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qu’elle ne connoit pas elle-même sa distinction d’avec Dieu ; il n’y a plus d’autre moi que Dieu, disoit Catherine de Gènes, en parlant de cette union d’essence.

Dans de tels momens, disoit madame Gayon, j’étouffe en Dieu. Voilà des idées bien folles. (D. J.)

TRANSFUGE, DÉSERTEUR, (Synonymes.) ce mot signifie ce qu’on ne peut bien exprimer par déserteur, ni par fugitif. Transfuge est celui qui quitte son parti, pour se retirer chez les ennemis.

Quoique transfuge soit tout-à-fait établi dans notre langue, & qu’il signifie autre chose que déserteur ; on ne laisse pas de se servir ordinairement de déserteur dans le sens de transfuge ; cependant quand il s’agit de traductions des auteurs classiques, il convient de se servir du mot de transfuge, comme a fait M. d’Ablancourt. On dit encore avec élégance au figuré un transfuge de l’amour, pour désigner celui qui en abandonne le parti. (D. J.)

TRANSFUSION, s. f. (Méd. Thérapeut. Chirurg.) opération célebre qui consiste à faire passer du sang des vaisseaux d’un animal, immédiatement dans ceux d’un autre. Cette opération fit beaucoup de bruit dans le monde médecin, vers le milieu du siecle passé, environ les années 1664 & les suivantes, jusqu’en 1668 ; sa célebrité commença en Angleterre, & fut, suivant l’opinion la plus reçue, l’ouvrage du docteur Wren, fameux médecin anglois ; elle se répandit delà en Allemagne par les écrits de Major, professeur en médecine à Kiel ; la transfusion ne fut connue & essayée en France qu’en 1666 ; M M. Denys & Emmerets furent les premiers qui la pratiquerent à Paris ; elle excita d’abord dans cette ville des rumeurs considérables, devint un sujet de discorde parmi les médecins, & la principale matiere de leurs entretiens & de leurs écrits ; il se forma à l’instant deux partis opposés, dont l’un étoit contraire & l’autre favorable à cette opération ; ceux-ci, avant même qu’on l’eût essayée, prouvoient par des argumens de l’école que c’étoit un remede universel ; ils en célebroient d’avance les succès, & en vantoient l’efficacité ; ceux-là opposoient les mêmes armes, trouvoient des passages dans les différens auteurs, qui démontroient qu’on ne pouvoit pas guérir par cette méthode, & ils en concluoient que la transfusion étoit toujours ou du-moins devoit être inutile, quelquefois dangereuse, & même mortelle ; on se battit quelque tems avec des raisons aussi frivoles de part & d’autre ; & si l’on s’en fût tenu là, cette dispute ne fût point sortie de l’enceinte obscure des écoles ; mais bientôt on ensanglanta la scène ; le sang coula, non pas celui des combattans, mais celui des animaux & des hommes qui furent soumis à cette opération ; les expériences devoient naturellement décider cette question devenue importante, mais l’on ne fut pas plus avancé après les avoir faites ; chacun déguisa, suivant son opinion, le succès des expériences ; en même tems que les uns disoient qu’un malade qui avoit subi l’opération étoit gueri de sa folie, & paroissoit en différens endroits ; les autres assuroient que ce même malade étoit mort entre les mains des opérateurs, & avoit été enterré secretement. Enfin, les esprits aigris par la dispute, finirent par s’injurier réciproquement ; le verbeux la Martiniere, l’athlete des anti-transfuseurs, écrivoit aux ministres, aux magistrats, à des prêtres, à des dames, à des médecins, à tout-l’univers, que la transfusion étoit une opération barbare sortie de la boutique de satan, que ceux qui l’exerçoient étoient des bourreaux, qui méritoient d’être renvoyés parmi les Chichimeques, les Cannibales, les Topinamboux, les Parabons, &c. que Denis entr’autres surpassoit en extravagance tous ceux qu’il avoit connus, & lui reprochoit d’avoir fait jouer les marionettes à la foire ; d’un autre côté Denis à la tête des transfuseurs, ap-

pelloit jaloux, envieux, faquins, ceux qui pensoient

autrement que lui, & traitoient la Martiniere de misérable arracheur de dents, & d’opérateur du pontneuf.

La cour & la ville prirent bientôt parti dans cette querelle, & cette question devenue la nouvelle du jour fut agitée dans les cercles avec autant de feu, aussi peu de bon sens, & moins de connoissance que dans les écoles de l’art & les cabinets des savans ; la dispute commença à tomber vers la fin de l’année 1668 par les mauvais effets mieux connus de la transfusion, & à la suite d’une sentence rendue au Châtelet, le 17 Avril 1668, qui défend, sous peine de prison, de faire la transfusion sur aucun corps humain que la proposition n’ait été reçue & approuvée par les médecins de la faculté de Paris ; & cette illustre compagnie, qu’on a vu souvent opposée avec tant de zèle contre des innovations quelquefois utiles, ayant gardé le silence sur cette question, elle est tombée, faute d’être agitée, dans l’oubli où elle est encore aujourd’hui ; à peine saurions-nous qu’elle a occupé les médecins, si quelques curieux n’avoient pris soin de nous conserver les ouvrages qu’elle excita dans le tems où elle étoit en vogue, & qui, comme tous les écrits polémiques cessent d’être lus & recherchés dès que la dispute est finie. M. Falconet, possesseur d’une immense bibliotheque qu’il ouvre avec plaisir à tous ceux que le desir de s’instruire y amene, m’a communiqué une collection de seize ou dix-sept pieces sur la transfusion, où l’on trouve tout ce qui s’est passé de remarquable à ce sujet ; j’en ai tiré quelques éclaircissemens sur l’origine & la découverte de cette opération, les raisons qui servent à l’établir ou la détruire, les cas où on la croit principalement utile, & la maniere dont on la pratique.

L’on est peu d’accord sur l’origine de cette opération ; plusieurs auteurs en fixent l’époque au siecle passé, d’autres la font remonter jusqu’aux tems les plus reculés, & prétendent en trouver des descriptions dans des ouvrages très-anciens ; la Martiniere aussi jaloux d’en prouver l’ancienneté que l’inhumanité cite pour appuyer son sentiment, 1°. l’histoire des anciens Egyptiens, où l’on voit que ces peuples la pratiquoient pour la guerison de leurs princes ; & que l’un d’eux ayant conçu de l’horreur de voir mourir entre ses bras une créature humaine, & jugeant que le sang d’un homme agonisant se corrompt, fit cesser cette opération, & voulut qu’on y substituât le bain de sang humain, comme le plus analogue à la nature de l’homme & le plus propre à dissiper ses maladies. 2°. Le livre de la sagesse de Tanaquila, femme de Tarquin l’ancien, par lequel il paroît qu’elle a mis en usage la transfusion. 3°. Le traité d’anatomie d’Hérophile, où il en est parlé assez clairement. 4°. Un recueil d’un ancien écrivain juif, qui lui fut montré par Ben Israël Manassé, rabin des juifs d’Amsterdam, où étoient les paroles suivantes : « Naam, prince de l’armée de Ber-Adad, roi de Syrie, atteint de lépre, eut recours aux médecins, qui pour le guerir ôtoient du sang de ses veines, & en remettoient d’autre, &c. » 5°. Le livre sacré des prêtres d’Apollon, où il est fait mention de cette opération. 6°. Les recherches des Eubages. 7°. Les ouvrages de Pline, de Celse & de plusieurs autres, qui la condamnent. 8°. Les métamorphoses d’Ovide, où l’on la trouve décrite parmi les moyens dont se servit Médée pour rajeunir Æson, & qu’elle promit d’employer pour Pélias ; elle commença par leur ôter tout le vieux sang, ensuite elle remplit les vaisseaux d’Æson des sucs qu’elle avoit préparés, voyez Rajeunissement, & dit aux filles de Pélias pour les encourager à faire couler le sang de leur pere qu’elle lui substitueroit celui d’un agneau. 9°. Les principes de physique de Maximus, où cet auteur l’enseigne. 10°. Le traité sur les sacrifices de l’empereur