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pourroient être lues qu’en descendant, & que dans l’étoffe la moitié du dessein monteroit infailliblement, & que l’autre moitié descendroit ; il faut pour parer à cet inconvénient, que le dessein qui ordinairement se lit en commençant du bas en haut, lorsqu’on le lit une seconde fois, soit lu du haut en bas, c’est-à-dire en remontant ; de façon que par ce moyen le premier lac qui est lu à la seconde reprise, se trouve précisément le même qui a été lu lorsqu’on a commencé à lire à la premiere ; & par ce moyen le dessein suit, comme il arriveroit si on ne le lisoit qu’une fois ; avec la différence que tout ce qui étoit d’un côté, se trouve de l’autre pendant toute la fabrication de l’étoffe. Il est nécessaire encore que le dessinateur fasse rencontrer les fleurs, feuilles & tiges de son dessein ; de façon qu’en le renversant de droite à gauche pour le tirer, toutes les parties se trouvent parfaitement sur les mêmes cordes ou dixaines qui doivent se succéder tant dans la fin du premier lisage, que dans le commencement du second. Cette façon est très-singuliere, & des mieux imaginées de la fabrique, pour dispenser le dessinateur de ne faire qu’un dessein au lieu de deux.

Le sieur Maugis dans sa nouvelle méchanique a trouvé le moyen, en lisant le dessein une fois seulement, de faire l’étoffe comme si le dessein étoit lu deux fois, & de faire porter la figure de droite à gauche. Voyez la dissertation contenant les avantages de sa machine, imprimée à Lyon en 1758. Il seroit très-difficile de penser qu’un dessein lu une fois seulement, pût paroître deux fois en étoffe de différente façon ; cependant le fait est constant.

Pour parvenir à cette opération, on attache deux semples au rame, dont l’un par la premiere corde à gauche, prend la premiere également du rame, jusqu’à celle qui finit par 400, dont la pareille du semble qui fait la 400e, y est attachée, ayant continué nombre par nombre de corde depuis la premiere des 400 du semple, jusqu’à la derniere. Le second semple au contraire a la premiere corde attachée à la 400e du rame, & la 400e du semple à la premiere du rame ; de façon que ces deux semples étant attachés d’une façon totalement opposée, il s’ensuit qu’un des semples porte la figure dans l’étoffe d’une façon opposée à l’autre, en supposant que le dessein fût lu sur chacun des deux semples séparés ; mais comme le dessein n’est lu qu’une fois sur un semple, ce même semple sur le quel le dessein est lu, est accroché aux deux semples dont est question ; & pour fabriquer l’étoffe, on bande le semple qui doit faire faire la figure d’un côté, & quand il est fini on bande l’autre semple & on lâche le premier ; ce qui fait que la figure est exécutée dans un autre sens ; c’est-là le secret. Le seul semple qui est lu est attaché horisontalement à côté le métier & bien tendu, ayant la gavassiniere attachée de même au-dessus ; de façon que la tireuse prenant le lac, s’il est pesant elle l’attache à une petite bascule, qui en faisant lever les cordes que le lac retient, celles-ci font venir les cordes d’un des deux semples attachés d’une façon opposée, lesquelles cordes entrent dans un rateau, lequel baissant au moyen d’une autre bascule qui le tire par le bas, & au moyen encore de perles arrêtées & fixes sur chaque corde du semple, pour empêcher que le rateau ne glisse ; les perles retenant les cordes auxquelles elles sont fixées, tirent la corde de rame qui fait lever la soie, & fournit le moyen à l’ouvrier de brocher le lac ou passer la navette, si le cas l’exige, pour la fabrication de l’étoffe.

Exemple sur un dessein en petit. Assemblez les deux parties AB, de façon qu’elles forment la lettre CG, c’est le dessein entier, ou ce qu’il doit faire en étoffe ; lisez la partie A seulement, elle formera en étoffe ce que les deux parties démontrent.

Il faut pour cette opération commencer à lire en montant du côté de la lettre a, jusqu’à la fin de la feuille a, la lettre demi C. Cette feuille étant lue, il faut la renverser & la lire une seconde fois ; de façon que la lettre A soit renversée aussi, & se trouve en-haut ; pour lors on lit une seconde fois le dessein en remontant, & on finit de même par la lettre demi C. Il est visible que la feuille renversée porte à droite ce qui étoit à gauche ; & que si on la lisoit à l’ordinaire en commençant du bas en haut, les fleurs au lieu de monter au second lisage descendroient ; mais comme on fait lire du haut en bas, la figure doit toujours suivre l’ordre de la premiere feuille, attendu que le premier lac qui se tire, se trouve également le premier de la premiere feuille, & que le dernier se trouve de même le dernier ; avec cette différence, que la position de la feuille au second lisage, se trouve totalement opposée à celle de la premiere, & que par une conséquence infaillible, la figure doit se trouver de même dans l’étoffe.

Suivant cette démonstration, dans la pratique ordinaire, un dessein qui contient une feuille de 40 ou 50 dixaines étant lu deux fois, paroît aussi long en étoffe, que s’il en contenoit deux ; & suivant la méchanique du sieur Maugis, il n’est besoin que de les lire une fois, pour qu’il produise le même effet.

Si ces deux petites feuilles ne sont pas suffisantes pour cette démonstration, on en fera faire deux plus grandes qui contiendront un dessein en plusieurs lacs brochés ; & au lieu de cinq à six dixaines comme celles-ci, on les fera de 15 à 20 chacunes ; mais il faut un avertissement prompt, s’il est possible : le silence sur cet objet prouvera qu’on est satisfait.

Un dessinateur qui est obligé de fournir chaque année 50 desseins dans une fabrique, contenant 100 feuilles, n’a besoin que d’en peindre 50 pour remplir son objet ; ce qui fait qu’il s’applique infiniment mieux à perfectionner son ouvrage, soit dans la composition, soit dans le goût : on nomme ces desseins, desseins à répétition.

Des cordelines. On donne le nom d’armure à la façon de passer les cordelines ; mais ce mot est impropre ; car l’armure ne concerne précisément que la maniere de faire lever & baisser les lisses, suivant le genre d’étoffe que l’on fabrique ; au lieu que la beauté de la cordeline qui forme la lisiere, ne se tire que de la façon de la passer dans les lisses. Aussi l’on va donner cette façon de la passer, qui doit être la même dans tous les gros-de-tours & taffetas, ainsi que dans tous les satins, soit a huit lisses, soit à cinq.

Pour faire une belle lisiere dans un taffetas ou gros-de-tours, il faut passer une cordeline sur la premiere lisse & une sur la seconde ; ainsi des autres, s’il y en a six ou huit. Si l’étoffe exigeoit qu’il y eût un liseré passé sous une lisse levée seulement, pour lors on passeroit chaque cordeline sur deux lisses ; savoir une sur la premiere & la troisieme, & une sur la seconde & la quatrieme, ainsi des autres ; parce que sans cette précaution, il arriveroit que les cordelines n’étant passées que sur la premiere & la seconde, quand on seroit obligé de faire lever la troisieme & la quatrieme seules, & qu’elles n’auroient point de cordelines dans leurs mailles, il n’en leveroit aucune pour passer la navette de liseré ; conséquemment la trame ne seroit point arrêtée.

A l’égard des satins à huit lisses, s’ils sont fabriqués avec deux navettes, soit satins pleins ou unis, soit satins façonnés, il faut que la premiere cordeline prise du drap soit passée sur la deuxieme, troisieme, sixieme, & septieme lisse ; la seconde, sur la premiere, quatrieme, cinquieme, & huitieme lisse, ainsi des autres ; de façon que la sixieme ou huitieme cordeline soit la premiere hors du drap du côté droit, ou des deux navettes, quand on commence