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L’Encyclopédie/1re édition/SEIGNEUR

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SEIGNEUR, (Gram. & Jurispr.) signifie en général celui qui a quelque puissance ou supériorité politique sur d’autres personnes.

Ce terme de seigneur vient du latin senior, parce qu’anciennement chez presque toutes les nations, les vieillards étoient ceux qui gouvernoient les autres.

C’est ainsi que chez les Hébreux & les Juifs senes populi ac magnates ou judices, étoient synonymes, & signifioient les magistrats & juges qui gouvernoient le peuple.

De même, chez les Romains le sénat fut ainsi appellé à senio.

C’est de-là que le titre de seigneurs est demeuré aux princes, aux prélats & aux autres grands de l’état, grands du royaume, aux officiers des cours souveraines & autres personnes, qui ne tirent ce titre que de leur office ou fonction.

On entend aussi par le terme de seigneur celui qui tient en fief la justice d’un lieu, ou qui possede quelqu’héritage, soit en fief ou en franc-aleu.

Les seigneurs sont de plusieurs sortes ; les grands & les moindres.

Les grands seigneurs étoient anciennement appellés leudes & fideles regni, les féaux, vavassores, vassalli dominici.

Présentement les grands seigneurs sont les princes souverains ou ceux qui ont le titre de prince, sans néanmoins être souverains, les ducs, les comtes, les marquis, les barons.

Les moindres seigneurs sont tous les autres seigneurs, soit titrés, tels que les vicomtes, vidames, châtelains, ou non titrés, comme les simples seigneurs justiciers ou de fief. Voyez ci-après le mot Seigneurie. (A)

Seigneur bas-justicier, est celui qui ne tient en fief que la basse-justice. Voyez Justice.

Seigneur censier, ou censuel, est celui qui a donné un héritage, à la charge d’un cens, & auquel le payement de ce cens est dû.

Seigneur-foncier, ou Chef-Seigneur, ou très-foncier, est le premier seigneur ou propriétaire de l’héritage, celui qui a la plus ancienne redevance fonciere imposée sur cet héritage. Voyez l’auteur du grand Coutumier, liv. IV. tit. de justice-fonciere, Dumoulin, Loyseau.

Seigneur direct, ou féodal, est celui duquel un héritage releve, soit en fief ou en censive. Voyez Seigneur féodal, foncier, Direct & Seigneurie.

Seigneur dominant, est celui dont un fief releve directement & immédiatement. On l’appelle ainsi par opposition au vassal qui est appellé seigneur du fief servant. Coutume de Paris, art. li. & lviij.

Seigneur ecclésiastique, est un bénéficier qui possede quelque seigneurie attachée à son bénéfice.

Seigneur engagiste, est celui qui tient du roi quelque terre ou seigneurie, à titre d’engagement, c’est-à-dire, sous faculté perpétuelle de rachat. Voyez Domaine, Engagement & Engagiste.

Seigneur féodal, ou feudal, ou Seigneur de fief, est celui qui tient un héritage en fief.

On entend souvent par ce terme le seigneur dominant, relativement au vassal.

Seigneur de fief, est celui qui est propriétaire d’un fief, c’est-à-dire, qui tient d’un autre seigneur un bien, à la charge de la foi & hommage. Voyez Fief, Foi, Hommage

Seigneurs des fleurs-lys ; on appelloit ainsi anciennement ceux qui tenoient le parlement, à cause qu’ils siégeoient sur les fleurs de lys. Voyez les Ordonnances de la troisieme race, tome III. p. 48 de la préface.

Seigneur foncier, ou très-foncier, est celui qui a la plus ancienne redevance fonciere sur un héritage. Voyez la coutume d’Orléans, art. ccxiv. cccxxvij. la Marche, art. cxxxiv. L’oyseau, du déguerpissem. liv. I. ch. v. n. 11.

Seigneur gagier ; c’est ainsi qu’en quelques pays l’on appelle le seigneur engagiste. Voyez Stokman. décis. 90.

Seigneur haut & puissant, est le titre que prennent les grands du royaume & ceux qui possedent des seigneuries titrées.

Ce titre paroît imité de ces braves qui étoient auprès du roi, & que Grégoire de Tours appelle fortes. Voyez Morery, tom. I. pag. 72.

Personne ne doit régulierement prendre ce titre, qu’il n’y soit fondé. Et dans les foi & hommages, aveux & dénombremens qui se rendent aux chambres des comptes, quand on trouve ce titre pris par quelqu’un qui ne paroît pas y être fondé, on ordonne qu’il en justifiera.

Seigneur haut-justicier, est celui qui tient en fief une haute-justice. Voyez Justice & Jurisdiction.

Seigneur jurisdictionnel, est celui qui a la justice. Ce terme paroît usité au parlement de Grenoble, pour dire seigneur justicier, ainsi qu’on peut le voir dans Chorier, en sa jurisprudence de Guypape, pag. 94.

Seigneur libre, ou plutôt libre Seigneur, titre que prend le seigneur de Saint-Maurice dans le Mâconnois, terre possédée depuis plus de six cens ans par la maison de Chevriers, avec une partie du péage de Mâcon en fief-lige. François Léonard, marquis de Chevriers, & Claude-Joseph, son pere, sont qualifiés l’un & l’autre libre seigneur de saint Maurice. Voyez le Mercure de Juin 1749, tome I. page 212. Ce titre de libre seigneur peut signifier que cette terre est un franc-aleu, ou qu’elle n’est tenue qu’à simple hommage & non en fief-lige, comme la portion du péage de Mâcon que le même seigneur tient en fief-lige.

Seigneur-lige, se prend quelquefois pour celui auquel est dû l’hommage-lige ; mais en Bretagne il signifie le seigneur le plus prochain, c’est-à-dire, le seigneur immédiat. Voyez la Coutume de Bretagne, articles ccclxxij. ccclxxv. ccclxxviij. ccclxxxiv, & les mots Lige, Hommage-lige, & Seigneur prochain.

Seigneur de lois, ou en lois. On entendoit anciennement par-là une personne versée dans l’étude du droit, un jurisconsulte. On créoit des chevaliers en lois. Voyez Beaumanoir, ch. xxxviij. p. 203. lign. 28, & le recueil des Ordonnances de la troisieme race, tom. III. pag. 48 de la préface, & pag. 346 de l’ouvrage, lign. 22.

Seigneur moyen-justicier, est celui qui ne tient en fief que la moyenne-justice. Voyez Justice.

Seigneur de paroisse, est celui dans la haute-justice duquel une église paroissiale se trouve bâtie. Néanmoins dans le comté de Chaumont, ceux qui ont la moyenne justice sur le terrain où est bâtie l’église, se qualifient seigneurs de la paroisse. Voyez Guyot en ses Observations sur les droits honorifiques, pag. 128.

Seigneur en partie, est celui qui n’a pas à lui seul la totalité de la seigneurie d’un lieu, mais seulement une portion de cette seigneurie.

Seigneur patron, est celui qui jouit d’un droit de patronage attaché à sa seigneurie. Voyez Patron, Patronage, Seigneur, Seigneurie, Droits honorifiques.

Seigneur plus près du fond, c’est le seigneur immédiat. Voyez la coutume du Poitou, art. 22 ; Angoumois, tit. 1, art. 12.

Seigneur prochain ou proche, en Bretagne signifie le seigneur immédiat dont on tient en plein fief, à la différence du seigneur supérieur ou suzerain dont on releve en arriere-fief. Bretagne, art. 372, 375, 378, 384.

Seigneur profitable, en la coutume de Clermont, art. 108 & 109, est celui qui jouit du fond même de l’héritage, à la différence du seigneur direct, qui n’a droit de réclamer sur cet héritage que la foi ou le cens. C’est ce que l’on appelle ailleurs seigneur utile, & pour parler plus clairement, le propriétaire.

Seigneur redouté ou très-redouté, titre donné anciennement à quelques-uns de nos seigneurs. Philippe le bel fut le premier qui souffrit qu’on lui donnât ce titre. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome I. p. 793, & les lettres histor. sur les parlemens, tome II. p. 254.

Seigneur spirituel, on entend par ce terme un prélat qui a la puissance publique ecclésiastique dans un certain district, comme un évêque, un abbé ou autre bénéficier. Voyez Abbé, Évêque, Jurisdiction ecclésiastique, Prélat.

Seigneur subalterne, est le seigneur justicier autre que le roi, duquel il est inférieur & vassal ou arriere-vassal, & ressortit en la juridiction royale. Voyez la coutume de Berry, tit. 2, art. 14, 21, 35 ; tit. 5, art. 28, 55 ; tit. 6, art. 6, tit. 9, art. 10, tit. 10, art. 3.

Seigneur suzerain, s’entend quelquefois de tout seigneur autre que le souverain ; mais dans l’usage ordinaire on entend par ce terme le seigneur qui est au-dessus du seigneur dominant, & duquel un héritage releve en arriere-fief. Voyez Suzerain & Suzeraineté.

Seigneur temporel, est celui qui a la seigneurie publique profane d’un lieu, à la différence du seigneur spirituel qui n’en a la jurisdiction que pour le spirituel.

Seigneur très-foncier, voyez Chef, Seigneur & Seigneur foncier.

Seigneur vicomtier, quasi vice-comitis, est celui qui a la moyenne justice ; c’est ainsi qu’il est appellé dans les coutumes de Ponthieu, Artois, Amiens, Montreuil, Beauquesne, Vimeu, Saint-Omer, Lille, Hesdin, &c.

Seigneur utile, c’est le propriétaire, celui qui retire les profits du fond, à la différence du seigneur direct qui n’en retire que des droits honorifiques. Voyez la coutume d’Orléans, art. 135, Anjou, 103, Bourbonnois, 473, Auvergne, ch. ij. art. 1 & 3, Berry, tit. 6, art. 17, & autres.

Seigneur, (Critiq. sacrée.) en hebreu adonai, jehovah, en grec, κύριος, en latin dominus. Le nom de seigneur convient à Dieu par excellence, & à J. C. mais nous trouvons aussi dans l’Ecriture que cette épithete est donnée aux anges, aux rois, aux princes, aux grands, au souverain sacrificateur, aux maîtres par leurs serviteurs, & en général à tous ceux qui méritent du respect. (D. J.)

Seigneur, (Littérat. & Médaill.) Domitien s’arrogea en même tems le titre de dieu, deus, & de seigneur, dominus, comme le dit Suétone : ces deux titres lui sont donnés conjointement par Martial, l. V. epit. 8, edictum Domini, Deique nostri. Les médailles donnent ces mêmes titres à Aurélien. M. Spon rapporte une inscription de Caracalla avec le titre de seigneur de la terre & de la mer. (D. J.)

Seigneur grand, Homme grand, (Langue franç.) ces deux expressions, grand seigneur, & grand homme n’indiquent point une même chose ; il s’en faut de beaucoup ; les grands seigneurs sont communs dans le monde, & les grands hommes très-rares ; l’un est quelquefois le fardeau de l’état, l’autre en est toujours la ressource & l’appui. La naissance, les titres, & les charges font un grand seigneur ; le rare mérite, le génie & les talens éminens font un grand homme. Un grand seigneur voit le prince, a des ancêtres, des dettes & des pensions ; un grand homme sert sa patrie d’une maniere signalée, sans en chercher de récompense, sans même avoir aucun égard à la gloire qui peut lui en revenir. Le duc d’Epernon & le maréchal de Retz étoient de grands seigneurs ; l’amiral de Coligny & la Noue étoient de grands hommes.

Quand les Romains furent corrompus par les richesses des provinces conquises, on commença à voir naître de leur avilissement, l’époque du nom de grand seigneur, & le philosophe réserva le titre de grand homme à ces rares mortels qui aiment, qui servent & qui éclairent leur pays. Celui qui obtient une noble fin par de nobles moyens, qui disgracié rit dans l’exil & dans les fers, soit qu’il regne comme Antonin, ou qu’il meure comme Socrate, celui-là est un grand homme aux yeux des sages ; mais les simplement grands seigneurs n’ont par-dessus les hommes ordinaires qu’un peu de vernis qui les couvre. J’ajouterai qu’un de nos poëtes voulant peindre les grands seigneurs, au lieu de dire qu’ils ne sont tels que par les caprices de la fortune & du hazard, nous les représente sous la figure d’un léger ballon que le sort

Pousse en l’air plus ou moins fort,
Dont il se joue à sa maniere ;
D’un globe de savon & d’eau
Que forme avec un chalumeau
D’un enfant l’haleine légere.

Ce n’est pas ici le lieu d’en dire davantage. Voyez Grands & Grandeur. (D. J.)