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Ce n’est pas que long-tems auparavant il n’y eût une maniere indirecte de mettre les offices à prix d’argent, comme il paroit par la chronique de Flandre, c. xxxiij. où il est dit que le roi Philippe-le-Bel, « poursuivant la canonisation de saint Louis, en fut refusé par le pape Boniface VIII. parce qu’il fut trouvé qu’il avoit mis ses bailliages & prevôtés en fermes ». C’est qu’on se servoit alors du prétexte d’affermer les droits domaniaux, & on bailloit quant & quant à ferme l’office de prevôt, vicomte, &c. parce qu’ils administroient tout-à-la-fois la ferme & la justice ; mais ce n’étoit point vendre les offices, comme on le fit depuis, & l’on pouvoit dire que ce n’étoit que la terre que l’on affermoit.

Ainsi donc le regne de François I. est l’époque qui paroit la plus vraissemblable de la vénalité des charges, parce qu’alors il y en eut de vendues en plus grand nombre ; mais y a-t-il une loi qui fixe cette époque ? & comment peut-on expliquer ce qu’on lit par-tout d’offices, même de judicature, qui furent vendus long-tems avant ce regne, & de la défense qui en fut faite depuis ?

Pour répondre d’abord aux exemples de la vente de quelques offices de judicature, antérieure au regne de François I. il paroit certain à M. le président Hénault, que la vénalité de ces sortes d’offices n’étoit pas même tolérée ; les ordonnances de Charles VII. de Charles VIII. & de Louis XII. en fournissent la preuve ; cette preuve se trouve encore antérieurement. Voyez le dialogue des avocats intitulé Pasquier. Voyez le vol VII. du recueil des ordonnances ; on y lit dans les lettres du 19 Novemb. 1393, concernant les procureurs du Châtelet de Paris, pour cause de ladite ordonnance, ledit office de procuration étoit accoutumé d’être exposé en vente, & par titres d’achat, aucuns y avoient été ou étoient pourvûs. On voit des plaintes des Etats-généraux à Louis XI. dans le recueil de Quênet, sur ce que l’on avoit vendu des charges de judicature ; Philippe de Commines rapporte la même chose.

Les exemples de ces ventes sont en grand nombre, mais ces exemples nous fournissent en même tems la preuve, que ces ventes n’étoient point autorisées, par les plaintes que l’on en portoit au souverain ; cela n’empêchoit pas que ce trafic ne continuât par les grands ou les gens en place, qui vendoient leur crédit sans que le roi en fût informé, ou sans qu’il parût s’en appercevoir ; c’est dans ce sens qu’il semble que l’on doit entendre tous les passages qui déposent de la vénalité des charges ; c’étoient des abus, & par conséquent ce ne sont ni des autorités ni des époques.

Nous restons toujours au regne de François I. sans que ce prince ait cependant donné des lois au sujet de la vénalité ; loin de-là, pour sauver le serment que l’on étoit obligé de faire au parlement, de n’avoir point acheté son office ; ce trafic étoit coloré du titre de prêt pour les besoins de l’état, & par conséquent n’étoit pas une vente : à la vérité Henri II. se contraignit moins ; on lit dans un édit de 1554, qui regle la forme suivant laquelle on devoit procéder aux parties casuelles pour la taxe & la vente des offices que ce prince ne fait aucune distinction des offices de judicature à ceux de finance, & qu’il ordonne que tous ceux qui voudroient se faire pourvoir d’office, soit par vacation, résignation, ou création nouvelle, feroient enregistrer leurs noms chaque semaine, & que le contrôleur-général feroit des notes contenant les noms & qualités des offices qui seroient à taxer, &c.

Le peuple qui croyoit que la vénalité des charges entraînoit celles de la justice, ne voyoit pas sans murmurer ce système s’accréditer ; les grands d’ailleurs n’y trouvoient pas leur compte, puisqu’ils ne pou-

voient mettre en place des hommes qui leur fussent

dévoués ; ce fut par cette double raison que Catherine de Médicis, lors de l’avénement de François II. à la couronne, voulut faire revivre l’ancienne forme des élections.

Ce n’est pas que les élections n’eussent leur inconvénient ; car où n’y en a-t-il pas ? Elles étoient accompagnées de tant de brigues, que dans l’édit donné par François II. il fut dit que le parlement présenteroit au roi trois sujets, entre lesquels le roi choisiroit : les choses n’en allerent pas mieux ; tous les offices vacans furent remplis de gens dévoués tantôt au connétable, tantôt aux Guises, tantôt au prince de Condé, & rarement au roi, en sorte que l’esprit de parti devint le mobile de tous les corps bien plus que l’amour du bien public, & vraissemblablement une des causes des guerres civiles.

Sous le regne de Charles IX. le système de la vénalité reprit le dessus, & peut-être est-ce-là la véritable époque de celle des offices de judicature ; ce ne fut pas toutefois en prononçant directement que les offices de judicature seroient désormais en vente, mais cela y ressembloit beaucoup. Le roi permit à tous les possesseurs de charges qui, sans être vénales de leur nature, étoient réputées telles à cause des finances payées pour les obtenir, de les résigner en payant le tiers denier ; les charges de judicature qui étoient dans ce cas, entrerent comme les autres aux parties casuelles ; le commerce entre les particuliers en devint public, ce qui ne s’étoit point vu jusqu’alors ; & quand elles vinrent à tomber aux parties casuelles faute par les résignans d’avoir survécu quarante jours à leur résignation, on les taxa comme les autres, & on donna des quittances de finance dans la forme ordinaire.

On comprend que ce commerce une fois autorisé, les élections tomberent d’elles-mêmes, & qu’il n’étoit pas besoin d’une loi pour les anéantir.

Ainsi on peut regarder les édits de Charles IX. à ce sujet, qui sont des années 1567 & 1568, comme les destructeurs de cet ancien usage de l’élection, qui n’a pas reparu depuis, malgré l’ordonnance de Blois de 1579, qui à cet égard n’a point eu d’exécution. Les dispositions de ces édits furent renouvellées en différentes fois par Charles IX. lui-même, & ensuite par Henri III. Enfin l’édit de 1604, qui a rendu héréditaires tous les offices sans distinction, même ceux des cours souveraines, a rendu à cet égard les offices de judicature de même nature que tous les autres, & depuis il n’a plus été question de charges non-vénales.

On pourroit conclure avec raison de ce qui vient d’être dit, que le regne de François I. ne doit pas être l’époque de la vénalité des charges : ce n’en est pas en effet l’époque, si j’ose dire judiciaire, mais c’en est la cause véritable, puisque ce fut sous son regne qu’une grande partie de ces charges s’obtint pour de l’argent.

Il résulte donc de ce détail que Charles IX. a établi positivement par ses édits la vénalité des offices de judicature ; celle des charges de finance l’avoit été par Louis XII. & nous lisons dans les mémoires de Duplessis Mornay, tom. I. pag. 456. que ce furent les Guises qui mirent les premiers en vente les charges militaires sous le regne d’Henri III.

Telles sont les époques de la vénalité de toutes les charges dans ce royaume. Cette vénalité a-t-elle des inconvéniens plus grands que son utilité ? c’est une question déja traitée dans cet ouvrage. Voyez Charges, Offices, &c.

Nous nous contentons d’ajouter ici qu’en regardant la vénalité & l’hérédité des charges de finance & de judicature comme utiles, ainsi que le prétend le testament politique du cardinal de Richelieu, on conviendra sans peine qu’il seroit encore plus avanta-