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peu d’eau qui reste dans la poële[1], & l’on trouve au fond une croute blanchâtre appellée équille, depuis 1 jusqu’à 3 pouces d’épaisseur, & si dure qu’on ne peut la détacher qu’en la cassant avec des marteaux pointus. Elle est formée du premier sel qui, se précipitant au fond de la poële, s’y attache, s’y durcit, par la violente chaleur qu’il y éprouve ; la pureté de l’eau salée à Salins fait que l’équille n’y renferme pas beaucoup de matieres étrangeres ; elles sont presque toutes enlevées par les bassins que l’on met dans la poële, pour que l’ébullition de l’eau les y fasse déposer, & il s’y en mêle fort peu avec l’équille, dont 18 livres en rendent 17 d’un sel très-bon & très-pur. On la brise sous une meule ; ensuite elle est fondue dans de grands bassins de bois avec les petites eaux du puits amuiré, qui se chargent des parties de sel qu’elle contient. On met assez d’équilles pour que les eaux puissent acquérir quatorze degrés de salure, & alors elles sont aussi envoyées à la cuve du tripot.

Le sel en grains que l’on doit délivrer en cette nature est porté de la chaudiere dans des magasins nommés étuailles de sel trié. Il y en a neuf[2] dans la grande saline pour contenir ces sels, & leur faire acquérir le dépôt de six semaines convenu par les traités avec les Suisses, auxquels ils sont destinés. Le tems du dépôt se compte du jour où l’étuaille est remplie. Ces neuf magasins peuvent contenir ensemble 51000 quintaux. Il n’y en a point à la petite saline, où tout le sel en grain est ensuite formé en pains.

De ces neuf magasins, il y en a huit qui ont de grandes cuves au-dessous : l’une est construite en pierre, & les autres en bois ; elles reçoivent l’égoût du sel en grains. La plus petite de ces cuves contient 285 muids, & la plus grande 1700 muids. La neuvieme étuaille n’a, au-lieu de cuve, qu’un chéneau qui conduit son égoût au tripot. C’est cet égout des sels que l’on nomme muire cuite ; elle est ordinairement à 30 degrés[3]. On la conduit dans une cuve particuliere, où l’on amene aussi des petites eaux à 5 degrés du puits à muire, ainsi que les changeantes du puits d’amont, jusqu’à ce que le mélange total ne soit plus qu’à 14 degrés ; alors l’on envoie encore ces eaux dans la cuve du tripot.

Le sel en grains, que l’on destine à être formé en pains, est porté, au sortir de la chaudiere, dans une grande salle appellée ouvroir. Chaque berne a le sien ; l’ouvroir a environ 60 piés de long sur 30 de large : dans un coin de chacun sont établies de longues tables de bois élevées à hauteur d’appui, dont une partie en plan incliné s’appelle sille, & sert à déposer les sels en grains que l’on apporte de la poële ; l’autre partie, nommée massou, est faite avec des madriers creusés d’environ 6 pouces, & destinés pour y fabriquer les pains. Un petit bassin reçoit les muires qui s’égouttent du sel déposé sur la sille ; il y est attenant, & on l’appelle l’auge du massou. Cette muire sert pour paîtrir le sel dans le massou, & aider ses parties à se serrer plus aisément.

Quatre femmes[4] sont chargées de former & de

sécher les pains de sel. Elles ont chacune leurs fonctions particulieres : la premiere se nomme mettari, parce qu’elle remplit l’écuelle ou moule dans lequel elle forme le pain avec le sel qu’elle a paîtri.

La seconde se nomme fassari. C’est elle qui donne la derniere forme au pain en passant les mains par-dessus pour l’unir, & ôter le sel qui excede l’écuelle ; ensuite elle la renverse dans une autre plus grande, appellée siche, qui est remplie de sel épuré, détache le pain du moule, & le porte sur le sel en grains qui est uni sur la sille.

C’est-là que les deux autres femmes, nommées sécharis, viennent le prendre chacune à leur tour, & le font sécher sur la braise[5] qui est allumée au milieu de l’ouvroir, & répandue dans toute sa longueur.

Six rangs de pains de sel arrangés les uns à côté des autres forment ce que l’on appelle un feu. Il faut ordinairement dix heures pour faire sécher un de ces feux. C’est à cet usage que l’on emploie les braises tirées des fourneaux des bernes ; mais elles ne suffisent pas, & l’on est encore obligé d’en acheter[6].

Après que les pains sont séchés, les sécharis les enlevent de dessus les braises, & les empilent de chaque côté de l’ouvroir : ensuite vient un ouvrier qui les range dans une espece de panier de la largeur du pain, & assez haut pour en contenir douze l’un sur l’autre. Il est construit avec deux baguettes courbées & entrelacées de filets d’écorce de tilleul. Cette opération s’appelle enbenater ; celui qui la fait, benatier[7] ; le panier, benaton, & lorsqu’il est rempli de 12 pains de sel, benate, dont quatre font une charge. Lorsque ces sels sont enbenatés, on les porte au-dessus de l’ouvroir dans le magasin, appellé étuaille de sel en pains.

Tous les sels formés dans les salines de Salins se délivrent tant aux cantons suisses, qu’aux habitans de la province de Franche-Comté. Ceux-ci n’ont que du sel en pains, & le sel en grain, appellé sel trié, est uniquement destiné pour les Suisses,

Il y a d’anciens traités entre le roi & les cantons catholiques du corps helvétique pour une fourniture au volume de 8250 bosses de sel en grains. La bosse[8] est un tonneau de sapin, qui a des mesures

  1. Cette eau, qui est le résidu de 16 cuites, s’appelle eau-mere ; elle est très-salée, mais chargée de parties grasses & huileuses. On la mêle avec des eaux foibles pour les fortifier.
  2. Les neuf étuailles des sels en grains ont chacune un nom particulier ; étuaille de Me François, Pierre vers comtesse ; Pierre vers glapin ; les Allemands vers comtesse ; les Allemands vers glapin ; beauregard ; roziere ; la potesne & les biefs. Elles ont chacune deux serrures à clés différentes, dont l’une est entre les mains du contrôleur à l’emplissage des bosses, l’autre entre celles des moutiers.
  3. L’eau ne peut jamais avoir plus de 33 degrés de salure ; lorsqu’on l’a portée à ce point, elle est saturée, & ne fond plus le sel qu’on lui présente.
  4. Ces femmes ont pour les quatre 8 livres dix sous de fixe par remandure, & 10 livres 6 sous 8 deniers par 400 champs de sel de toute espece ; ce qui fait pour chaque ouvriere 2 deniers par 75 pains de sel qu’elles forment.

    Ces femmes, dites femmes d’ouvroir, sont au nombre de 40, dont 28 à la grande saline, & 12 à la petite.

  5. Lorsque les braises qui ont servi au desséchement des pains de sel sont consumées, on en lessive les cendres pour en extraire les parties salines que les pains de sel y ont laissées. Cette opération a un inconvénient, c’est que si l’on retire le sel marin, on extrait en même tems le sel de cendre qui l’altere : on emploie à cet usage les petites eaux du puits à muire.
  6. Avant d’employer les petites braises au desséchement des sels en pain, on les met sur un crible de fer, pour en séparer la poussiere & toutes les parties trop menues ; c’est cette criblure que l’on nomme chanci.

    On en distingue de deux especes dans la saline de Salins ; le chanci noir est la criblure des braises qui sont amenées aux salines ; & le chanci blanc est la criblure de celles que l’on tire des fourneaux des bernes. Cette seconde espece est beaucoup plus estimée & plus recherchée que la premiere ; l’une & l’autre se donne en forme de gratification : la délivrance s’en sait dans des besives de bois.

  7. Le benatier est encore chargé de prendre les benates de sel sur la place, à mesure que les poulins les y apportent, & de les arranger sur les voitures des sauniers, après avoir verifié le compte des charges des benates, & des pains délivrés pour chacune.
  8. Il y a deux especes de bosses ; les longues & les courtes ; la dimension des premieres est fixée à 1 pié 6 pouces 8 lignes de diametre des fonds mesurés intérieurement à l’endroit des sables, ou traverses : 6 piés 2 pouces 6 lignes de circonférence extérieure du ventre, & 3 piés 9 pouces 8 lignes de hauteur dans œuvre entre les deux fonds.

    Les bosses courtes doivent avoir 1 pié 9 pouces de diametre des fonds ; 6 piés 8 pouces de circonférence, & 3 piés 1