Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/561

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison de cette différence est que l’on ne remplit jamais le poëlon déja beaucoup plus petit, afin que l’évaporation s’y faisant plus vîte, on puisse y remettre de l’eau pour la cuite suivante, pendant qu’il y a encore du feu sous la chaudiere.

Avant de commencer une remandure, on prépare la chaudiere 1o. en bridant les chaînes ou barres de fer qui soutiennent la poële & le poëlon, c’est-à-dire, en les assujettissant toutes à porter également ; 2o. en nattant avec de la filasse les joints & les fissures qui auroient échappé à la vigilance des maréchaux ; 3o. en enduisant la surface de la poële & du poëlon avec de la chaux vive délayée fort claire dans de l’eau extremement salée, appellée muire cuite, parce qu’elle provient de l’égout du sel en grain : ces trois opérations s’appellent faire la remandure. Ensuite, & immédiatement avant de commencer la premiere cuite, on allume un petit feu sous la poële pour faire sécher lentement la chaux, & on l’arrose avec cette même muire cuite ; ce qui s’appelle essaler, pour que le tout forme un mastic capable de boucher exactement les fissures, & d’empêcher la poële de couler[1].

Le travail d’une cuite est divisé en quatre opérations, connues sous les noms d’ébergémuire, les premieres heures, les secondes heures, & le mettre-prou. On entend par le terme d’ébergémuire, l’opération de faire couler dans la poële les eaux de son réservoir ; elle dure quatre heures, pendant lesquelles on fait du feu sous la chaudiere, en l’augmentant à proportion qu’elle se remplit. Lorsqu’elle est pleine, le service des premieres heures commence ; il dure quatre heures. Alors on fait un feu violent pour faire bouillir l’eau ; de façon cependant qu’elle ne s’échappe point par-dessus les bords ; le service des secondes heures dure aussi quatre heures. Il consiste à entretenir un feu modéré, & à le diminuer peu-à-peu, afin que le sel, qui commence alors à se déclarer puisse se configurer plus favorablement. Le mettre-prou, derniere opération de la cuite, dure cinq heures, pendant lesquelles l’ouvrier jette peu de bois, & seulement pour entretenir le feu, jusqu’à ce que le sel soit entierement formé, & qu’il ne reste que très-peu d’eau dans la poële.

Alors l’on ne jette plus de bois ; quatre femmes nommées tirari de sel, le tirent avec des rables de fer aux bords de la chaudiere, & d’autres ouvriers ap-

pellés aides, l’enlevent dans des gruaux[2] de bois,

& le portent partie dans les magasins du sel en grains, & partie dans l’ouvroir, dont nous parlerons plus bas, pour y être formé en pains. Lorsque tout le sel est enlevé, on remplit la poële pour une seconde cuite, & ainsi des autres.

Quatre ouvriers & deux femmes sont attachés au service de chaque berne ; les ouvriers que l’on nomme ouvriers de berne[3], travaillent ensemble à préparer la chaudiere ; ce que l’on appelle faire la remandure. Ensuite ils se relevent pour le travail de la cuite ; en sorte que chacun d’eux faisant une de ces quatre opérations, se trouve avoir fait quatre cuites à la fin de la remandure.

Les deux femmes s’appellent aussi femmes de berne ; l’une dite tirari de feu, est occupée à tirer quatre fois par cuite les braises qui tombent de la grille dans le fondrier. Elle employe à cet usage une espece de pelle à feu longue de 20 pouces, large de 14, & dont les bords dans le fonds ont un pié d’élévation. Cette pelle est attachée à une grande perche de bois ; on l’appelle épit. L’autre femme dite eteignari, éteint la braise avec de l’eau, à mesure que la premiere l’a tirée. Toutes les deux sont encore chargées de tirer le sel aux bords du poëlon, lorsqu’il y est formé ; les tiraris de sel dont on a parlé, ne sont que pour la chaudiere.

Les seize cuites consécutives qui composent une remandure, produisent communément 1200 quintaux de sel, & consomment environ 90 cordes de bois. Une corde a 8 piés de couche, sur 4 piés de hauteur ; & la buche a 3 piés & demi de longueur. On fait année commune dans les salines de Salins 132 remandures, qui produisent autour de 158000 quintaux de sel blanc comme la neige, & agréable au gout, pour la formation desquels on consomme près de 11800 cordes de bois[4].

Après que la remandure est finie, on enleve le

    leur accorde encore onze deniers par charge de toute espece de sel formé, afin de les intéresse par la à apporter tous leurs soins à l’entretien des chaudieres, & à prévenir les coulées.

    Les maréchaux des salines sont à présent au nombre de neuf : il y a quatre maîtres & cinq compagnons.

  1. La vivacité du feu que l’on fait au fourneau se portant contre le fond de la poële, la tourmente, la bossue, & quelquefois en perce les tables, ou les disjoint. Alors la muire passant par ces ouvertures tombe dans le fourneau, c’est ce que l’on nomme coulée. Pour y remédier, un ouvrier monte sur les traverses de la poële, rompt avec un outil tranchant à l’endroit qu’on lui indique, l’équille qui couvre la place ou la chaudiere est percée, & y jette de la chaux vive détrempée. C’est pendant le tems des coulées que se forment les salaigres. La chaleur du fourneau saisissant vivement l’eau qui s’échappe, en attache le sel au fond de la poële, où, lorsque la coulée est longue & considérable, il forme des especes de stalactites qui pesent jusqu’à 30 ou 40 livres ; on ne peut les détacher qu’à la fin de la remandure, quand le fourneau est refroidi. Les petits morceaux de salaigres qui se trouvent dans les cendres des ouvroirs ou des fourneaux, se nomment bez. Il n’y a de différence que dans la grosseur.

    Il sembleroit aux chimistes que ces matieres exposées quelquefois pendant dix ou douze jours à une chaleur violente & continuelle, ne peuvent point conserver de salure, parce que l’acide marin emporté par l’activité du feu, doit se dissiper entierement, & laisser à nud la base alkaline dans laquelle il étoit engagé. Cependant les salaigres contiennent encore beaucoup de parties salines : les pigeons en sont très-friands, & ceux qui ont des colombiers recherchent avec empressement cette espece de pétrification.

    Les soins que l’on apporte aujourd’hui aux poëles de Salins empêchant presque entierement les coulées, & par conséquent la formation des salaigres, les fayanciers qui en faisoient grand usage pour leur fabrication, prennent pour y suppléer, des équilles des poëles. Ils les achetent à un prix plus bas, quoiqu’elles renferment beaucoup plus de sel. On vendoit les salaigres 15 liv. le quintal, ce qui étoit plus cher que le sel, & les équilles leur sont données pour 10 liv.

  2. Le portage des sels enlevés de la chaudiere se fait dans des gruaux de la contenance d’environ trente livres. Les aides qui en sont chargés ont chacun 12 sols 4 den. par remandure de la grande saline, & 1 liv. 2 sols 2 den. 2 tiers pour la petite saline.

    Le montier de service compte les gruaux de sel sortis de la chaudiere, sur le pié de dix pour onze, qui sont effectivement portés dans les magasins. Le onzieme est retenu pour prévenir les déchets.

    Il y a huit montiers, six à la grande saline & deux à la petite. Leurs fonctions sont de veiller sur toutes les parties du service de la formation des sels ; suivre les opérations des cuites, la fabrication des pains, avoir l’œil sur l’entretien des rouages, enfin sur tout ce qui a rapport au bien du service.

    Ils le relevent à la grande saline par garde de trois à trois alternativement, pendant 24 heures, tant de jour que de nuit.

  3. Il y a trente-six ouvriers & dix-huit femmes de berne.
  4. L’entrepreneur avec qui la ferme générale soustraite pour la formation des sels, & toutes les opérations qui y sont relatives jusqu’à leur délivrance, est tenu tant par son traité (voyez celui de 1756 avec Jean Louis Soyer), que par les arrêts des 24 Mars 1744, & 30 Mars 1756, de réduire la consommation des bois nécessaires pour la cuite des sels, à la quantité de 15784 cordes ; & de former par an 150773 quintaux 40 livres, ou 111684 charges en toute espece de sels ; les charges évaluées sur le pié de 135 liv. Le prix lui en est payé à raison de 2 liv. 6 sols pour les sels en grains, & de 2 liv. 15 sols pour les sels en pains.

    S’il excede la quantité de bois qui lui est accordée, il le paye à raison de 24 liv. la corde ; & si la consommation est moindre, la ferme générale lui donne 3 liv. par corde de bois épargné.

    Les bois que l’on amene dans la saline pour la cuite des muires, y sont entassés en piles fort élevées, parce que l’emplacement est étroit. Ces piles se nomment chales ; ceux qui les élevent enchaleurs, & leur manœuvre enchalage.