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leureux. Qu’avez-vous besoin d’or ? Un laurier récompense un héros.

Il s’agissoit au siege de *** de reconnoître un point d’attaque ; le péril étoit presque inévitable ; cent louis étoient assurés à celui qui pourroit en revenir ; plusieurs braves y étoient déjà restés ; un jeune homme se présente ; on le voit partir à regret ; il reste longtems ; on le croit tué ; mais il revient, & fait également admirer l’exactitude & le sang froid de son récit. Les cent louis lui sont offerts ; vous vous mocquez de moi, mon général, répond-il alors, va-t-on là pour de l’argent ? Le bel exemple !

Que l’on parcourre dans les fastes de l’histoire, les siecles de l’ancienne chevalerie, où tout jusqu’aux jeux de l’amour avoit un air martial ; où les couleurs & les chiffres de la maîtresse ornoient toujours le bouclier de l’amant ; où la barriere des tournois ouvroit un nouveau chemin à la gloire ; où le vainqueur aux yeux de la nation entiere recevoit la couronne des mains de la beauté ; qu’à ces jours d’honneur l’on compare ces tems d’apathie & d’indolence ; où nos guerriers ne souleveroient pas les lances que manioient leurs peres, on verra à quel point les mœurs & l’éducation influent sur la valeur.

La valeur aime autant la gloire qu’elle déteste le carnage ; cede-t-on à ses armes, ses armes cessent de frapper ; ce n’est point du sang qu’elle demande, c’est de l’honneur ; & toujours son vaincu lui devient cher, sur-tout s’il a été difficile à vaincre.

Du tems du paganisme elle fit les dieux, depuis elle créa les premiers nobles.

C’est à elle seule que semblera appartenir la pompe fastueuse des armoiries, ces casques panachés qui les couronnent, ces faisceaux d’armes qui servent de support aux écussons, ces livrées qui distinguoient les chefs dans la mêlée, & toutes ces décorations guerrieres qu’elle seule ne dépare pas.

Ces superbes priviléges, aujourd’hui si prisés & si confondus, ne sont pas le seul appanage de la valeur ; elle possede un droit plus doux & plus flatteur encore, le droit de plaire. Le valeureux fut toujours le héros de l’amour ; c’est à lui que la nature a particulierement accordé des forces pour la défense de ce sexe adoré, qui trouve les siennes dans sa foiblesse ; c’est lui que ce sexe charmant aime sur-tout à couronner comme son vainqueur.

Non contente d’annoblir toutes les idées & tous les penchans, la valeur étend également ses bienfaits sur le moral & sur le physique de ses héros ; c’est d’elle sur-tout que l’on tient cette démarche imposante & facile ; cette aisance qui pare la beauté ou prête à la disgrace un charme qui la fait oublier ; cette sécurité qui peint l’assurance intérieure ; ce regard ferme sans rudesse que rien n’abaisse que ce qu’il est honnête de redouter ; & la grandeur d’ame, & la sensibilité que toujours elle annonce, est encore un attrait de plus dont toute autre ame sensible peut malaisément se défendre.

Il seroit impossible de définir tous les caracteres de la valeur selon ceux des êtres divers que peut échauffer cette vertu ; mais de même que l’on peut donner un sens définitif au mot physionomie, malgré la variété des physionomies, de même peut-on fixer le sens du mot valeur, malgré toutes ces modifications.

Pour y parvenir encore mieux, l’on va comparer les mots bravoure, courage, & valeur, que l’on a toujours tort de confondre.

Le mot vaillance paroît d’abord devoir être compris dans ce parallele ; mais dans le fait c’est un mot qui a vieilli, & que valeur a remplacé ; son harmonie & son nombre le fait cependant employer encore dans la poésie.

Le courage est dans tous les événemens de la vie ;

la bravoure n’est qu’à la guerre ; la valeur par-tout où il y a un péril à affronter, & de la gloire à acquérir.

Après avoir monté vingt fois le premier à l’assaut, le brave peut trembler dans une forêt battue de l’orage, fuir à la vue d’un phosphore enflammé, ou craindre les esprits ; le courage ne croit point à ces rêves de la superstition & de l’ignorance, la valeur peut croire aux revenans, mais alors elle se bat contre le phantome.

La bravoure se contente de vaincre l’obstacle qui lui est offert ; le courage raisonne les moyens de le détruire ; la valeur le cherche, & son élan le brise, s’il est possible.

La bravoure veut être guidée ; le courage sait commander, & même obéir ; la valeur sait combattre.

Le brave blessé s’enorgueillit de l’être ; le courageux rassemble les forces que lui laisse encore sa blessure pour servir sa patrie ; le valeureux songe moins à la vie qu’il va perdre, qu’à la gloire qui lui échappe.

La bravoure victorieuse fait retentir l’arène de ses cris guerriers ; le courage triomphant oublie son succès, pour profiter de ses avantages ; la valeur couronnée soupire après un nouveau combat.

Une défaite peut ébranler la bravoure ; le courage sait vaincre & être vaincu sans être défait ; un échec desole la valeur sans la décourager.

L’exemple influe sur la bravoure ; (plus d’un soldat n’est devenu brave qu’en prenant le nom de grenadier ; l’exemple ne rend point valeureux quand on ne l’est pas) mais les témoins doublent la valeur ; le courage n’a besoin ni de témoins ni d’exemples.

L’amour de la patrie & la santé rendent braves ; les réflexions, les connoissances, la Philosophie, le malheur, & plus encore la voix d’une conscience pure, rendent courageux ; la vanité noble, & l’espoir de la gloire, produisent la valeur.

Les trois cens Lacédémoniens des Termopiles, (celui qui échappa même) furent braves : Socrate buvant la ciguë, Regulus retournant à Carthage, Titus s’arrachant des bras de Bérénice en pleurs, ou pardonnant à Sextus, furent courageux : Hercule terrassant les monstres ; Persée délivrant Andromede ; Achille courant aux remparts de Troie sûr d’y périr, étonnerent les siecles passés par leur valeur.

De nos jours, que l’on parcourre les fastes trop mal conservés, & cent fois trop peu publiés de nos régimens, l’on trouvera de dignes rivaux des braves de Lacédémone ; Turenne & Catina furent courageux ; Condé fut valeureux & l’est encore.

Le parallele de la bravoure avec le courage & la valeur, doit finir en quittant le champ de bataille. Comparons à présent le courage & la valeur dans d’autres circonstances de la vie.

Le valeureux peut manquer de courage ; le courageux est toujours maître d’avoir de la valeur.

La valeur sert au guerrier qui va combattre ; le courage à tous les êtres qui jouissant de l’existence, sont sujets à toutes les calamités qui l’accompagnent.

Que vous serviroit la valeur, amant que l’on a trahi ; pere éploré que le sort prive d’un fils ; pere plus à plaindre, dont le fils n’est pas vertueux ? ô fils désolé qui allez être sans pere & sans mere ; ami dont l’ami craint la vérité ; ô vieillards qui allez mourir, infortunés, c’est du courage que vous avez besoin !

Contre les passions que peut la valeur sans courage ? Elle est leur esclave, & le courage est leur maître.

La valeur outragée se vange avec éclat, tandis que le courage pardonne en silence.

Près d’une maîtresse perfide le courage combat l’amour, tandis que la valeur combat le rival.