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cédent, lorsque les circonstances sont de nature a le désigner d’une maniere précise ; parce que le but de la parole en est mieux rempli, la pensée étant peinte sans équivoque & sans superfluité : or il est évident que c’est ce qui arrive dans tous les exemples précédens ; il n’y a qu’une personne qui puisse accuser quelqu’un, & d’ailleurs l’usage de notre langue est, en cas d’ellipse, de n’employer qui qu’avec relation aux personnes ; que est toujours relatif aux choses en pareille occurrence, & c’est la même chose de quoi ; pour lequel, on ne peut s’en servir qu’immédiatement après avoir nommé l’antécédent, dont ce mot rappelle nettement l’idée au moyen de l’article dont il est composé.

Cette possibilité de suppléer l’antécédent sert encore de fondement à une autre ellipse, qui dans l’occasion en devient comme une suite ; c’est celle du mot qui marque l’interrogation, dans les phrases où l’on a coutume de dire que les prétendus pronoms absolus sont interrogatifs. Qui vous a accusé ? c’est-à-dire, (dites-moi la personne) Qui vous a accusé ; que vous donnerai-je ? c’est-à-dire, (indiquez-moi ce) que je vous donnerai ; à quoi pensez-vous ? c’est-à-dire, (faites-moi connoître la chose) à quoi vous pensez ; auquel donnez-vous la préférence ? c’est-à-dire, (déclarez le livre) auquel vous donnez la préférence. Dans toutes ces phrases, l’adjectif conjonctif se trouve à la tête, quoique dans l’ordre analytique il doive être précédé d’un antécédent ; c’est donc une nécessité de le suppléer : d’ailleurs puisqu’il appartient toujours à une proposition incidente, & l’antécédent à la principale, & que cependant il n’y a qu’un seul verbe dans toutes ces phrases, qui est celui de l’incidente ; il faut bien suppléer le verbe de la principale : mais comme le ton, quand on parle, indique suffisamment l’interrogation, & qu’elle est marquée dans l’écriture par la ponctuation, ce verbe doit être interrogatif ; & par conséquent ce doit être l’impératif singulier ou pluriel, selon l’occurrence, des verbes qui énoncent un moyen de terminer l’incertitude ou l’ignorance de celui qui parle, comme dire, déclarer, apprendre, enseigner, remontrer, faire connoître, indiquer, désigner, nommer, &c. (voyez Interrogatif.) Dans ce cas, l’antécédent sous-entendu que l’on supplée, doit être le complément de ce verbe impératif, comme on le voit dans le développement analytique des exemples que je viens d’expliquer.

Ce que je viens de dire par rapport à notre langue est essentiellement vrai dans toutes les autres, & spécialement en latin. Le quis & le quid, quoiqu’ils aient une terminaison différente de qui & de quod, ne sont pourtant guere autre chose que ces mots mêmes, à moins qu’on ne veuille croire que quis c’est qui avec la terminaison du démonstratif is qui en doit modifier l’antécédent, & que quid c’est quod avec la terminaison du démonstratif id. Cette opinion pourroit expliquer pourquoi quis ne s’emploie qu’en parlant des personnes, & quid en parlant des choses ; c’est que le démonstratif is suppose l’antécédent homo, & le démonstratif id, l’antécédent negocium ; d’où il vient que quis étoit anciennement du genre commun, ainsi que les mots qui en sont composés, quisquis, aliquis, ecquis, &c. (voyez Prisc. xiij. de secundâ pron. decl. Voss. de anal. iv. 8.) Mais admettre ce principe, c’est établir en même tems la nécessité de suppléer ces antécédens, soit que les phrases soient positives, soit qu’elles aient le sens interrogatif ; & si elles sont interrogatives, il y a également nécessité de suppléer le verbe interrogatif, afin de completter la proposition principale, & de donner de l’emploi à l’antécédent suppléé. Au reste, que quis & quid viennent de qui, quæ, quod, & n’en different que comme je l’ai dit ; on en trouve

une nouvelle preuve, en ce qu’ils n’ont point d’autres cas obliques que qui, quæ, quod, & qu’alors la terminaison ne pouvant plus montrer les distinctions que j’ai marquées plus haut, on est obligé d’exprimer le nom qui doit être antécédent.

Puisque c’est la vertu conjonctive qui est le principal fondement des lois de la syntaxe par rapport à l’espece d’adjectif dont je viens de parler ; il est important de reconnoître les autres mots conjonctifs, sujets par conséquent aux regles qui portent sur cette propriété.

Or il y a en latin plusieurs adjectifs également conjonctifs. Tels sont, par exemple, qualis, quantus, quot, qui renferment en outre dans leur signification la valeur des adjectifs démonstratifs talis, tantus, tot, de la même maniere que qui, quæ, quod renferme celle de l’adjectif démonstratif is, ea, id. Mais dans la construction analytique, l’antécédent de qui, quæ, quod doit être modifié par l’adjectif démonstratif is, ea, id, afin qu’il soit pris dans la proposition principale sous la même acception que dans l’incidente : les adjectifs qualis, quantus, quot, supposent donc de même un antécédent modifié par les adjectifs démonstratifs, talis, tantus, tot, dont ils renferment la valeur. Cette conséquence est justifiée par les exemples suivans : Quales sumus, tales esse videamur ; Cic. videre mihi videor tantam dimicationem, quanta nunquam fuit ; Id. de nullo opere publico tot senatûs extant consulta, quot de meâ domo. Id.

Les adjectifs cujus, cujas, quotus, sont aussi conjonctifs, & ils sont équivalens à des périphrases qu’il faut rappeller quand on veut en analyser les usages.

Cujus signifie ad quem hominem pertinens ; ainsi l’antécédent analytique de cujus, c’est is homo, parce que le vrai conjonctif qui reste après la décomposition, c’est qui, quæ, quod. La troisieme églogue de Virgile commence ainsi : Dic mihi, Damoeta, cujum pecus ? c’est-à-dire, dic mihi, Damoeta, (eum hominem) cujum pecus (est hoc pecus) ou bien ad quem hominem pertinens (est hoc pecus) : sur quoi j’observerai en passant, que l’interrogation est exprimée ici positivement par dic mihi, conformément à ce que j’ai dit plus haut, dont cet exemple devient une nouvelle preuve. Cette maniere de remplir la construction analytique par rapport à l’adjectif cujus, est autorisée non-seulement par la raison du besoin, telle que je l’ai exposée, mais par l’usage même des meilleurs écrivains : je me contenterai de citer Cicéron, (3. Verrin.) : ut optimâ conditione sit is, cuja res sit, cujum periculum ; que manque-t-il avec is, que le nom homo, suffisamment désigné par le genre de is & par le sens ?

Cujas veut dire ex quâ regione ou gente oriundus : donc l’antécédent analytique de cujas, c’est ca regio, ou ea gens. Voici un trait remarquable de Socrate, rapporté par Cicéron (V. Tusc.) : Socrates quidem cùm rogaretur cujatem se esse diceret, mundanum, inquit ; c’est-à-dire, cùm rogaretur (de eâ regione) cujatem se esse diceret, ou bien ex quâ regione oriundum se esse diceret.

Quotus, c’est la même chose que si l’on disoit in quo ordinis numero locatus, & par conséquent l’analyse assigne pour antécédent à cet adjectif, is ordinis numerus, dont l’idée est reprise dans quotus. Hora quota est, Hor. c’est la même chose que si l’on disoit analytiquement, (dic mihi eum ordinis numerum) in quo ordinis numero locata est (præsens) hora.

Je pourrois parcourir encore d’autres adjectifs conjonctifs & les analyser ; mais ceux-ci suffisent aux vues de l’Encyclopédie, où il s’agit plutôt d’exposer des principes généraux, que de s’appesantir sur des