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jets proches & éloignés, plus grands & même plus distinctement qu’ils ne paroissent au naturel. C’est par ce moyen que nous avons soulagé beaucoup de nos amis, qui ne voyoient les objets éloignés ou proches, que d’une maniere confuse, & que nous les avons aidés à voir très-distinctement les uns & les autres ».

Ces paroles de Porta, prises dans un certain sens (que depuis la découverte du télescope on peut leur donner), pourroient bien faire penser qu’il en est l’inventeur, comme le prétend Wolfius. Cependant si l’on remarque qu’il n’entendoit pas lui-même les choses dont il parle, & les conséquences résultantes de la construction que ces paroles indiqueroient, si elles avoient été écrites dans le sens qu’on leur donne aujourd’hui ; enfin qu’il traite de ces lentilles convexes & concaves d’une maniere si obscure & si confuse, que Kepler chargé de l’examiner par un commandement exprès de l’empereur Rodolphe, déclara que Porta étoit parfaitement inintelligible. On sera sort tenté de croire qu’il ne découvrit pas le télescope, & que ce qu’il dit là-dessus avoit trait à autre chose.

Cependant cinquante ans après on présenta au prince Maurice de Nassau un télescope de douze pouces de long, & fait par un lunetier de Middelbourg ; mais les auteurs ne sont point d’accord sur le nom de cet artiste. Sirturus, dans son traité du télescope, imprimé en 1618, veut que ce soit Jean Lipperson. Borel, dans un volume qu’il a composé exprès sur l’inventeur du télescope, & qu’il a publié en 1655, fait voir que c’est Zacharie Jansen, ou comme l’ortographie Wolfius, Hansen. Voici de quelle maniere on raconte cette histoire de la découverte du télescope par Jansen.

Des enfans en se jouant dans la boutique de leur pere, lui firent, dit-on, remarquer que quand ils tenoient entre leurs doigts deux verres de lunettes, & qu’ils mettoient les verres l’un devant l’autre à quelque distance, ils voyoient le coq de leur clocher beaucoup plus gros que de coutume, & comme s’il étoit tout près d’eux, mais dans une situation renversée. Le pere frappé de cette singularité, s’avisa d’ajuster deux verres sur une planche, en les y tenant de bout, à l’aide de deux cercles de laiton, qu’on pouvoit approcher ou éloigner à volonté. Avec ce secours, on voyoit mieux & plus loin. Bien des curieux accoururent chez le lunetier ; mais cette invention demeura quelque-tems informe & sans utilité. D’autres ouvriers de la même ville firent usage à l’envi de cette découverte, & par la nouvelle forme qu’ils lui donnerent, ils s’en approprierent tout l’honneur. L’un d’eux, attentif à l’effet de la lumiere, plaça les verres dans un tuyau noirci par-dedans. Par-là, il détourna & absorba une infinité de rayons, qui en se réfléchissant de dessus toutes sortes d’objets, ou de dessus les parois du tuyau, & n’arrivant pas au point de réunion, mais à côté, brouilloient ou absorboient la principale image. L’autre enchérissant encore sur ces précautions, plaça les mêmes verres dans des tuyaux rentrans & emboités l’un dans l’autre, tant pour varier les points de vue, en alongeant l’instrument à volonté, selon les besoins de l’observateur, que pour rendre la machine portative, & commode par la diminution de la longueur quand on la voudroit transporter, ou qu’on n’en feroit pas usage.

Jean Lappuy, autre artiste de la même ville, passe pour le troisieme qui ait travaillé au télescope, en ayant fait un en 1610, sur la simple relation de celui de Zacharie.

En 1620, Jacques Métius, frere d’Adrien Métius, professeur de mathématiques à Francker, se rendit à Middelbourg avec Drebel, & y acheta des télescopes des enfans de Zacharie, qui les rendirent publics.

Cependant Adrien Métius attribue à son frere l’honneur de la découverte du télescope, & a fait donner Descartes dans la même erreur.

Mais aucun de ceux qu’on vient de nommer n’ont fait des telescopes de plus d’un pié & demi de long. Simon Marius en Allemagne, & Galilée en Italie, sont les premiers qui aient fait de longs télescopes, propres pour les observations astronomiques.

Le Rossi raconte que Galilée étant à Venise apprit que l’on avoit fait en Hollande une espece de verre optique, propre à rapprocher les objets : sur quoi s’étant mis à réflechir sur la maniere dont cela pouvoit se faire, il tailla deux morceaux de verre du mieux qu’il lui fut possible, & les ajusta aux deux bouts d’un tuyau d’orgue, ce qui lui réussit au point, qu’immédiatement après, il fit voir à la noblesse vénitienne toutes les merveilles de son invention au sommet de la tour de S. Marc. Le Rossi ajoute que depuis ce tems là Galilée se donna tout entier à perfectionner le télescope ; & que c’est par-là qu’il se rendit digne de l’honneur qu’on lui fait assez généralement de l’en croire l’inventeur, & d’appeller cet instrument le tube de Galilée. Ce fut par ce moyen que Galilée apperçut des taches sur le soleil. Il vit ensuite cet astre se mouvoir sur son axe, &c.

Le P. Mabillon rapporte dans son voyage d’Allemagne, qu’il avoit vu à l’abbaye de Scheir, dans le diocèse de Freisingue, une histoire scholastique de Petrus Comestor, à la tête de laquelle étoient les figures des arts libéraux, & que pour signifier l’Astronomie, Ptolomée y étoit représenté, observant les étoiles avec une lunette, comme nos lunettes d’approche. Celui qui a écrit le mémoire se nommoit Chonradus, & étoit mort au commencement du xiij. siecle, comme D. Mabillon l’a prouvé par la chronique de ce monastere, que Chonrad avoit continuée jusqu’à ce tems-là. Cette date est d’autant plus remarquable, que les simples lunettes qui semblent devoir être inventées les premieres, ne l’ont été que plus de 100 ans après, comme on le peut voir par une lettre très-curieuse de feu M. Carlo Dati, florentin, que M. Spon a insérée dans les recherches d’antiquité, p. 213. elle contient un passage remarquable d’une chronique de Barthelemi de S Concorde de Pise, qui marque qu’en 1312 un religieux, nommé Alessandro Dispina, faisoit des lunettes, & en donnoit libéralement, tandis que celui qui les avoit inventées refusoit de les communiquer. Mém. de l’acad. des Inscr. tom. II.

Il y a deux remarques à faire sur ce récit du P. Mabillon ; la premiere, que ce savant a pu se laisser séduire par les apparences, & prendre pour une lunette, ce qui n’en étoit pas une ; ce qui feroit desirer qu’il nous en eût transcrit le dessein. 2°. Qu’il se pourroit très-bien faire que les figures des arts libéraux ayent été faites long-tems après que le manuscrit avoit été écrit. Cela paroît d’autant plus vraissemblable, que si on suppose que cette espece de lunette ne représentât qu’un tuyau, qui servoit à regarder les astres, & à défendre l’œil de la lumiere des objets étrangers ; il seroit assez singulier que les auteurs d’astronomie n’en eussent point parlé. Enfin il semble que les astronomes ne durent point penser à la précaution de regarder les étoiles avec un tuyau ; cette précaution étant assez inutile pour observer des astres la nuit.

Au reste, l’usage des verres convexes & concaves étant connu, & les principes d’optique sur lesquels sont fondés les télescopes, se trouvant renfermés dans Euclides, il sembleroit que c’est faute d’y avoir réfléchi, que le monde a été privé si long-tems de cette admirable invention. Mais il falloit connoître la loi de la réfraction, pour y être mené par la théorie, & on ne la connoissoit pas encore. On ne doit