Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/5

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devant le peuple, comme l’ennemi déclaré de la liberté publique. Il parut au milieu de ses accusateurs, comme s’il avoit été leur juge. Il répondit aux chefs d’accusation avec tant de force & d’éloquence, que le peuple étonné n’osa le condamner. Enfin il finit volontairement sa vie qu’il désespéroit de pouvoir sauver. Il avoit un fils qui fit apporter son corps dans la place, & se présenta, suivant l’usage, pour faire son oraison funebre. Les tribuns voulurent s’y opposer ; mais le peuple, plus généreux que les vindicatifs tribuns, leva l’opposition, & entendit sans peine, les louanges d’un ennemi qu’il ne craignoit plus, & qu’il n’avoit pu s’empêcher d’admirer pendant sa vie. (D. J.)

REGILLUS LACUS, (Géog. anc.) lac d’Italie, dans le Latium, selon Pline, liv. XXXVIII. ch. ij. Florus, liv. I. ch. xj. parle aussi de ce lac, fameux par la victoire que remporta sur ses bords A. Posthumius contre les Tarquins. Le nom moderne est lago di S. Prassede.

RÉGIME, s. m. terme de Grammaire ; ce mot vient du latin regimen, gouvernement : il est employé en Grammaire dans un sens figuré, dont on peut voir le fondement à l’article Gouverner. Il s’agit ici d’en déterminer le sens propre par rapport au langage grammatical. Quoiqu’on ait insinué, à l’article que l’on vient de citer, qu’il falloit donner le nom de complément à ce que l’on appelle régime, il ne faut pourtant pas confondre ces deux termes comme synonymes : je vais déterminer la notion précise de l’un & de l’autre en deux articles séparés ; & par-là je suppléerai l’article Complément, que M. du Marsais a omis en son lieu, quoiqu’il fasse fréquemment usage de ce terme.

Art. I. Du complément. On doit regarder comme complément d’un mot, ce qu’on ajoute à ce mot pour en déterminer la signification, de quelque maniere que ce puisse être. Or il y a deux sortes de mots dont la signification peut être déterminée par des complémens : 1o. tous ceux qui ont une signification genérale susceptible de différens degrés ; 2o. ceux qui ont une signification relative à un terme quelconque.

Les mots dont la signification générale est susceptible de différens degrés, exigent nécessairement un complément, dès qu’il faut assigner quelque degré déterminé : & tels sont les noms appellatifs ; les adjectifs & les adverbes qui, renfermant dans leur signification une idée de quantité, sont susceptibles en latin & en grec de ce que l’on appelle des degrés de comparaison ou de signification ; & enfin tous les verbes dont l’idée individuelle peut aussi recevoir ces différens degrés. Voici des exemples. Livre est un nom appellatif ; la signification générale en est restrainte quand on dit, un livre nouveau, le livre de Pierre (liber Petri), un livre de grammaire, un livre qui peut être utile ; & dans ces phrases, nouveau, de Pierre (Petri), de grammaire, qui peut être utile, sont autant de complémens du nom livre. Savant est un adjectif ; la signification générale en est restrainte quand on dit, par exemple, qu’un homme est peu savant, qu’il est fort savant, qu’il est plus savant que sage, qu’il est moins savant qu’un autre, qu’il est aussi savant aujourd’hui qu’il l’étoit il y a vingt ans, qu’il est savant en droit, &c. dans toutes ces phrases, les différens complémens de l’adjectif savant sont peu, fort, plus que sage, moins qu’un autre, aussi aujourd’hui qu’il l’étoit il y a vingt ans, en droit. C’est la même chose, par exemple, du verbe aimer ; on aime simplement & sans détermination de degré, on aime peu, on aime beaucoup, on aime ardemment, on aime plus sincérement, on aime en apparence, on aime avec une constance que rien ne peut altérer ; voilà autant de manieres de déterminer le degré de la signification du verbe

aimer, & conséquemment autant de complémens de ce verbe. L’adverbe sagement peut recevoir aussi divers complémens ; on peut dire, peu sagement, fort sagement, plus sagement que jamais, aussi sagement qu’heureusement, sagement sans affectation, &c.

Les mots qui ont une signification relative, exigent de même un complément, dès qu’il faut déterminer l’idée générale de la relation par celle d’un terme conséquent : & tels sont plusieurs noms appellatifs, plusieurs adjectifs, quelques adverbes, tous les verbes actifs relatifs & quelques autres, & toutes les prépositions. Exemples de noms relatifs : le fondateur de Rome, l’auteur des tropes, le pere de Cicéron, la mere des Graques, le frere de Romulus, le mari de Lucrece, &c. dans tous ces exemples, le complément commence par de. Exemples d’adjectifs relatifs : nécessaire à la vie, digne de louange, facile à concevoir, &c. Exemples de verbes relatifs : aimer Dieu, craindre sa justice, aller à la ville, revenir de l’armée, passer par le jardin ; ressembler à quelqu’un, se repentir de sa faute, commencer à boire, desirer d’être riche, &c. quand on dit, donner quelque chose à quelqu’un, recevoir un présent de son ami, les verbes donner & recevoir ont chacun deux complémens qui tombent sur l’idée de la relation qu’ils expriment. Exemples d’adverbes relatifs : relativement à vos intérêts, indépendamment des circonstances, quant à moi, pourvu que vous le vouliez, conformément à la nature. Quant aux prépositions, il est de leur essence d’exiger un complément, qui est un nom, un pronom ou un infinitif ; & il seroit inutile d’en accumuler ici des exemples. Voyez Préposition & Relatif, art. I.

« Un nom substantif, dit M. du Marsais (voyez Construction), ne peut déterminer que trois sortes de mots : 1o. un autre nom (& dans le système de l’auteur il faut entendre les adjectifs), 2o. un verbe, 3o. ou enfin une préposition ». Cette remarque paroît avoir été adoptée par M. l’abbé Fromant (Suppl. page 256) ; & j’avoue qu’elle peut être vraie dans notre langue : car quoique nos adverbes admettent des complémens, il est pourtant nécessaire d’observer que le complément immédiat de l’adverbe est chez nous une préposition, conformément à ; ce qui suit est le complément de la préposition même ; conformément à la nature. Il n’en est pas de même en latin, parce que la terminaison du complément y désigne le rapport qui le lie au terme antécédent, & rend inutile la préposition, qui n’auroit pas d’autre effet : le nom peut donc y être, selon l’occurrence, le complément immédiat de l’adverbe, ainsi que je l’ai prouvé ailleurs sur les phrases ubi terrarum, tunc temporis, convenienter naturæ. Voyez Mot, article II. n. 2.

Un mot qui sert de complément à un autre, peut lui-même en exiger un second, qui, par la même raison, peut encore être suivi d’un troisieme, auquel un quatrieme sera pareillement subordonné, & ainsi de suite ; de sorte que chaque complément étant nécessaire à la plénitude du sens du mot qu’il modifie, les deux derniers constituent le complément total de l’antépénultieme ; les trois derniers font la totalité du complément de celui qui précede l’antépénultieme ; & ainsi de suite jusqu’au premier complément, qui ne remplit toute sa destination, qu’autant qu’il est accompagné de tous ceux qui lui sont subordonnés.

Par exemple, dans cette phrase, nous avons à vivre avec des hommes semblables à nous : ce dernier nous est le complément de la préposition à ; à nous est celui de l’adjectif semblables ; semblables à nous est le complément total du nom appellatif les hommes ; les hommes semblables à nous, c’est la totalité du complément de la préposition de ; de les ou des hommes semblables à nous, est le complément total d’un nom appellatif sous-entendu, par exemple, la multitude (voyez Préposition,