Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chantoient dans leurs repas, les louanges des grands hommes au son de la flûte ; mais dans la suite, il ne se donnoit point de fête à laquelle les bouffons, les joueuses d’instrumens & les pantomimes, ne fussent appellés. On mêloit quelquefois aux plaisirs de la table le jeu, ou quelqu’autre divertissement plus barbare ; j’entens les gladiateurs samnites. Voyez Samnites.

Je viens de dire que les pantomimes paroissoient toujours à la fin des grands repas, & je ne dois pas oublier pour preuve, ce qui arriva dans un souper que donnoit l’empereur Auguste. On avoit beaucoup loué le pantomime Pylade, qui avoit représenté les fureurs d’Hercule sur le théatre public. Auguste voulut donner ce régal à sa compagnie : il fait venir Pylade, & lui dit de jouer la même piece dont il avoit reçu tant d’applaudissemens. Pylade qui, dans l’excès de sa fureur avoit tiré des fleches sur le peuple, commençoit déjà à en faire autant sur les conviés, & si on ne l’eût arrêté, il auroit sans doute ensanglanté la scene ; il est même à croire que ceux sur qui ces fleches seroient tombées, n’étoient pas les personnes qu’il respectoit davantage.

Suétone nous a conservé trois lettres du même empereur, où il est parlé de plaisirs plus tranquilles. Les deux premieres sont à Tibere, à qui il rend compte de ce qui s’est passé dans deux soupers. « J’ai soupé, dit-il, avec les mêmes personnes que vous savez, excepté que nous avions de plus Vinicius & Sibius le pere ; & en soupant, tant hier qu’aujourd’hui, nous avons joué assez sagement & en bons vieillards ; γερντείως. Talis enim jactatis ut quisque canem aut senionem miserat, in singulos talos singulos denarios in medium conferebat, quos tollebat universos qui venerem jecerat. Dans la seconde lettre ; nous nous sommes, dit-il, assez bien réjouis pendant les fêtes de Minerve. Non-seulement nous avons joué pendant le souper, mais encore nous avons mis tout le monde en humeur de jouer : Forum aleatorium calefecimus, frater tuus magnis clamoribus rem gessit ».

Dans la troisieme lettre, il mande à sa fille qu’il lui envoie 250 deniers, parce qu’il avoit donné pareille somme à chacun de ses convives pour jouer à pair & à non, aux dez ou à tel autre jeu qu’ils voudroient, pendant le souper.

Plaute, Catulle & Properce, parlent des divers jeux de table à-peu-près dans les mêmes termes. Mais ce que Pline écrit à Cornelien, l. VI. Ep. xxxij. marque encore plus positivement la coutume de son tems. Après avoir rendu compte à son ami des affaires que Trajan avoit terminées à Cincelles, centumcellis ; il ajoute, vous voyez que nos journées ont été assez bien remplies : mais nos occupations ne finissoient pas moins bien. Nous avions l’honneur de souper tous les jours avec l’empereur ; le repas étoit fort frugal, eu égard à la dignité de celui qui le donnoit. La soirée se passoit quelquefois à entendre des comédies ou des farces ; quelquefois aussi une conversation enjouée nous tenoit lieu d’un plaisir qui auroit couté plus cher, mais qui ne nous auroit peut-être pas touché davantage. Vides quam honesti, quam severi dies fuerint, quos jucundissimæ remissiones sequebantur. Adhibebantur quotidiè cænæ, erat modica si principem cogites. Interdum acroamata audiebamus, interdum jucundissimis sermonibus nox ducebatur.

Le dernier acte des soupers voluptueux, étoit une nouvelle collation qui succédoit aux jeux & aux autres amusemens. Cette collation s’appelloit chez les Romains commissation ou commessatio, du mot grec κῶμος, dit Varron, parce que les anciens Romains qui habitoient plus volontiers la campagne que la ville, se régaloient à tour de rôle, & soupoient ainsi tantôt dans un village, & tantôt dans un autre. Quel-

quefois même, quand on avoit soupé trop modestement

dans un endroit, après quelques tours de promenade, on se retrouvoit dans un autre pour cette sorte de réveillon.

Démétrius, fils du dernier Philippe, roi de Macédoine, avoit vaincu Persée son frere dans une espece de joute ou de tournois : Persée ne l’avoit pas pardonné à Démétrius. Mais celui-ci après avoir bien soupé avec ceux de sa quadrille, leur dit, que n’allons-nous faire le réveillon chez mon frere ? quin commessatum ad fratrum imus ? ce sera peut-être un moyen de nous réconcilier.

Suétone nous apprend, que Titus poussoit le régal du souper assez souvent jusqu’à minuit, au lieu que Domitien son frere demeuroit rarement à table, après le coucher du soleil.

Mais à quelque heure qu’on se séparât, on finissoit toujours le souper par des libations aux dieux. On le commençoit par un coup de vin grec ; César qui étoit magnifique faisoit servir jusque dans les festins qu’il donnoit au peuple, quatre sortes de vins ; savoir, de Chio, de Lesbos, de Falerne, & le Mammertin. Virgile parle des libations aux dieux faites à la fin du repas que Didon donna à Enée.

Postquam prima quies epulis, mensæque remotæ,
Crateras magnos statuunt, & vina coronant....
Hinc regina gravem gemmis auroque poposcit,
Implevit que mero pateram......
Tunc facta silentia tectis.
Jupiter (hospitibus nam te dare jura loquuntur)
Dixit, & in mensà laticum libavit honorem :
Primaque libato summo tenus attigit ore :
Tum bitiæ dedit increpitans......
Post alii proceres
, &c.

Æneid. I. v. 727.

« Vers la fin du repas, on apporta de grandes coupes ; la reine en demanda une d’or, enrichie de pierreries, & répandit du vin sur la table. On fit silence, & après qu’elle eut adressé sa priere à Jupiter, & qu’elle eût fini la libation sacrée, elle trempa légerement ses levres dans la coupe, la donna à Bitias qui avala sur le champ la liqueur mousseuse, & tous les autres seigneurs l’imiterent ».

Après les effusions sacrées, on bûvoit à la prospérité de son hôte, & à celle de l’empereur. Ce dernier coup s’appelloit poculum boni genii, & se faisoit avec le cri ζήσειας ; après cela on relavoit les mains avec une espece de pâte faite exprès.

Enfin les conviés en prenant congé de leur hôte, recevoient de lui de petits présens qui d’un mot grec étoient appellés apophoreta du verbe ἀποφέρειν, emporter ; ainsi finissoit la journée romaine.

Il ne me reste plus qu’à expliquer quelques termes qu’on trouve souvent dans les auteurs latins, & qui peuvent embarrasser ceux qui commencent à les lire ; par exemple.

Cæna recta, désigne un souper splendide que les grands de Rome donnoient à leurs amis, & aux cliens qui leur avoient fait cortege dans leurs visites & dans la poursuite des charges. Ceux qui vouloient éviter cet embarras, leur distribuoient des provisions de bouche, & cette distribution s’appelloit sportula. Domitien la retrancha, & rétablit le repas appellé cæna recta, comme Suétone nous l’apprend : sportulas, dit-il, publicas sustulit, revocatâ coenarum rectarum consuetudine.

Cæna dapsilis, un festin abondant en viandes, soit que ce mot vienne de dapes, qui signifie des viandes exquises, ou du grec δαψίλεια, abondance de toutes choses.

Cæna acroamatica, du mot grec ἀκροάματα, qui signifie des conversations plaisantes & agréables. C’est