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à-moins qu’on ne les enleve avec la motte de terre. Les jeunes plants que l’on mettra dans les endroits où l’on voudra qu’ils soient à demeure, seront plantés à trois ou quatre piés de distance, parmi les broussailles & les épines qui s’y trouveront & qu’il faudra laisser, en faisant seulement un trou suffisant pour recevoir le sapin, mais peu profond, & on recouvrira les racines avec de la bonne terre que l’on aura réduite en bouillie dans un baquet. A l’égard dés plants auxquels on voudra faire prendre de la hauteur avant de les placer à demeure, il faudra les mettre en pepiniere à trois piés de distance, mais il faudra avoir grand soin de concentrer leurs racines en faisant bêcher à leur pié tous les ans à deux différentes fois, pour couper les fibres qui cherchent à s’étendre ; car la culture de ces arbres dans la pepiniere ne doit avoir pour objet que le moyen de pouvoir les enlever avec la motte de terre, sans quoi nul succès pour la transplantation, qui doit dans tous les cas se faire au mois d’Avril, par un tems doux & couvert ; mais il faut toujours avoir pour principe de ne leur donner que le moins de culture qu’il est possible. Si on plante les sapins trop près, les branches inférieures perdent leurs feuilles & se dessechent, ce qui fait un aspect desagréable ; la distance de douze piés est la moindre qu’on puisse leur donner, lorsque la ligne où on les plante est isolée ; mais si l’on veut former plusieurs lignes de ces arbres, il faut les espacer de dix-huit à vingt piés.

On peut tailler ces arbres sans inconvénient dans toutes les saisons, si ce n’est dans le tems qu’ils sont en pleine seve, & qu’ils poussent ; pourvû cependant qu’on ne leur fasse pas tout-à-la-fois un retranchement trop considérable. On doit considérer aussi que le mois de Septembre est le tems le plus propre à cette opération ; on peut même les arrêter à la cime, quand pour de certains arrangemens on ne veut pas qu’ils montent si vîte. Mais il ne faut pas croire que le retranchement des branches du pié puisse contribuer à leur accroissement ; jamais il n’est plus prompt que quand on laisse aller ces arbres à leur gré, & le retranchement des rameaux inférieurs ne leur profite que quand ils se dessechent & tombent d’eux-mêmes, lorsque les arbres sont plantés près les uns des autres. Il ne faut donc les élaguer que peu-à-peu & autant qu’il est besoin, pour leur former une tête à la hauteur que l’on desire.

Comme les forêts de sapins sont ordinairement sur le replat des montagnes, fort élevées & dans des terreins légers qui ont peu de profondeur, que d’ailleurs ces arbres pivotent rarement, qu’ils ont une grande hauteur & qu’ils donnent beaucoup de prise au vent ; il arrive souvent que dans des tems orageux il y a un nombre d’arpens dont tous les sapins sont renversés. Dans ces cas, comme il ne croît aucunes plantes sous les sapins, le terrein paroît entierement dénué de végétaux & sans ressource. Mais bien-tôt il vient des framboisiers, des fougeres, &c. qui par leur ombrage & leur fraîcheur, favorisent la germination des graines de sapin, dont la surface du terrein est toujours suffisamment garnie ; cependant leur succès dépendra sur-tout du soin que l’on aura d’empêcher le parcours du bétail, qui en détruisant l’herbe, laisseroit la terre exposée au desséchement ; d’où il arriveroit que les graines ne leveroient pas.

Il ne faut rien attendre des sapins qui ont été coupés ; ils ne donnent jamais de rejettons. Ce sont autant d’arbres supprimés pour toujours, & qui ne peuvent être remplacés que par les jeunes plants qui ont levé aux environs. Cet inconvénient doit engager à exploiter les forêts de sapins différemment des arbres qui ne sont pas résineux ; on doit donc laisser dans le tems des coupes beaucoup plus d’arbres en reserve que les ordonnances ne le prescrivent en général ;

non-seulement pour répandre des graines dans le canton exploité, mais sur-tout pour procurer l’ombre & la fraîcheur qui sont absolument nécessaires pour les faire lever.

On ne fait nul usage du vrai sapin ou sapin à feuille d’if pour l’ornement des grands jardins & des parcs, malgré la beauté de son feuillage qui est d’un verd tendre, brillant & stable. Chacun s’étonne de ce qu’on lui préfere l’épicea que l’on trouve par-tout, & qui n’a pas à beaucoup près autant d’agrément. Mais la raison en est simple ; c’est que l’épicea est plus commun, qu’il se multiplie plus aisément que le sapin, qu’il souffre mieux la transplantation, & qu’il se contente d’un terrein plus médiocre.

On tire de grands services du sapin pour différens arts : le sapin proprement dit que l’on nomme sapin à feuille d’if, donne une résine liquide & transparente, connue sous le nom de térébenthine ; c’est sur-tout dans les montagnes de la Suisse où il y a beaucoup de sapins d’où l’on tire cette résine. Sur la façon de la tirer, de l’épurer & de la mettre en état de vente. Voyez le Traité des arbres de M. Duhamel, à l’article abies.

Le bois du sapin est blanc, tendre, léger, & il fend aisément ; cependant il est ferme & ne plie pas sous le faix. Il sert à quantité d’usages ; on en fait la mâture des plus grands vaisseaux ; on en tire des pieces de charpente de toutes sortes d’échantillons. Après le chêne & le châtaignier, c’est le bois le plus convenable pour cet objet. Il en est de même pour la menuiserie, où l’on fait très-grand usage des planches de ce bois ; il est excellent pour tous les ouvrages du dedans. Sa durée est très-longue, s’il n’est pas posé à l’humidité ou couvert de plâtre ; cependant il reste long-tems dans la terre sans pourrir, & il n’y noircit pas comme le chêne ; on en fait aussi les tables des instrumens à cordes. Enfin, ce bois est bon pour le chauffage, & on en peut faire du charbon. Si l’on ferme entierement une chambre avec des volets de sapin amenuisé au point de n’avoir qu’une ligne d’épaisseur, ils laissent passer autant de jour que les fermetures que l’on nomme sultanes ; mais le sapin paroît rouge, & rend le même effet que si la lumiere passoit à-travers un rideau d’étoffe cramoisie. Le bois du sapin est de meilleure qualité que celui de l’épicea, avec lequel on le confond souvent. Le sapin propre à la mâture des vaisseaux se tire ordinairement des pays du nord, & c’est le plus estimé. Cependant on en tire beaucoup du Dauphiné, de la Franche-Comté, de l’Auvergne, & des environs de Bordeaux ; mais tout le sapin que l’on employe à Paris vient de l’Auvergne. On peut donner en hiver aux moutons, les jeunes rejettons & les feuilles du sapin ; cette nourriture leur est fort saine. On fait aussi quelqu’usage en Médecine des plus tendres rameaux de cet arbre.

Voici les especes ou variétés que l’on connoît à présent dans le genre du sapin : je désignerai sous le nom de sapin, toutes les especes de cet arbre dont les cônes ont la pointe tournée en-haut ; & sous le nom d’épicea, toutes les autres sortes de cet arbre dont les cônes ont la pointe tournée vers la terre.

1. Le vrai sapin ou le sapin à feuille d’if, ou le sapin blanc ; c’est à cette espece qu’il faut particulierement appliquer ce qui a été dit ci-dessus. Il veut un meilleur terrein que l’épicea, il faut plus de soins pour l’élever & le transplanter, & les graines tombent dès le mois d’Octobre avec les écailles qui composent le cône ; ensorte que si l’on veut avoir des cônes entiers pour conserver la graine & l’envoyer au loin, il faut les faire cueillir bien à tems. Son accroissement n’est pas si prompt que celui de l’épicea ; il n’est ni si vivace, ni si agreste, mais il a plus de beauté, & son bois est plus estimé ; les plus beaux sapins de cette