore de concubines