Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/763

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

axiomes rélatifs, c’est-à-dire des propositions qui à la vérité ne sont pas claires par elles-mêmes, mais dont la certitude est parfaitement connue à ceux auxquels nous proposons nos raisonnemens, de sorte qu’il seroit inutile de les démontrer. Il y a des sciences entieres qui servent de fondement à d’autres, & on les suppose connues à ceux à qui on doit expliquer ces dernieres : au reste, il n’importe gueres qu’un raisonnement soit déduit d’axiomes, dont la vérité se fait appercevoir immédiatement, ou d’axiomes relatifs : car dans l’un & l’autre cas, si le raisonnement est bien déduit, il ne sauroit y avoir aucun doute sur la conclusion. Si les choses que nous devons expliquer concernent la pratique, il est nécessaire que celui à qui nous entreprenons d’enseigner cette pratique, puisse agir. Enseigner la pratique d’une chose, c’est expliquer comment il faut diriger certaines actions ; mais ces actions mêmes doivent être déterminées d’avance : c’est cette détermination qu’on appelle demande. Je demande que celui à qui j’entreprens d’enseigner la multiplication des nombres, puisse multiplier les nombres exprimés par un seul caractere, c’est-à-dire, en ait le produit imprimé dans sa mémoire. Je demande que celui à qui je dois enseigner la Géométrie, puisse tirer des lignes & tracer des cercles. L’on place ordinairement les demandes immédiatement après les axiomes ; mais ce n’est pas à dire que les axiomes & les demandes doivent précéder tous les raisonnemens ; il suffit qu’on les place avant les raisonnemens auxquels ils ont rapport, pourvû que d’ailleurs ils n’interrompent pas le fil de la démonstration. Aux définitions, aux axiomes, & aux demandes, on ajoute souvent des hypothèses : c’est ce qui se fait quand on entreprend d’expliquer ce qui doit résulter de la combinaison de certaines circonstances ; le raisonnement en ce cas est hypothétique, & il faut commencer par poser les circonstances ; tout cela étant fait, il faut en venir à traiter le sujet proposé, ce qui doit se faire par parties.

III. La division du sujet proposé doit être faite de telle maniere que toutes les parties en puissent être traitées separément. Le sens de cette regle est, qu’entre les parties, il faut qu’il y en ait une qui puisse être expliquée, sans que les autres entrent en considération ; & cette partie doit être la premiere, la seconde doit être choisie de même parmi les parties qui restent ; & ainsi des autres.

IV. La division que la nature du sujet indique, doit être préférée, & les parties les plus simples de ce sujet doivent être expliquées avant celles qui sont plus composées : cette regle est subordonnée à la précédente, c’est-à-dire n’a lieu qu’autant qu’elle s’accorde avec l’autre. Si j’entreprenois d’enseigner les élémens de Géométrie, voici la division & l’ordre que je devrois suivre, en ne faisant attention qu’à la derniere regle que je viens de proposer ; je devrois commencer par ce qui regarde les lignes, de-là passer aux triangles, & puis aux autres figures rectilignes ; enfin je devrois parler du cercle, &c. Mais quelle géométrie seroit-ce que celle-là ? Ce qui regarde les lignes paralleles & perpendiculaires, doit être déduit de ce qu’on démontre des triangles, &c. C’est pourquoi quelque naturel que paroisse l’ordre que nous venons d’indiquer, il faut pourtant en suivre un autre : cependant on ne doit s’écarter de cette quatrieme regle, qu’autant qu’elle ne sauroit s’accorder avec la troisieme. Il y a pourtant des occasions où il faut observer la quatrieme regle, en violant la troisieme : ce qui n’a lieu que lorsque le sujet n’admet pas de division qui s’accorde avec la troisieme regle ; alors il faut commencer par supposer quelque proposition, qu’on ne peut démontrer que dans la suite. Après avoir exposé la division du

sujet, il faut en traiter les diverses parties, en rangeant les propositions dans un ordre convenable, & en démontrant celles dont la vérité ne paroît pas immédiatement, à moins qu’on ne les envisage comme déja connues. Toute conclusion est déduite de deux prémisses, de la vérité desquelles dépend celle de la conclusion.

V. Il n’est permis d’admettre comme vraie, aucune proposition, à moins qu’elle ne soit déduite des axiomes, des demandes, des hypothèses, ou des propositions déja prouvées ; excepté le seul cas indiqué tout-à l’heure ; savoir, lorsque le sujet n’admettant point de division, on suppose quelque proposition sans preuve, en se réservant de la démontrer dans la suite. Il faut prendre garde aussi, en employant une hypothèse, de regarder comme absolument vraie, une conclusion qui n’est vraie qu’hypothétiquement.

VI. Toutes les propositions qui ne servent ni à démontrer, ni à éclaircir le sujet qu’on traite, doivent être rejettées. En négligeant d’observer cette regle, on ne sauroit s’empêcher de tomber dans la confusion.

VII. Les propositions simples doivent précéder celles qui sont composées, & les propositions générales doivent être traitées avant les particulieres. Il est quelquefois impossible d’observer cette regle, à cause qu’il arrive souvent qu’une proposition simple ne peut être déduite que d’une proposition composée, & qu’une proposition générale ne peut être expliquée avant que d’en avoir démontré quelque cas particulier ; dans ces occasions on doit négliger cette septieme regle : c’est de quoi nous trouvons plusieurs exemples dans Euclide, auquel bien des gens ont reproche d’avoir péché contre l’ordre ; mais ceux qui lui ont fait de pareils reproches, n’ont pas fait attention à la subordination des regles qui regardent l’ordre des propositions.

VIII. Après chaque proposition il faut premierement démontrer celles qui en sont des conséquences, ensuite celles qui y ont quelque rapport, en faisant précéder celles qui y ont la relation la plus étroite. Cette seconde partie de la huitieme regle, doit être entendue de maniere qu’elle ne doive avoir lieu que quand elle ne se trouve point en opposition avec la regle précédente. Euclide a eu raison de séparer la seizieme, & la trente-deuxieme proposition du premier livre de ses élémens, quoique dans l’une & & l’autre proposition, il soit question de l’angle extérieur du triangle.

La difficulté qui se trouve à suivre toutes les regles de la synthèse, qui viennent d’être exposées, n’est pas fort considérable. Cependant avant que d’y être accoutumé, on pourra en faciliter la pratique, en observant les regles suivantes. D’abord on doit marquer, & bien déterminer ce que l’on a entrepris d’expliquer, en faisant une liste qui contienne toutes les propositions qui doivent être démontrées, exprimées en peu de mots, ou plutôt simplement indiquées, ensuite on doit rechercher les argumens par le moyen desquels on croit pouvoir prouver, avec le plus de facilité & de briéveté, les propositions dont il s’agit. Ces argumens contiennent de nouvelles propositions, qu’il faut ajouter aux autres : après cela on doit aussi marquer les principes dont ces dernieres propositions peuvent être déduites ; soit immédiatement, soit par une suite de propositions déja marquées sur la liste : enfin il faut indiquer les mots obscurs qui doivent être définis, aussi-bien que les demandes & les hypothèses, s’il en est question. Ces différens matériaux doivent être rédigés en ordre, suivant les regles qui viennent d’être prescrites ; & celà de maniere qu’à l’égard de chacun de ces matériaux en particulier, on apperçoive la raison pour