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suadé qu’il seroit toujours assez à tems d’oter le membre, si le cas le requéroit : il mit les deux extrémités de l’os divisé en leur situation naturelle, fit plusieurs points de suture pour la réunion des parties molles, & appliqua un bandage capable de contenir la fracture ; ce bandage étoit fenétré vis-à-vis la plaie, pour la facilité des pansemens : on employa pour topique l’eau-de-vie, animée d’un peu de sel ammoniac, dont on fomenta aussi l’avant-bras & la main qui étoit froide, livide & sans sentiment : on parvint à rappeller la chaleur naturelle : on pansa la plaie ; le huitieme jour, l’appareil en fut levé par la fenêtre du bandage ; le quatorzieme jour, pour le second appareil, & la plaie parut disposée à la réunion. Le dix-huitiéme la cicatrice se trouva avancée, la partie presque dans son état naturel, & le battement du pouls sensible : alors M. de la Peyronie substitua un bandage roulé au fénétré : on eut soin de lever l’appareil de dix en dix jours ; après cinquante jours on l’ôta entierement, & au bout de deux mois de la blessure, le malade fut entierement guéri, à un peu d’engourdissement près dans la partie. On doit conclure de cette observation, qu’on doit tenter la réunion quelque grande que soit la plaie, & qu’il n’y a point d’inconvénient à l’essayer, pour peu que la conservation d’un membre soit vraissemblable ; la nature ne demandant souvent qu’à être aidée, pour faire des prodiges.

Pour faire la suture entrecoupée, il faut avoir préparé l’appareil convenable ; il consiste en aiguilles, fils, plumaceaux, compresses & bandes ; les aiguilles doivent être plus ou moins grandés, selon la profondeur de la plaie. Voyez Aiguille. Les fils doivent par la réunion de plusieurs fils cirés, former un cordonnet plat : ce cordonnet sera proportionné à l’aiguille, comme l’aiguille à la plaie ; il sera plus fort pour une plaie profonde que pour une superficielle.

Tout étant disposé, on lavera la plaie pour la débarrasser des ordures & autres corps étrangers qui peuvent y être, & en ôter les caillots de sang qui s’opposeroient à la réunion ; le chirurgien doit alors considérer exactement la grandeur & la profondeur de la plaie : par l’étendue de la plaie, il décidera du nombre de points de suture qu’il faudra pour la réunir ; il seroit aussi mal-à-propos de les multiplier sans nécessité, que de n’en pas faire autant qu’il convient ; dans les plaies qui n’ont qu’une direction, si un point suffit, il se fait ordinairement au milieu : s’il en faut deux, on les fait à égale distance entre eux, qu’il y en aura de chaque point à l’angle de la plaie dont il est le plus proche ; Pl. XXX. fig. 9. s’il faut trois points, on commencera par celui du milieu, & les deux autres seront placés entre le premier & l’angle de la plaie, à droite & à gauche ; ainsi du reste. Voy. Pl. XXXI. fig. 1. J’ai dit qu’ordinairement un seul point de suture se plaçoit au milieu de la plaie : car si la plaie étoit plus profonde vers un de ses angles, ce seroit dans cet endroit qu’il conviendroit de faire la suture.

Lorsque les plaies ont plusieurs directions, & qu’il y a un ou plusieurs lambeaux, on doit commencer la suture par les angles des lambeaux, sans quoi on risqueroit de ne pas pouvoir réunir la plaie dans toutes ses parties. Pl. XXX. fig. 10 & 11.

La profondeur de la plaie servira à déterminer à quelle distance de ses levres chaque point doit être fait ; le fil doit décrire une ligne courbe dans l’épaisseur des parties, & il faut que le milieu de cette courbe passe à une ligne du fond de la plaie ; pour y réussir, il faut que l’éguille entre d’un côté, à une distance égale à la profondeur de la plaie, & qu’elle sorte de l’autre côté à pareille distance ; si l’on prenoit moins de parties, le milieu du fil n’iroit point jusqu’au fond de la plaie : on parvient à en réunir la superficie ; mais les bouches des vaisseaux qui ne sont

point affrontés dans le fond, laissent échapper du sang & de la lymphe ; il s’y forme une suppuration à laquelle il faut donner issue par une incision, lorsque la cicatrice est bien formée dans toute l’étendue de la superficie de la plaie ; si l’aiguille pénetre à trop de distance, on risque d’embrasser les parties au-delà du fond de la plaie, ce qui en causant une douleur inutile, ne seroit pas sans danger.

Pour pratiquer la suture, toutes ces mesures prises, on rapproche les levres de la plaie : on les fait tenir dans cette situation par un aide : on prend l’aiguille avec la main droite ; le doigt index & celui du milieu seront sur la convexité de l’aiguille, & le pouce dans la concavité ; la pointe sera tournée du côté de la poitrine de l’opérateur, & le cordonnet dont elle sera enfilée, sera jetté extérieurement sur la main. Le chirurgien appuiera légerement le petit doigt & l’annulaire de sa main droite sur la partie blessée, & portera la pointe de l’aiguille sur la peau, à la distance convenable ; le pouce & le doigt indicateur de la main gauche, appuieront par leurs extrémités sur le côté opposé à l’endroit où l’on doit faire entrer la pointe de l’aiguille, & par ce moyen on percera tout-à-la-fois les deux levres de la plaie ; lorsque la pointe de l’aiguille est suffisamment sortie entre les deux doigts de la main gauche, qui par leur compression en favorisoient le passage, on tire l’aiguille par sa pointe avec ces deux doigts de la main gauche, en observant qu’en même-tems qu’ils saisissent la pointe de l’aiguille pour la tirer, on porte deux doigts de la main droite pour soutenir latéralement les parties que l’aiguille traverse : on continue de faire les autres points sans couper les fils que l’on tient fort lâches pour qu’ils forment des anses assez grandes pour faire les nœuds : quand on a fait autant de points que l’étendue de la plaie l’a réquise, on coupe les anses par le milieu, & on fait les nœuds à la partie supérieure, ou à la moins déclive de la plaie, afin qu’ils ne s’imbibent ni de sang ni de pus ; le nœud que l’on fait doit d’abord être simple, & être assujetti par un demi-nœud en rosette, afin de pouvoir être desserré ou resserré au besoin : dans cette vue M. le Dran conseille de graisser la superficie du nœud avec quelque huile ou pommade, & de mettre par-dessus une petite compresse aussi graissée. Ces préceptes généraux souffrent quelques exceptions.

1°. Lorsque les plaies sont profondes, on ne prend point les deux levres d’un seul coup d’aiguille : on pénetre du dehors au-dedans, à un des côtés de la plaie, & après avoir retiré entierement l’aiguille, on acheve le point en perçant l’autre levre du dedans au-dehors.

2°. Dans les plaies à lambeaux le nœud ne doit pas toujours se faire à la partie supérieure, ou à la partie la moins déclive de la plaie, car si le lambeau est fait de bas en haut, la réunion exige que le nœud se fasse en-bas ; & on doit déroger à toute regle qui est contraire à la fin qu’on se propose.

L’appareil consiste à mettre sur la plaie un plumaceau trempé dans quelque baume vulnéraire, qui ne soit point trop dessicatif, de crainte qu’il ne s’oppose à la transudation purulente qui se fait toujours du plus ou du moins dans toutes les plaies : on pose une ou deux compresses mollettes sur la plaie ; on entoure le membre avec une autre, & on maintient le tout par quelques tours de bande.

On prévient, ou on calme l’inflammation par la saignée & le régime ; on fomente la plaie avec l’eau & l’eau-de-vie tiede, & on ne leve l’appareil qu’au bout de trois ou quatre jours, à moins qu’il n’y ait des accidens. S’il survient inflammation, on relâchera les points, jusqu’à ce qu’elle soit calmée ; pour les resserrer ensuite : quand la réunion est faite, on ôte les fils en les coupant à la partie opposée au nœud :