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leur rang sur la terre. En promettant au souverain une fidelle obéissance, on n’a jamais pu le faire que sous la condition tacite qu’il n’ordonneroit rien qui fût contraire aux lois de Dieu, soit naturelles, soit revélées. « Je ne croyois pas, dit Antigone à Créon, roi de Thebes, que les édits d’un homme mortel tel que vous, eussent tant de force, qu’ils dûssent l’emporter sur les lois des dieux mêmes, lois non écrites à la vérité, mais certaines & immuables ; car elles ne sont pas d’hier ni d’aujourd’hui ; on les trouve établies de tems immémorial ; personne ne sait quand elles ont commencé ; je ne devois donc pas par la crainte d’aucun homme, m’exposer, en les violant, à la punition des dieux. » C’est un beau passage de Sophocle, Tragédie d’Antigone, vers. 463. (D. J.)

Sujet, s. m. (Log. Gram.) En Logique, le sujet d’un jugement, est l’être dont l’esprit apperçoit l’existence sous telle ou telle relation à quelque modification ou maniere d’être. En Grammaire, c’est la partie de la proposition qui exprime ce sujet logique. Le sujet peut être simple ou composé, incomplexe ou complexe ; propriétés qui ont été développées ailleurs, & dont il n’est plus nécessaire de parler ici. Voyez Construction & sur-tout Proposition. (B. E. R. M.)

Sujet, (Poésie.) c’est ce que les anciens ont nommé dans le poëme dramatique la fable, & ce que nous nommons encore l’histoire ou le roman. C’est le fond principal de l’action d’une tragédie ou d’une comédie. Tous les sujets frappans dans l’histoire ou dans la fable, ne peuvent point toujours paroître heureusement sur la scene ; en effet leur beauté dépend souvent de quelque circonstance que le théâtre ne peut souffrir. Le poëte peut retrancher ou ajouter à son sujet, parce qu’il n’est point d’une nécessité absolue, que la scene donne les choses comme elles ont été, mais seulement comme elles ont pu être.

On peut distinguer plusieurs sortes de sujets ; les uns sont d’incidens, les autres de passions ; il y a des sujets qui admettent tout-à-la-fois les incidens & les passions. Un sujet d’incidens, est lorsque d’acte en acte, & presque de scene en scene, il arrive quelque chose de nouveau dans l’action. Un sujet de passion, est quand d’un fond simple en apparence, le poëte a l’art de faire sortir des mouvemens rapides & extraordinaires, qui portent l’épouvante ou l’admiration dans l’ame des spectateurs.

Enfin les sujets mixtes sont ceux qui produisent en même tems la surprise des incidens & le trouble des passions. Il est hors de doute que les sujets mixtes sont les plus excellens & ceux qui se soutiennent le mieux. (D. J.)

Sujet, (Peinture.) On appelle sujets en Peinture, tout ce que l’art du pinceau peut imiter. Ainsi pour transcrire ici les judicieuses réflexions de M. l’abbé du Bos, nous dirons avec lui, que tout ce qui tombe sous le sens de la vue peut devenir un sujet d’imitation. Quand les imitations que la peinture nous en présente, ont le pouvoir de nous attacher ; tout le monde dit que ce sont là des sujets heureux. La représentation pathétique du sacrifice de la fille de Jephté, de la mort de Germanicus sont, par exemple, des sujets heureux. On néglige pour les contempler des sujets grotesques ; & même les paysages les plus rians & les plus gracieux. L’art de la peinture n’est jamais plus applaudi que lorsqu’elle réussit à nous affliger ; & si je ne me trompe fort, généralement parlant, les hommes trouvent encore plus de plaisir à pleurer qu’à rire au théâtre.

Il résulte de cette réflexion, que dès que l’attrait principal du peintre est de nous émouvoir par des imitations capables de produire cet effet, il ne sau-

roit trop choisir les sujets intéressans ; car comment

serons-nous attachés par la copie d’un original incapable de nous affecter ?

Ce n’est pas assez que le sujet nous intéresse, il faut encore que ce sujet se comprenne distinctement & qu’il imite quelque vérité ; le vrai seul est aimable. De plus, le peintre ne doit introduire sur sa toile que des personnages dont tout le monde, du moins le monde devant lequel il doit produire ses ouvrages, ait entendu parler. Il faut que ce monde les connoisse déja ; car le peintre ne peut faire autre chose que de les lui faire reconnoître.

Il est des sujets généralement connus ; il en est d’autres qui ne sont bien connus que dans certains pays : les sujets les plus connus généralement dans toute l’Europe, sont tous les sujets tirés de l’Ecriture-sainte. Voilà pourquoi Raphaël & le Poussin ont préféré ces sujets aux autres. Les principaux événemens de l’histoire des Grecs & celle des Romains, ainsi que les aventures fabuleuses des dieux qu’adoroient ces deux nations, sont encore des sujets généralement connus.

Il n’en est pas ainsi de l’histoire moderne, tant ecclésiastique que prophane. Chaque pays a ses saints, ses rois, & ses grands personnages très-connus, & que tout le monde y reconnoît facilement, mais qui ne sont pas reconnus de même en d’autres pays. Saint Pierre vétu en évêque, & portant sur la main la ville de Bologne, caractérisée par ses principaux bâtimens & par ses tours, n’est pas une figure connue en France généralement comme elle l’est en Lombardie. Saint Martin coupant son manteau, action dans laquelle les Peintres & les Sculpteurs le représentent ordinairement, n’est pas d’un autre côté une figure aussi connue en Italie qu’elle l’est en France.

C’est à tort peut-être que les Peintres se plaignent de la disette des sujets, la nature est si variée, qu’elle fournit toujours des sujets neufs à ceux qui ont du génie. Un homme né avec du génie, voit la nature que son art imite, avec d’autres yeux que les personnes qui n’ont pas de génie. Il découvre une différence infinie entre des objets, qui aux yeux des autres hommes paroissent les mêmes. Il fait si bien sentir cette différence dans son imitation, que le sujet le plus rebattu, devient un sujet neuf sous sa plume ou son pinceau. Il est pour un grand peintre une infinité de joies & de douleurs différentes qu’il sait varier encore par les âges, par les tempéramens, par les caracteres des nations & des particuliers, & par mille autres moyens. Comme un tableau ne représente qu’un instant d’une action, un peintre né avec du génie, choisit l’instant que les autres n’ont pas encore saisi ; ou s’il prend les même instant, il l’enrichit de circonstances tirées de son imagination, qui font paroître l’action un sujet neuf. Or c’est l’invention de ces circonstances qui constitue le poëte en peinture.

Combien a-t-on fait de crucifimens depuis qu’il est des peintres ? Cependant les artistes doués de génie, n’ont pas trouvé que ce sujet fût épuisé par mille tableaux déja faits. Ils ont su l’orner par des traits nouveaux de poésie, & qui paroissent néanmoins tellement propres au sujet, qu’on est surpris que le premier peintre qui a médité sur la composition d’un crucifiment, ne se soit pas saisi de ces idées. C’est ce qu’ont prouvé Rubens, le Poussin & Coypel par leurs tableaux sur la crucifixion de Notre-Seigneur. En un mot, les peintres qui tiennent leur vocation du génie, trouveront toujours des sujets neufs dans la nature ; & pour parler figurément, leurs devanciers ont laissé plus de marbres dans les carrieres qu’ils n’en ont tiré pour le mettre en œuvre.

Ce n’est pas assez d’avoir trouvé des sujets heu-