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position, rem. 5) ; la multitude des hommes semblables à nous, c’est le complément de la préposition avec ; avec la multitude des hommes semblables à nous, c’est celui de l’infinitif vivre ; vivre avec la multitude des hommes semblables à nous, est la totalité du complément de la préposition à ; à vivre avec la multitude des hommes semblables à nous, c’est le complément total d’un nom appellatif sous-entendu, qui doit exprimer l’objet du verbe avons, par exemple, obligation ; ainsi obligation à vivre avec la multitude des hommes semblables à nous, est le complément total du verbe avons : ce verbe avec la totalité de son complément est l’attribut total dont le sujet est nous.

Il suit de cette observation, qu’il peut y avoir complément incomplexe, & complément complexe. Le complément est incomplexe, quand il est exprimé par un seul mot, qui est ou un nom, ou un pronom, ou un adjectif, ou un infinitif, ou un adverbe ; comme avec soin, pour nous, raison favorable, sans répondre, vivre honnêtement. Le complément est complexe, quand il est exprimé par plusieurs mots, dont le premier, selon l’ordre analytique, modifie immédiatement le mot antécédent, & est lui-même modifié par le suivant ; comme avec le soin requis ; pour nous tous ; raison favorable à ma cause ; sans répondre un mot ; vivre fort honnêtement.

Dans le complément complexe, il faut distinguer le mot qui y est le premier selon l’ordre analytique, & la totalité des mots qui font la complexité. Si le premier mot est un adjectif, ou un nom, ou l’équivalent d’un nom, on peut le regarder comme le complément grammatical ; parce que c’est le seul qui soit assujetti par les lois de la syntaxe des langues qui admettent la déclinaison, à prendre telle ou telle forme, en qualité de complément : si le premier mot est au contraire un adverbe ou une préposition, comme ces mots sont indéclinables & ne changent pas de forme, on regardera seulement le premier mot comme complément initial, selon que le premier mot est un complément grammatical ou initial ; le tout prend le nom de complément logique, ou de complément total.

Par exemple, dans cette phrase, avec les soins requis dans les circonstances de cette nature ; le mot nature est le complément grammatical de la préposition de : cette nature en est le complément logique : la préposition de est le complément initial du nom appellatif les circonstances ; & de cette nature en est le complément total : les circonstances, voilà le complément grammatical de la préposition dans ; & les circonstances de cette nature en est le complément logique : dans est le complément initial du participe requis ; & dans les circonstances de cette nature en est le complément total : le participe requis est le complément grammatical du nom appellatif les soins ; requis dans les circonstances de cette nature, en est le complément logique : les soins, c’est le complément grammatical de la préposition avec ; & les soins requis dans les circonstances de cette nature, en est le complément logique.

Ceux qui se contentent d’envisager les choses superficiellement, seront choqués de ce détail qui leur paroîtra minutieux : mais mon expérience me met en état d’assurer qu’il est d’une nécessité indispensable pour tous les maîtres qui veulent conduire leurs éleves par des voies lumineuses, & principalement pour ceux qui adopteroient la méthode d’introduction aux langues, que j’ai proposée au mot Méthode. Si l’on veut examiner l’analyse que j’y ai faite d’une phrase de Cicéron, on y verra qu’il est nécessaire non-seulement d’établir les distinctions que l’on a vues jusqu’ici, mais encore de caractériser, par des dénominations différentes, les différentes especes de complément qui peuvent tomber sur un même mot.

Un même mot, & spécialement le verbe, peut admettre autant de complémens différens, qu’il peut y avoir de manieres possibles de déterminer la signification du mot. Rien de plus propre à mettre en abrégé, sous les yeux, toutes ces diverses manieres, que le vers technique dont se servent les rhéteurs pour caractériser les différentes circonstances d’un fait.

Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando.

Le premier mot quis, est le seul qui ne marquera aucun complément, parce qu’il indique au contraire le sujet ; mais tous les autres désignent autant de complémens différens.

Quid, désigne le complément qui exprime l’objet sur lequel tombe directement le rapport énoncé par le mot completé : tel est le complément de toute préposition, à moi, chez nous, envers Dieu, contre la loi, pour dire, &c. Tel est encore le complément immédiat de tout verbe actif relatif, aimer la vertu, desirer les rïchesses, bâtir une maison, teindre une étoffe, &c.

Le rapport énoncé par plusieurs verbes relatifs exige souvent deux termes, comme donner un livre au public ; ces deux complémens sont également directs & nécessaires, & il faut les distinguer : celui qui est immédiat & sans préposition, peut s’appeller complément objectif, comme un livre : celui qui est amené par une préposition, c’est le complément relatif, comme au public.

Ubi désigne le complément qui exprime une circonstance de lieu : mais ce seul mot ubi, représente ici les quatre mots dont on se sert communément pour indiquer ce qu’on nomme les questions de lieu, ubi, unde, quà, quò ; ce qui désigne quatre sortes de complémens circonstanciels de lieu. Le premier est le complément circonstanciel du lieu de la scene, c’est-à-dire, où l’événement se passe ; comme vivre à Paris, être au lit, &c. Le second est le complément circonstanciel du lieu de départ, comme venir de Rome, partir de sa province, &c. Le troisieme est le complément circonstanciel du lieu de passage, comme passer par la Champagne, aller en Italie par mer, &c. Le quatrieme est le complément circonstanciel du lieu de tendance, comme aller en Afrique, passer de Flandre en Alsace, &c.

Quibus auxiliis ; ces mots désignent le complement qui exprime l’instrument & les moyens de l’action énoncée par le mot completé ; comme se conduire avec assez de précaution pour ne pas échouer ; frapper du bâton, de l’épée, obtenir un emploi par la protection d’un grand, &c. On peut appeller ceci le complément auxiliaire. On peut encore comprendre sous cet aspect le complément qui exprime la matiere dont une chose est faite, & que l’on peut appeller le complément matériel ; comme une statue d’or, une fortune cimentée du sang des malheureux.

Cur, désigne en général tout complément qui énonce une cause soit efficiente, soit finale : on le nomme complément circonstanciel de cause ; s’il s’agit de la cause efficiente, ou même d’une cause occasionnelle ; ainsi quand on dit, un tableau peint par Rubens, il y a un complément circonstanciel de cause ; c’est la même chose quand on dit, il a manqué le succès pour avoir négligé les moyens. S’il s’agit d’une cause finale, on dit un complément circonstanciel de fin, comme Dieu nous a créés pour sa gloire ; s’occuper afin d’éviter l’ennui.

Quomodo, désigne le complément qui exprime une maniere particuliere d’être qu’il faut ajouter à l’idée principale du mot completé : communément cette expression est un adverbe de maniere, simple ou modifié, ou bien une phrase adverbiale commençant par une préposition ; comme vivre honnêtement, vivre conformément aux lois, parler avec facilité. On peut donner à ce complément le nom de modificatif.