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Seigneuriage & Brassage droit de, (Monnoies.) c’est ainsi qu’on nomme le profit que le prince prend sur les matieres, tant comme seigneur, que pour les fabriquer en monnoie ; ces droits montent peut-être en France à trois pour cent de la valeur ; selon cette supputation celui qui porte des matieres à l’hôtel de la monnoie pesant cent onces, & du même titre que les especes, reçoit quatre-vingt dix-sept onces fabriquées. L’Angleterre ne prend aucun profit du seigneuriage ni du brassage sur la monnoie ; la fabrique est défrayée par l’état ; & c’est une excellente vûe politique.

Le droit de seigneuriage étoit non-seulement inconnu aux anciens, mais, même sous les Romains, on ne prenoit pas sur les monnoies les frais de fabrication, comme la plûpart des princes font aujourd’hui ; l’état les payoit au particulier qui portoit une livre d’or fin à la monnoie ; on lui rendoit 72 sols d’or fin, qui pesoient une livre. Ainsi l’or & l’argent en masse, ou converti en monnoie, étoit de même valeur.

Il est difficile d’indiquer quand nos rois ont commencé à lever le droit de seigneuriage sur leurs monnoies, ou pour mieux dire, sur leurs sujets. Nous n’avons rien sur cela de plus ancien qu’une ordonnance de Pepin. Du moins il y a apparence que les rois de la premiere race en avoient joui, parce qu’il n’est pas vraissemblable que Pepin eût osé dans le commencement de son regne, imposer un nouveau tribut sur les François qui venoient de lui donner la couronne.

Dans tout ce qui nous reste d’ordonnances des rois de la seconde race pour les monnoies, il n’y est fait aucune mention de ce droit ; cependant la donation que Louis le débonnaire fit à S. Médard de Soissons du pouvoir de battre monnoie, montre que l’on en tiroit quelque profit, puisqu’il dit qu’il leur accorde ce droit pour être employé au service qui se faisoit chez eux en l’honneur de S. Sébastien. Mais ce droit qui est quelquefois appellé monetagium, est très-bien prouvé dans un bail que Philippe Auguste fit l’an 1202, de la monnoie de Tournai. Nos habebimus tertiam partem monetagii quod inde exiet. Tâchons à-présent de découvrir en quoi consistoit ce droit, du moins sous quelques regnes.

Depuis Pepin qui prenoit la vingt-deuxieme partie de douze onces, nous ne savons point ce que ses successeurs jusqu’à S. Louis, prirent sur les monnoies pour le droit de seigneuriage, & pour les frais de la fabrication. Il est difficile de dire à quoi se montoit l’un & l’autre ; car cela a fort varié dans tous les regnes, même sous ceux où les monnoies n’ont point été affoiblies, & où elles ont été bien réglées. Cependant ce que S. Louis leva sur ses monnoies, nous peut servir en quelque façon de regle, puisque toutes les fois qu’elles tomberent dans le désordre sous ses successeurs, ce qui arriva souvent, les peuples demanderent toujours qu’on les remît au même état qu’elles étoient du tems de S. Louis.

Ce sage prince avoit fixé le prix du marc d’argent à 54 sols 7 deniers tournois ; & il le faisoit valoir 58 sols étant converti en monnoie ; de sorte qu’il prenoit sur chaque marc d’argent, tant pour son droit de seigneuriage que de brassage, ou frais de la fabrication, 3 s. 5 d. c’est-à-dire, quatre gros d’argent, ou la sixieme partie du marc. On prenoit aussi à proportion un droit de seigneuriage sur les monnoies d’or. M. le Blanc a donné des tables à la fin de chaque regne, qui constatent ce que les successeurs de S. Louis ont levé, tant sur les monnoies d’argent que sur celles d’or.

Nos rois se sont quelquefois départis de ce droit de seigneuriage, retenant seulement quelque chose pour la fabrication ; c’est ainsi que se conduisit Phi-

lippe de Valois au commencement de son regne.

Toutes sortes de personnes, dit-il, porteront le tiers de leur vaisselle d’argent à la monnoie… & seront payées, sans que nous y prenions nul profit, mais seulement ce que la monnoie coutera à fabriquer. Il paroit par une autre ordonnance du roi Jean, qu’il fit la même chose sur la fin de son regne. Il y est dit, en parlant des monnoies qu’il venoit de faire fabriquer, qu’elles avoient été mises à si convenable & juste prix, que lui roi n’y prenoit aucun profit, lequel il pouvoit prendre, s’il lui plaisoit, mais vouloit qu’il demeurât au peuple. Louis XIII. & Louis XIV. ont suivi une ou deux fois cette méthode.

Il convient de remarquer que ce que nos anciens rois prenoient sur la fabrication de leurs monnoies, étoit un des principaux revenus de leur domaine : ce qui a duré jusqu’à Charles VII. aussi lorsque le besoin de l’état le demandoit, le roi non-seulement augmentoit ce droit, & levoit de plus grosses sommes sur la fabrication des monnoies, mais par une politique bien mal-entendue, il les affoiblissoit, c’est-à-dire, en diminuoit la bonté : c’est ce que nous apprend un plaidoyé fait en l’an 1304 par le procureur de Philippe le Bel, contre le comte de Nevers, qui avoit affoibli sa monnoie. « Abaissier & amenuisier la monnoie, dit le procureur général, est privilege espécial au roi, de son droit royal, si que à lui appartient, & non à un autre ; & encore en un seul cas, c’est à savoir en nécessité, & lors non pour le convertir en son profit espécial, mais en la défense d’un commun ».

Sous la troisieme race, dès que les rois manquoient d’argent, ils affoiblissoient leurs monnoies, pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de l’état, n’y ayant encore ni aides, ni tailles. Charles VI. dans une de ses ordonnances, déclare qu’il est obligé d’affoiblir ses monnoies, pour résister à son adversaire d’Angleterre, & obvier à sa damnable entreprise, attendu, ajoute-il, que de présent nous n’avons aucun autre revenu de notre domaine, dont nous nous puissions aider.

Les grandes guerres que les successeurs de S. Louis eurent à soutenir contre les Anglois, les obligerent souvent de pratiquer ce dangereux moyen pour avoir de l’argent. Charles VII. dans la pressante nécessité de ses affaires, poussa l’affoiblissement si loin, & leva un si gros droit sur les monnoies, qu’il retenoit les trois quarts d’un marc d’argent pour son droit de seigneuriage & de brassage. Il prenoit encore une plus grosse traite sur le marc d’or.

M. le Blanc dit avoir lu dans un manuscrit de ce tems-là, que le peuple se ressouvenant de l’incommodité & des dommages infinis qu’il avoit reçus de l’affoiblissement des monnoies & du fréquent changement du prix du marc d’or & d’argent, pria le roi de quitter ce droit, consentant qu’il imposât les tailles & les aides : ce qui leur fut accordé ; le roi se réserva seulement un droit de seigneuriage fort petit, qui fut destiné au payement des officiers de la monnoie, & aux frais de la fabrication. Un ancien regître des monnoies qui paroit avoir été fait sous le regne de Charles VIII. dit que « onques puis, que le roi meit les tailles des possessions, l’abondance des monnoies ne lui chalut plus. » On voit par-là que l’imposition fixe des tailles & des aides fut substituée à la place d’un tribut infiniment plus incommode que n’étoient alors ces deux nouvelles impositions. (Le chevalier de Jaucourt.)

SEIGNEURIAL, adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui appartient au seigneur ou à la seigneurie, comme un manoir seigneurial, un droit seigneurial, le retrait seigneurial. Voyez Seigneur, Seigneurie. (A)

SEIGNEURIE, s. f. (Gram. & Jurisp.) est le titre que l’on donne à différentes sortes de supériorités &