Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autre nature que l’argille, comme une sorte de sablon : les yeux seuls suffisent pour se convaincre de l’existance de ces deux corps étrangers. Presque toutes les argilles renferment un acide qui se manifeste très-bien au goût : qu’on détrempe de l’argille dans l’eau, & qu’après avoir laissé clarifier l’eau, on la goûte, on lui trouvera un goût acide & désagréable, qui pourroit même être nuisible jusqu’à un certain point aux animaux qui feroient usage de cette eau.

On pourroit, par des distillations, obtenir l’acide contenu dans l’argille, & par-là déterminer sa nature ; mais une pareille recherche seroit inutile à mon sujet, il me suffit de savoir qu’il existe un acide quelconque dans l’argille, pour ne pas ignorer que cet acide peut nuire, & pour chercher à le bannir. Il y a aussi des argilles qui renferment des pirites, & même en grand nombre.

L’épluchage prive assez bien la terre des parties colorées qui la tachent, & des terres étrangeres. Pour parvenir à cet épluchage, on casse le bloc de terre avec des marteaux armés d’un tranchant, & on les réduit en petits morceaux de la grosseur à-peu-près d’une noix ; lorsqu’on apperçoit des taches ou des terres de différente nature, on les ôte avec le tranchant du marteau, ou avec la pointe d’un couteau. Il est à remarquer que pour procéder à l’épluchage, il est nécessaire que la terre soit seche, parce qu’alors la différence entre la terre pure & les parties étrangeres est plus sensible que lorsque l’argille est humide.

Lorsqu’on se contente de l’épluchage, & que l’on ne cherche pas à bannir l’acide ; on met la terre à tremper ou à fondre dès qu’elle est épluchée dans des caisses larges & peu profondes, c’est-à-dire qu’on la couvre d’eau. On la laisse dans cet état le tems nécessaire pour qu’elle soit assez imbibée & également dans toutes ses parties. Après que la terre est suffisamment trempée, on épuise l’eau qui restoit encore dans la caisse, on y ajoute le ciment ; après quoi des hommes entrent dans la caisse, & pétrissent la terre avec les piés (ce qu’on appelle la marcher ou la corroyer), jusqu’à ce qu’elle soit bien mêlée avec le ciment, & qu’il n’y ait aucune partie qui ne se sente du mélange. Lorsque la terre a été bien pétrie ou corroyée, elle a reçu toutes ses façons, & il ne manque plus que de l’employer.

On appelle marron dans la fabrication des terres, un morceau d’argille plus dur que se reste de la terre, & qui n’a pas de liaison avec elle. Le marron peut venir de deux causes, soit de l’état où étoit l’argille, lorsqu’on l’a mise à tremper, soit de la maniere dont on l’a marchée.

Lorsque la premiere cause a lieu, faisons une remarque assez singuliere, & qu’il est aisé de vérifier par l’experience. Un morceau d’argille humide a beau tremper, il ne se fond jamais également ; il reste toujours des parties qui n’ont pas été dissoutes : ces parties sont plus dures que le reste de la terre, & voilà le marron. Il est aisé d’éviter cet inconvénient en ne mettant l’argille à fondre que lorsqu’elle est bien seche.

Lorsqu’un morceau d’argille n’a pas été écrasé par les piés des ouvriers, & conséquemment n’a pas reçu le même mélange de ciment que les autres parties de terre ; il reste plus dur, ses parties étant moins maigres, plus cohérantes, & voilà le marron.

Disons un mot de la maniere de marcher la terre, & l’on entendra par-là aisément les moyens d’éviter les marrons. Les ouvriers disposent la terre dans la caisse de maniere qu’il y ait une petite partie de la caisse vuide dans un bout ; ensuite ils portent leur talon chacun dans le milieu de la caisse ; & prenant une portion de terre, ils l’écrasent sous leur talon, & en forment un bourrelet dans le vuide de la caisse ;

ramenant leur talon à eux, en faisant la même manœuvre, le bourrelet occupe toute la largeur de la caisse. Ils continuent à écraser la terre & à en former des bourrelets, jusqu’à ce qu’ils soient à l’extrémité de la caisse ; alors s’ils ont été de droite à gauche, ils s’en retournent de gauche à droite, écrasant les bourrelets qu’ils ont faits, & en en faisant de nouveaux, & ainsi de suite jusqu’à parfait mélange du ciment. J’ai raisonné comme s’il n’y avoit que deux ouvriers ; s’il y en avoit davantage, ils n’en agiroient pas moins sur les mêmes principes.

On conçoit très-bien qu’il n’y aura point de marrons, si toutes les parties de terre passent sous le talon des ouvriers ; & pour cet effet. 1°. qu’il n’y ait jamais dans la caisse une quantité d’argille telle que les hommes ne puissent toucher le fond de la caisse ; 2°. que la terre ne soit mouillée qu’autant qu’il le faut, pour que les ouvriers puissent l’écraser ; lorsqu’elle l’est davantage, elle devient glissante, & s’échappe de dessous les piés sans être écrasée ; 3°. que les ouvriers fassent leurs bourrelets petits, en prenant peu de terre à la fois.

Tout ce que nous avons dit jusqu’ici ne touche point à la maniere de chasser l’acide ; sa qualité de sel le rendant miscible à l’eau, on l’expulsera de l’argille en faisant la lotion de cette même argille. Voici la maniere dont certaines personnes s’y sont prises. Ils ont réduit en coulis[1] l’argille sur laquelle ils avoient à opérer, & ensuite l’ont laissé déposer, ont décanté l’eau claire, & en ont remis de nouvelle, avec laquelle ils ont fait un nouveau coulis, & ont répeté cette opération jusqu’à cinq ou six fois. Après ce travail la terre ne peut qu’être exempte de tout acide. Mais combien toutes ces opérations ne rendent-elles pas la fabrication des terres chere & longue ? L’argille détrempée à ce point n’est pas de long-tems en état d’être composée & marchée ; je suis persuadé que six semaines ou deux mois suffiroient à peine pour mettre une battée[2] nécessaire & requise ; conséquemment pour préparer les terres absolument nécessaires, il faudroit des bâtimens inouis, une main-d’œuvre prodigieuse & des frais immenses.

Il me semble qu’il suffiroit de faire passer l’argille par deux ou trois eaux, sans en faire de coulis ; il faut au contraire, par les raisons énoncées ci-dessus, l’éviter autant qu’il est possible ; on y parviendra, en versant l’eau doucement, la faisant même passer au-travers d’un tamis pour qu’elle ne tombe pas toute au même point ; par ce moyen on ne causera aucune agitation dans la terre, & on ne lui donnera pas la moindre disposition à faire du coulis ; car on sait par expérience qu’on ne peut faire du coulis qu’en remuant & agitant la terre après qu’elle est fondue. La moindre quantité de terre dans la plus grande d’eau, tant qu’elle ne seroit pas agitée, ne feroit rien de plus que se fondre, & n’en deviendroit guere plus molle. On ne répandra donc sur la terre que l’eau qu’il faudra pour la couvrir en entier. Lorsque l’eau y aura passé un certain tems, on la décantera, & on y en mettra d’autre qu’on décantera encore ; & lorsqu’on aura fait deux ou trois fois cette opération, la terre sera encore dans un état propre à recevoir le ciment & à être marchée.

Lorsque l’on a à travailler de la terre remplie de pirites, on les sépare très-bien, en réduisant la terre en coulis. Les pirites se déposent au fond, & on décante le coulis dans d’autres vases où on le laisse déposer. Quoique cette opération entraîne, comme

  1. Coulis n’est autre chose que (si l’on peut s’exprimer ainsi) une teinture d’argille, un lait d’argille, en un mot, une petite quantité d’argille fondue dans une grande quantité d’eau.
  2. On appelle battée la quantité d’argille, qu’on peut marcher dans la même caisse.