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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/825

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ceptes. Je ne vois, ajoute ce même auteur, rien de plus instructif. Cela va jusqu’au merveilleux dans ses trois premiers livres, le quatrieme est peu de chose. Aussi l’ouvrage de Vegece est-il regardé comme un reste précieux échappé à la barbarie des tems. Les plus habiles militaires s’en sont utilement servi, & l’on peut dire qu’il a beaucoup contribué au rétablissement de la discipline militaire en Europe ; rétablissement qu’on doit particulierement au fameux Maurice prince d’Orange, à Alexandre Farneze duc de Parme, à l’amiral Coligny, à Henri IV. Gustave Adolphe, &c. Ces grands capitaines chercherent à s’approcher de l’ordre des Grecs & des Romains autant que le changement des armes pouvoit le permettre ; car les armes influent beaucoup dans l’arrangement des troupes pour combattre, & dans la pression des rangs & des files.

Pour ce qui concerne l’arrangement particulier des troupes greques & romaines, ou le détail de leur tactique, voyez Phalange & Légion. A l’égard de la tactique moderne, voyez Armée, Evolutions, Ordre de bataille, Marche & Guerre.

Le fond de la tactique moderne est composé de celle des Grecs & des Romains. Comme les premiers, nous formons des corps à rangs & à files serrés ; & comme les seconds, nous avons nos bataillons qui répondent assez exactement à leurs cohortes, & qui peuvent combattre & se mouvoir aisément dans tous les différens terreins.

Par la pression des rangs & des files, les troupes sont en état de résister au choc des assaillans, & d’attaquer elles-mêmes avec force & vigueur. Il ne s’agit pour cet effet que de leur donner la hauteur ou la profondeur convenable, suivant la maniere dont elles doivent combattre.

Notre intention n’est point d’entrer ici dans un examen raisonné de notre tactique, le détail en seroit trop long, & il exigeroit un ouvrage particulier. Nous nous contenterons d’observer qu’il en doit être des principes de la tactique, comme de ceux de la fortification, qu’on tâche d’appliquer à toutes les différentes situations des lieux qu’on veut mettre en état de défense.

Qu’ainsi la disposition & l’arrangement des troupes doit varier selon le caractere & la façon de faire la guerre de l’ennemi qu’il faut combattre. Lorsqu’on est bien instruit des regles de la tactique, que les troupes sont exercées aux à-droite, aux à-gauche, doublemens & dédoublemens de files, de rangs & aux quarts de conversion ; qu’elles ont contracté d’ailleurs l’habitude de marcher & d’exécuter ensemble tous les mouvemens qui leur sont ordonnés, il n’est aucune figure ni aucun arrangement qu’on ne puisse leur faire prendre. Les circonstances des tems & des lieux doivent faire juger de la disposition la plus favorable pour combattre avec le plus d’avantage qu’il est possible. En général la tactique sera d’autant plus parfaite, qu’il en resultera plus de force dans l’ordre de bataille ; que les mouvemens des troupes se feront avec plus d’ordre, de simplicité & de promptitude ; qu’on sera en état de les faire agir de toutes les manieres qu’on jugera à-propos, sans les exposer à se rompre ; qu’elles pourront toujours s’aider & se soutenir réciproquement, & qu’elles seront armées convenablement pour résister à toutes les attaques des troupes de différentes especes qu’elles auront à combattre. Il est encore important de s’appliquer dans l’ordre & l’arrangement des différens corps de troupes, à faire ensorte que le plus grand nombre puisse agir offensivement contre l’ennemi, & cela, en conservant toujours la solidité nécessaire pour une action vigoureuse, & pour soutenir le choc ou l’impétuosité de l’ennemi.

De ce principe, dont il est difficile de ne pas con-

venir, il s’ensuit qu’une troupe formée sur une trop

grande épaisseur, comme par exemple, sur seize rangs, ainsi que l’étoit la phalange des Grecs, n’auroit pas la moitié des hommes dont elle seroit composée, en état d’offenser l’ennemi, & qu’un corps rangé aussi sur très-peu de profondeur, comme deux ou trois rangs, n’auroit aucune solidité dans le choc.

Comme il est des positions où les troupes ne peuvent se joindre pour combattre la bayonnette au bout du fusil, & que la trop grande hauteur de la troupe n’est pas favorable à une action où il ne s’agit que de tirer, on voit par-là qu’il est nécessaire de changer la formation des troupes, suivant la maniere dont elles doivent combattre.

Dans les actions de feu, les troupes peuvent être sur trois ou quatre rangs, & dans les autres sur six ou huit. Voyez sur ce sujet les élémens de tactique, p. 10. 33 & 34.

Nous finirons cet article, en observant que les Romains perfectionnerent leur tactique en prenant des nations qu’elles avoient à combattre tout ce qui leur paroissoit meilleur que ce qu’ils pratiquoient. C’est le véritable moyen d’arriver à la perfection, pourvu que l’on sache distinguer les choses essentielles de celles qui sont indifférentes, ou qui ne conviennent point au caractere de la nation. Par exemple, on prétend qu’on a tort en France de vouloir imiter nos voisins dans l’usage qu’ils font de la mousqueterie, parce que nous leur envions à cet égard une propriété qu’ils n’ont peut-être éminemment que parce qu’ils ne peuvent pas avoir les nôtres.

« L’on n’entend parler, dit l’auteur du traité manuscrit de l’essai de la légion, que de cette espece d’imitation, qui est pernicieuse en ce qu’elle répugne au caractere national. Les Prussiens, les Allemands sont des modeles trop scrupuleusement détaillés. On pousse jusqu’à l’excès la vénération qu’on a pour leurs usages, même les plus indifférens. Il est très-raisonnable sans doute de chercher à acquérir les bonnes qualités dont ils sont pourvus, mais sans rénoncer à celles que l’on a, ou que l’on peut avoir supérieures à eux. Si l’on veut imiter, que ce soit dans les choses de principe, & non d’usage & de détail[1]. Par exemple, pense-t-on à la discipline ? il faut chercher à en introduire une équivalente à celle des étrangers, mais conforme au génie de la nation. Imitons-les particulierement dans l’attention qu’ils ont eue à ne pas nous imiter, & à faire choix avec discernement d’une discipline & d’un genre de combat assorti à leur génie & à leur caractere. Il résultera alors de cette imitation l’effet précisément contraire à l’action de les copier dans les détails. Car nous prendrions d’aussi bonnes mesures pour mettre notre vivacité dans tout son avantage, qu’ils en prennent pour tirer parti de leur flegme & de leur docilité. Soyons comme les gens de génie, qui avec un caractere & une façon de penser qui leur est propre, ne dédaignent point d’ajouter à leurs qualités celles qu’ils apperçoivent dans les autres, mais qui se les approprient si bien, qu’ils ne sont jamais les copies ni l’écho de qui que ce soit. Il faut de l’instruction & des modeles sans doute, mais jamais l’imitation scrupuleuse ne doit passer en principes.

» Il fut un tems où notre infanterie formée par les guerres d’Italie, sous François I. fut assujettie à un

  1. On pourroit dire sur ce sujet comme Armand dans les Femmes savantes de Moliere :

    Quand sur une personne on pretend se régler,
    C’est par les beaux côtés qu’il faut lui ressembler ;
    Et ce n’est point du tout les prendre pour modeles,
    Ma sœur, que de tousser & de cracher comme elles.