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son, l’une & l’autre veulent qu’on attaque le mal dans son siege, & qu’on vuide le canal, par une ouverture faite au canal lui-même, sans recourir aux branches les plus éloignées.

Quantité du sang. La quantité du sang qu’on doit tirer, est bien inférieure à celle qu’on peut perdre ; les funestes expériences de ceux qui ont cru trouver dans la saignée le remede à tous les maux, & les hémorrhagies énormes que quelques malades ont essuyées, ont appris qu’un homme pouvoit perdre dans une seule maladie aiguë, vingt ou trente livres de sang, s’il étoit évacué en différentes saignées, ou si l’hémorrhagie duroit plusieurs jours. Cette quantité est bien plus considérable dans les maladies chroniques ; on a vu verser dans un an, par des centaines de saignées, chacune au-moins de six ou huit onces, autant de sang qu’il en faudroit pour rendre la vie à une douzaine d’hommes. Nous avons honte de rapporter de semblables observations, pour l’honneur de la médecine ; mais elles tendent à prouver toutes les ressources que la nature a en son pouvoir contre les maladies & les fautes des médecins, & nous ajoutons, pour détourner ceux qui seroient tentés de suivre de pareils exemples, que la foiblesse de tous les organes & même de l’esprit, quelquefois incurable, au-moins très-longue à se dissiper, en est inévitablement la suite.

Lorsqu’on tire une grande quantité de sang, le dépouillement de la partie rouge devient de plus en plus considérable, sur-tout si les saignées ont été copieuses, ou se sont suivies rapidement, parce qu’alors la perte de la partie rouge est plus grande proportionnellement ; bien-tôt on ne trouve plus que de la sérosité dans les veines ; ce qu’on appelle saigner jusqu’au blanc ; dans cet état, le sang est devenu si fluide, qu’il est presque incapable de concourir à la coction, qu’il ne peut qu’à la longue assimiler le chyle qui lui est présenté ; ce défaut de coction laisse subsister les engorgemens qui formoient la maladie ; ce qui arrive spécialement dans les fievres exacerbantes, ou d’accès. On sent déja qu’il est des bornes plus étroites qu’on ne le pense vulgairement, à la quantité du sang qu’on doit tirer.

Réduire les efforts de la nature dans leur vrai point de force, dissiper la pléthore, rendre au sang la fluidité qui lui est nécessaire pour circuler librement, en lui conservant la proportion de partie rouge nécessaire à la coction, est l’art dont il faut qu’un praticien soit instruit pour atteindre avec précision la quantité de sang qu’il doit répandre dans les maladies qui exigent la saignée.

L’affoiblissement du jet du sang, est le terme auquel on doit s’arrêter dans chaque saignée. Lorsqu’il est produit par la défaillance que les malades pusillanimes éprouvent en voyant couler leur sang, (défaillance quelquefois plus utile que la saignée même) & que le médecin juge qu’on doit continuer de le laisser couler, on mettra le doigt sur la plaie, on lui laissera reprendre courage, on ranimera le mouvement du cœur par les secours ordinaires, pour donner après cela de nouveau cours au sang qu’on doit évacuer.

Cet affoiblissement du jet doit être attendu dans presque toutes les saignées, sur-tout dans les maladies inflammatoires, & les hémorrhagies, à moins que déja la saignée ne passe seize ou dix-huit onces, que le tempérament du malade se refuse à la saignée, ou que la nature de la maladie le mette dans le cas de n’éprouver que très-tard du ralentissement dans la circulation (comme dans les fous.) On doit s’arrêter alors ; mais communément à la huitieme ou dixieme once, on voit le jet baisser ; nous l’avons vu tomber entierement à la seconde dans un jeune malade d’un tempérament sanguin, accoutumé à la

saignée, qui éprouvoit le second jour d’une fievre bilieuse, un redoublement violent, avec une douleur de tête très-vive, en qui une défaillance presque syncopale survint.

La quantité du sang qu’on peut tirer par différentes saignées, sans nuire au malade dans l’inflammation la plus grave, dans l’homme le plus robuste, avec la pléthore la plus décidée, n’a jamais paru aux médecins éclairés, dont nous avons tâché de saisir l’esprit, devoir excéder soixante onces ; ce qui fait environ un cinquieme de la masse totale du sang. Dans les inflammations où la consistence inflammatoire, & la pléthore ne se présentent pas avec des caracteres aussi violens, lorsque l’âge ou quelques autres contre-indications viennent mettre des obstacles, il faut rester beaucoup au-dessous, & douze, vingt, ou trente onces tirées en une seule ou différentes fois, suffisent dans les adultes, pour les cas courans.

Nombre des saignées. Nous avons vu qu’on ne doit saigner en général que dans les quatre ou cinq premiers jours de la maladie, jamais excéder soixante onces de sang ; que dans les cas ordinaires, il faut rester beaucoup au-dessous ; qu’il faut fermer la veine dans chaque saignée, lorsque le pouls s’affoiblit ; que le tems le plus favorable pour la faire, est après le frisson, des accès ou redoublemens. En suivant ces maximes, on se trouve borné à faire quatre ou cinq saignées dans les inflammations les plus rares ; une ou deux dans les plus communes ; c’est aussi ce que nous voyons observer par les praticiens les plus judicieux, qui n’étouffent point l’expérience sous les sophismes & les hypothèses dont nous avons fait tous nos efforts pour nous garantir.

Saignée, s. f. terme de Chirurgie ; c’est une opération qui consiste dans l’ouverture d’une veine ou d’une artere avec une lancette, afin de diminuer la quantité du sang. L’ouverture de l’artere se nomme artériotomie (voyez Artériotomie) ; & celle de la veine se nomme phlébotomie. Voyez Phlébotomie. Plusieurs médecins regardent la saignée comme le meilleur & le plus sûr évacuant ; mais néanmoins son usage étoit très-rare parmi les anciens, quoiqu’il soit devenu présentement très-fréquent. Voyez Evacuant & Evacuation. On dit que l’hyppopotame a appris le premier aux hommes l’usage de la saignée. Car quand cet animal est trop rempli de sang, il se frotte lui-même contre un jonc pointu, & s’ouvre une veine ; jusqu’à ce que se sentant déchargé il se veautre dans la boue pour étancher son sang.

Il est peu important de savoir à qui l’on doit l’invention d’une opération si utile, & dont les effets admirables étoient connus dès les premiers tems de la Médecine. Nous avons parlé de l’ouverture de l’artere à l’article Artériotomie ; & nous avons dit qu’elle n’étoit pratiquable qu’à l’artere temporale. Il n’en est pas de même de la phlébotomie ; on peut ouvrir toutes les veines que l’on juge pouvoir fournir une suffisante quantité de sang. Les anciens saignoient à la tête ; 1°. la veine frontale ou préparate, dont Hippocrate recommandoit l’ouverture dans les douleurs de la partie postérieure de la tête ; 2°. la veine temporale, dans les douleurs vives & chroniques de la tête ; 3°. l’angulaire, pour guérir les ophtalmies ; 4°. la nasale, dans les maladies de la peau du visage, comme dans la goutte-rose ; 5°. enfin la ranule, dans l’esquinancie.

Toutes ces veines portent le sang dans les jugulaires ; ainsi en ouvrant la jugulaire, on produit le même effet qu’on produiroit en ouvrant une de ces autres veines, & on le produit plus facilement & plus promptement, parce que les jugulaires étant plus grosses, elles fournissent par l’ouverture qu’on y fait une bien plus grande quantité de sang. Voy. Ranule.

On ouvre au cou les veines jugulaires externes.