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Quando, désigne le complément qui exprime une circonstance de tems. Or une circonstance de tems peut être déterminée, ou par une époque, qui est un point fixe dans la suite continue du tems, ou par une durée dont on peut assigner le commencement & la fin. La premiere détermination répond à la question quando, (quand), & l’on peut appeller la phrase qui l’exprime, complément circonstanciel de date ; comme il mourut hier ; nous finirons l’année prochaine ; Jésus naquit sous le regne d’Auguste. La seconde détermination répond à la question quandiu, (pendant combien de tems) ; & l’on peut donner à la phrase qui l’exprime le nom de complément circonstanciel de durée, comme il a vécu trente-trois ans ; cet habit durera long-tems.

Il ne faut pas douter qu’une métaphysique pointilleuse ne trouvât encore d’autres complémens, qu’elle désigneroit par d’autres dénominations : mais on peut les réduire à-peu-près tous aux chefs généraux que je viens d’indiquer ; & peut-être n’en ai-je que trop assigné pour bien des gens, ennemis naturels des détails raisonnés. C’est pourtant une nécessité indispensable de distinguer ces différentes sortes de complémens, afin d’entendre plus nettement les lois que la syntaxe peut imposer à chaque espece, & l’ordre que la construction peut leur assigner.

Par rapport à ce dernier point, je veux dire l’ordre que doivent garder entre eux les différens complémens d’un même mot, la Grammaire générale établit une regle, dont l’usage ne s’écarte que peu ou point dans les langues particulieres, pour peu qu’elles fassent cas de la clarté de l’énonciation. La voici.

De plusieurs complémens qui tombent sur le même mot, il faut mettre le plus court le premier après le mot completé ; ensuite le plus court de ceux qui restent, & ainsi de suite jusqu’au plus long de tous qui doit être le dernier. Exemple : Carthage, qui faisoit la guerre avec son opulence contre la pauvreté romaine, avoit par cela même du désavantage. (Consid. sur la grand. & la décad. des Rom. chap. iv.) Dans cette proposition complexe, le verbe principal avoit, est suivi de deux complémens ; le premier est un complément circonstanciel de cause, par cela même, lequel a plus de briéveté que le complément objectif du désavantage, qui en conséquence est placé le dernier : dans la proposition incidente, qui fait partie du sujet principal, le verbe faisoit a 1°. un complément objectif, la guerre ; 2°. un complément auxiliaire qui est plus long, avec son opulence ; 3°. enfin, un complément relatif qui est le plus long de tous, contre la pauvreté romaine.

La raison de cette regle, est que dans l’ordre analytique, qui est le seul qu’envisage la Grammaire générale, & qui est à-peu-près la boussolle des usages particuliers des langues analogues, la relation d’un complément au mot qu’il complete est d’autant plus sensible, que les deux termes sont plus rapprochés, & sur-tout dans les langues où la diversité des terminaisons ne peut caractériser celle des fonctions des mots. Or il est constant que la phrase a d’autant plus de netteté, que le rapport mutuel de ses parties est plus marqué ; ainsi il importe à la netteté de l’expression, cujus summa laus perspicuitas, de n’éloigner d’un mot, que le moins qu’il est possible, ce qui lui sert de complément. Cependant quand plusieurs complémens concourent à la détermination d’un même terme, ils ne peuvent pas tous le suivre immédiatement ; & il ne reste plus qu’à en rapprocher le plus qu’il est possible celui qu’on est forcé d’en tenir éloigné : c’est ce que l’on fait en mettant d’abord le premier celui qui a le plus de briéveté, & réservant pour la fin celui qui a le plus d’étendue.

Si chacun des complémens qui concourent à la détermination d’un même terme à une certaine éten-

due, il peut encore arriver que le dernier se trouve

assez éloigné du centre commun pour n’y avoir plus une relation aussi marquée qu’il importe à la clarté de la phrase. Dans ce cas l’analyse même autorise une sorte d’hyperbate, qui, loin de nuire à la clarté de l’énonciation, sert au contraire à l’augmenter, en fortifiant les traits des rapports mutuels des parties de la phrase : il consiste à placer avant le mot completé l’un de ses complémens ; ce n’est ni l’objet, ni le relatif ; c’est communément un complément auxiliaire, ou modificatif, ou de cause, ou de fin, ou de tems, ou de lieu. Ainsi, dans l’exemple déja cité, M. de Montesquieu auroit pu dire, en transposant le complément auxiliaire de la proposition incidente, Carthage, qui, avec son opulence, faisoit la guerre contre la pauvreté romaine ; & la phrase n’auroit été ni moins claire, ni beaucoup moins harmonieuse : peut-être auroit-elle perdu quelque chose de son énergie, par la séparation des termes opposés son opulance & la pauvreté romaine ; & c’est probablement ce qui assure la préférence au tour adopté par l’auteur, car les grands écrivains, sans rechercher les antitheses, ne négligent pas celles qui sortent de leur sujet, & encore moins celles qui sont à leur sujet.

Il arrive quelquefois que l’on voile la lettre de cette loi pour en conserver l’esprit ; & dans ce cas, l’exception devient une nouvelle preuve de la nécessité de la regle. Ainsi, au lieu de dire, l’Evangile inspire une piété qui n’a rien de suspect, aux personnes qui veulent être sincerement à Dieu ; il faut dire, l’Evangile inspire aux personnes qui veulent être sincerement à Dieu, une piété qui n’a rien de suspect : « & cela, dit le P. Buffier, n. 774. afin d’éviter l’équivoque qui pourroit se trouver dans le mot aux personnes ; car on ne verroit point si ce mot est régi par le verbe inspire, ou par l’adjectif suspect. L’arrangement des mots ne consiste pas seulement, dit Th. Corneille (Not. sur la rem. 454. de Vaugelas), à les placer d’une maniere qui flatte l’oreille, mais à ne laisser aucune équivoque dans le discours. Dans ces exemples, je ferai avec une ponctualité dont vous aurez lieu d’être satisfait, toutes les choses qui sont de mon ministere, il n’y a point d’équivoque, mais l’oreille n’est pas contente de l’arrangement des mots : il faut écrire, je ferai toutes les choses qui sont de mon ministere, avec une ponctualité dont vous aurez lieu d’être satisfait. »

M. Corneille ne semble faire de cet arrangement qu’une affaire d’oreille ; mais il faut remonter plus haut pour trouver le vice du premier arrangement de l’exemple proposé : il n’y a point d’équivoque, j’en conviens, parce qu’il ne s’y présente pas deux sens dont le choix soit incertain ; mais il y a obscurité, parce que le véritable sens ne s’y montre pas avec assez de netteté, à cause du trop grand éloignement où se trouve le complément objectif.

Tel est le principe général par lequel il faut juger de la construction de tant de phrases citées par nos Grammairiens : les complémens doivent être d’autant plus près du mot completé, qu’ils ont moins d’étendue ; & comme cette loi est dictée par l’intérêt de la clarté, dès que l’observation rigoureuse de la loi y est contraire, c’est une autre loi d’y déroger.

En vertu de la premiere loi, il faut dire, employons aux affaires de notre salut toute cette vaine curiosité qui se répand au-dehors, selon la correction indiquée par le P. Bouhours (rem. nouv. tom. I. p. 219.) ; & il faut dire pareillement, qu’ils placent dans leurs cartes, tout ce qu’ils entendent dire, & non pas qu’ils placent tout ce qu’ils entendent dire, dans leurs cartes.

En vertu de la seconde loi, il faut dire avec le P. Bouhours, ibid. & avec Th. Corneille (loc. cit.) : il se persuada qu’en attaquant la ville par divers endroits, il répareroit la perte qu’il venoit de faire ; & non pas,