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membre ; ainsi le style est là périodique. Le veut-on coupé, il suffit d’ôter la conjonction : M. de Turenne a su autre chose que combattre & vaincre, il s’est élevé au-dessus des vertus humaines ; sa valeur & sa prudence étoient animées d’un esprit de foi & de charité ; il est bien au-dessus des Fabius, des Scipions. Ou si l’on veut un autre exemple : « Il passe le Rhin, il observe les mouvemens des ennemis ; il releve le courage des alliés, &c ».

Le style périodique a deux avantages sur le style coupé : le premier, qu’il est plus harmonieux ; le second, qu’il tient l’esprit en suspens. La période commencée, l’esprit de l’auditeur s’engage, & est obligé de suivre l’orateur jusqu’au point, sans quoi il perdroit le fruit de l’attention qu’il a donnée aux premiers mots. Cette suspension est très-agréable à l’auditeur, elle le tient toujours éveillé & en haleine.

Le style coupé a plus de vivacité & plus d’éclat : on les emploie tous deux tour-à-tour, suivant que la matiere l’exige. Mais cela ne suffit pas à-beaucoup-près pour la perfection du style : il faut donc observer avant toutes choses que la même remarque que nous avons faite au sujet de la poésie, s’applique également à la prose, je veux dire que chaque genre d’ouvrage prosaïque demande le style qui lui est propre. Le style oratoire, le style historique & le style épistolaire ont chacun leurs regles, leur ton, & leurs lois particulieres.

Le style oratoire requiert un arrangement choisi des pensées & des expressions conformes au sujet qu’on doit traiter. Cet arrangement des mots & des pensées comprend toutes les especes de figures de rhétorique, & toutes les combinaisons qui peuvent produire l’harmonie & les nombres. Voyez Orateur, Orateurs grecs & romains, Elocution, Eloquence, Harmonie, Mélodie, Nombre, &c.

Le caractere principal du style historique, est la clarté. Les images brillantes figurent avec éclat dans l’histoire : elle peint les faits ; c’est le combat des Horaces & des Curiaces ; c’est la peste de Rome, l’arrivée d’Agrippine avec les cendres de Germanicus, ou Germanicus lui-même au lit de la mort. Elle peint les traits du corps, le caractere l’esprit, les mœurs. C’est Caton, Catilina, Pison : la simplicité sied bien au style de l’histoire ; c’est en ce point que César s’est montré le premier homme de son siecle. Il n’est point frisé, dit Cicéron, ni paré ni ajusté, mais il est plus beau que s’il l’étoit. Une des principales qualités du style historique, c’est d’être rapide ; enfin il doit être proportionné au sujet. Une histoire générale ne s’écrit pas du même ton qu’une histoire particuliere ; c’est presque un discours soutenu ; elle est plus périodique & plus nombreuse.

Le style épistolaire doit se conformer à la nature des lettres qu’on écrit. On peut distinguer deux sortes de lettres ; les unes philosophiques, où l’on traite d’une maniere libre quelque sujet littéraire ; les autres familieres, qui sont une espece de conversation entre les absens ; le style de celle-ci doit ressembler à celui d’un entretien, tel qu’on l’auroit avec la personne même si elle étoit présente. Dans les lettres philosophiques, il convient de s’élever quelquefois avec la matiere, suivant les circonstances. On écrit d’un style simple aux personnes les plus qualifiées au-dessus de nous ; on écrit à ses amis d’un style familier. Tout ce qui est familier est simple ; mais tout ce qui est simple n’est pas familier. Le caractere de simplicité se trouve sur-tout dans les lettres de madame de Maintenon : rien de si aisé, de si doux, de si naturel.

Le style épistolaire n’est point assujetti aux lois du discours oratoire : sa marche est sans contrainte : c’est le trop de nombres qui fait le défaut des lettres

de Balzac. Il est une sorte de négligence qui plaît, de même qu’il y a des femmes à qui il sied bien de n’être point parées. Telle est l’élocution simple, agréable & touchante sans chercher à le paroître ; elle dédaigne la frisure, les perles, les diamans, le blanc, le rouge, & tout ce qui s’appelle fard & ornement étranger. La propreté seule, jointe aux graces naturelles, lui suffit pour se rendre agréable.

Le style épistolaire admet toutes les figures de mots & de pensées, mais il les admet à sa maniere. Il y a des métaphores pour tous les états ; les suspensions, les interrogations sont ici permises, parce que ces tours sont les expressions même de la nature.

Mais soit que vous écriviez une lettre, une histoire, une oraison, ou tout autre ouvrage, n’oubliez jamais d’être clair. La clarté de l’arrangement des paroles & des pensées, est la premiere qualité du style. On marche avec plaisir dans un beau jour, tous les objets se présentent agréablement ; mais lorsque le ciel s’obscurcit, il communique sa noirceur à tout ce qu’on trouve sur la route, & n’a rien qui dédommage de la fatigue du voyage.

A la clarté de votre style, joignez s’il se peut la noblesse & l’éclat ; c’est par-là que l’admiration commence à naître dans notre esprit. Ce fut par-là que Cicéron plaidant pour Cornélius, excita ces emportemens de joie & ces battemens de mains, dont le barreau retentit pour-lors ; mais l’état dont je parle doit se soutenir ; un éclair qui nous éblouit passe légerement devant les yeux, & nous laisse dans la tranquillité où nous étions auparavant ; un faux brillant nous surprend d’abord & nous agite ; mais bientôt après nous rentrons dans le calme, & nous avons honte d’avoir pris du clinquant pour de l’or.

Quoique la beauté du style dépende des ornemens dont on se sert pour l’embellir, il faut les ménager avec adresse ; car un style trop orné devient insipide ; il faut placer la parure de même qu’on place les perles & les diamans sur une robe que l’on veut enrichir avec goût.

Tâchez sur-tout d’avoir un style qui revête la couleur du sentiment, cette couleur consiste dans certains tours de phrase, de certaines figures qui rendent vos expressions touchantes. Si l’extérieur est triste, le style doit y répondre. Il doit toujours être conforme à la situation de celui qui parle.

Enfin il est une autre qualité du style qui enchante tout le monde, c’est la naïveté. Le style naïf ne prend que ce qui est né du sujet & des circonstances : le travail n’y paroît pas plus que s’il n’y en avoit point ; c’est le dicendi genus simplex, sincerum, nativum des Latins. La naïveté du style consiste dans le choix de certaines expressions simples qui paroissent nées d’elles-mêmes plutôt que choisies ; dans des constructions faites comme par hasard, dans certains tours rajeunis, & qui conservent encore un air de vieille mode. Il est donné à peu de gens d’avoir en partage la naïveté du style ; elle demande un goût naturel perfectionné par la lecture de nos vieux auteurs françois, d’un Amyot, par exemple, dont la naïveté du style est charmante.

Il paroît assez par tous ces détails, que les plus grands défauts du style sont d’être obscur, bas, empoulé, froid, ou toujours uniforme.

Un style qui est obscur & qui n’a point de clarté, est le plus grand vice de l’élocution, soit que l’obscurité vienne d’un mauvais arrangement de paroles, d’une construction louche & équivoque, ou d’une trop grande brieveté. Il faut, dit Quintilien, non seulement qu’on puisse nous entendre, mais qu’on ne puisse pas ne pas nous entendre ; la lumiere dans un écrit doit être comme celle du soleil dans l’univers, laquelle ne demande point d’attention pour être vue, il ne faut qu’ouvrir les yeux.