Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/913

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ralistes ont dit sur ce sel ; Pline, Dioscoride, & depuis eux Agricola, en ont donné des descriptions très-peu exactes ; ils semblent l’avoir confondu, soit avec le natron, soit avec le sel fossile. La plûpart des modernes ne nous ont pas donné plus de lumieres sur cette matiere : ils n’ont fait que nous transmettre des erreurs qu’ils avoient copiées les uns des autres. Quelques-uns ont prétendu que le sel ammoniac se formoit dans les sables de la Lybie, de l’urine des chameaux cuite & digérée par l’ardeur du soleil. M. Rouelle ne regarde point cette origine comme aussi chimérique que quelques auteurs le pensent, vû que, selon lui, l’alkali volatil qui se forme de la putréfaction de l’urine, peut se combiner avec le sel marin, qui est très-abondant dans ces contrées. Quelques voyageurs ont encore accrédité des erreurs au sujet du sel ammoniac ; c’est ainsi que le pere Sicard, jésuite, qui a fait un voyage en Egypte en 1716, nous dit que ce sel se fait avec de la suie provenue de bouze de vache brûlée, du sel marin & l’urine des bestiaux. Voyez les nouveaux mémoires des missions de la compagnie de Jesus. M. Gellert, dans sa chimie métallurgique, dit que le sel ammoniac se fait avec du sel marin, de l’urine & de la suie luisante. Actuellement on est parfaitement instruit de la maniere dont ce sel se prépare. En 1719, M. le Maire, consul de France au Caire, adressa à l’académie des Sciences de Paris, une lettre qui est imprimée dans les mémoires de cette académie, année 1720, où il nous apprend que le sel ammoniac se prépare avec la suie seule. Cette relation de M. le Maire a été confirmée par une seconde lettre du p. Sicard publiée en 1723, enfin par M. Granger, qui a présenté à ce sujet à l’académie des Sciences de Paris, un mémoire dont M. Duhamel a donné l’extrait dans le volume de 1735 ; enfin M. Hasselquist, savant suédois, a envoyé en 1751, à l’académie de Stocklolm tous les détails que l’on pouvoit desirer sur cette matiere, qu’il avoit vu travailler de ses propres yeux en Egypte ; suivant sa relation (que nous rapporterons par préférence, parce que les mémoires de l’académie de Stokolm sont très-peu connus en France ; au lieu que ceux de l’académie de Paris sont entre le mains de tout le monde), le sel ammoniac se tire simplement de la suie provenue de la fiente de toute sorte de quadrupedes, tels que les chameaux, les bœufs, les ânes, les chevaux, les brebis, les chevres, &c. Les plantes les plus ordinaires dont ces animaux se nourrissent en Egypte, sont la criste marine, salicornia ; l’arroche ou patte d’oie, chenopodium ; le kali de Naples, mesembryanthemum ; la luzerne, medicago, toutes plantes qui sont très chargées de sel marin. On emploie aussi avec succès les excrémens humains, qui passent pour fournir une grande quantité de sel ammoniac. La rareté du bois fait que les habitans de l’Egypte se servent de la fiente d’animaux pour chauffage ; pour cet effet ils ramassent cette fiente avec le plus grand soin ; lorsqu’elle est trop liquide, ils lui donnent de la consistance, en y mêlant de la paille hachée ; ils l’appliquent ensuite contre des murailles exposées au soleil, & la laissent sécher assez pour pouvoir brûler. C’est avec la suie qui résulte de ce chauffage que l’on fait le sel ammoniac. Les atteliers où ce sel se prépare, se trouvent surtout dans la partie de l’Egypte appellée le Delta, & l’on rencontre dans tout le pays un grand nombre d’ânes qui sont chargés de sacs remplis de cette suie que les habitans vont vendre aux manufactures ; on y reçoit indistinctement la suie provenue de la fiente de toute sorte d’animaux ; cependant on donne la préférence à celle qui a été produite par les excrémens humains que l’on regarde comme la meilleure.

Le travail par lequel on obtient le sec ammoniac, est très-simple. On construit pour cela des fourneaux

de briques ; ils sont d’une forme oblongue ; leur partie supérieure est couverte par une voûte sur laquelle on peut placer cinq rangées de grosses bouteilles ou de matras ronds ; chaque rangée est de dix matras, ainsi chaque fourneau en a cinquante. Chacun de ces matras se place dans un trou rond qui est à la partie supérieure de la voûte du fourneau. Ces matras sont de verre ; ils ont par en-haut un col d’un pouce de long & de deux pouces de diametre ; on les enduit avec du limon que dépose le Nil, & avec de la paille ; on y met de la fuie, en observant de laisser un espace de quelques pouces vuide ; après ; quoi on place chaque matras dans son trou. Alors ou allume du feu dans le fourneau ; on se sert pour cela de la fiente séchée des animaux ; on donne d’abord un feu très-doux, & on commence par ne chauffer le fourneau qu’avec quelques bouchons de paille, de peur de briser les matras ; on augmente ensuite le feu par degrés, & on le rend très-fort pendant trois fois vingt-quatre heures. Quand la chaleur est dans sa plus grande force, on voit sortir une fumée blanche & une flamme d’un bleu violet par le col des matras, & l’on sent une odeur aigrelette qui n’a rien de desagréable. Au commencement de l’opération on passe de tems en tems une verge de fer par le col du matras, afin qu’il ne se bouche point : ce qui feroit briser les vaisseaux. Vingt-six livres de bonne suie donnent environ six livres de sel ammoniac. Ce sel s’attache peu-à-peu, & forme une masse en forme de gâteau à la partie supérieure du matras, que l’on brise pour en détacher cette masse, qui est convexe par dessus & plate par-dessous. Elle est noirâtre à l’extérieur, & blanchâtre à l’intérieur ; c’est dans cet état que l’on envoie d’Egypte le sel ammoniac dans toutes les parties de l’Europe & de l’Asie. On le transporte à Smyrne, à Venise, à Marseille. On en exporte tous les ans environ 600 canthari gerovini, qui contiennent chacun 110 rotoli, dont chacun fait 114 dragmes : ce qui répond à environ 850 quintaux. Voyez les mémoires de l’académie royale de Suede, année 1751.

On a dit au commencement de cet article que le sel ammoniac étoit formé par la combinaison de l’acide du sel marin & de l’alkali volatil. Ces deux substances sont contenues dans la suie dont on se sert dans cette opération ; en effet cette suie est produite par la combustion du fumier d’animaux qui se sont nourris de plantes très-chargées de sel marin ; cela n’est point surprenant ; car M. Hasselquist remarque qu’il n’est guere de pays au monde dont le terrein renferme une plus grande quantité de sel marin ; il arrive de-là que la plûpart des plantes que les animaux mangent, sont chargées de ce sel, dont une grande portion passe dans leurs déjections. Quant à l’alkali volatil, on sait que ce sel est propre aux animaux. Lors donc qu’on expose la fiente à l’action du feu, l’acide du sel marin s’éleve aussi bien que l’alkali volatil : ces deux sels se combinent & forment une masse solide que l’on nomme sel ammoniac. On voit de-là qu’on peut tire : ce sel de toutes les substances qui contiennent du sel marin & de l’alkali volatil ; telles sont surtout l’urine humaine putréfiée. M. Model, savant chimiste de Saint-Pétersbourg, a fait insérer en 1739, dans le commercium litterarium norimbergense, un mémoire dans lequel il nous apprend qu’un homme malade de la fievre chaude eut dans le tems de la crise une sueur très-ammoniacale. L’auteur de ce mémoire eut occasion de réitérer une semblable observation sur lui-même ; à la suite d’une fievre violente il eut des sueurs très-fortes, & s’étant lavé les mains dans de l’eau chaude où l’on avoit mis de la potasse, il fut frappé d’une odeur si vive, qu’il tomba à la renverse dans son lit ; il réitéra depuis la même expérience pendant plusieurs jours que dure-