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Vanhelmont au commencement du traité tartari vini historia : on donne au vin, ainsi qu’au vinaigre une odeur très-pénétrante & une saveur très-forte ; & en garantissant ces liqueurs concentrées d’une chaleur ou d’une agitation violente, elles résistent aux changemens des saisons, & peuvent durer des siecles.

Dans une année pluvieuse, non-seulement le vin est plus aqueux, mais encore l’humidité excessive du mout en augmentant la fermentation, produit un vin plus austere & plus acide. C’est par une raison semblable qu’on fait cuire le mout des vins de Malvoisie & de Crete, comme Bellon nous l’apprend ; ceux dont on n’auroit pas fait ainsi évaporer l’humidité superflue, ne pourroient passer la mer sans s’aigrir. De même en Espagne & dans les pays chauds, pour modérer la fermentation du mout, on en prend une partie, qu’on reduit par la coction au tiers ou au quart, évitant qu’elle ne contracte une odeur de brûlé, & on la distribue sur le reste du mout, pour y diminuer la proportion de l’humidité. C’est ainsi que les vins d’Hongrie ont une qualité spiritueuse moins piquante, & conservent très-long-tems leur douceur ; parce qu’on l’extrait avec des raisins qu’on a laissé à demi sécher sur leurs souches par l’ardeur du soleil, ou qu’on en fait chauffer le mout, jusqu’à le faire bouillir. Hofman, diss. de vini Hungarici natura, &c. n°.20. & in obs. chim.

Les vins gras se conservent beaucoup plus longtems que les vins clairs, mais ils peuvent être trop gras dans les années seches & hâtives, par la trop grande maturité du raisin. Il arrive alors que le vin se graisse, c’est-à-dire file quand on veut le vuider, comme s’il y avoit de l’huile ; c’est une maladie du vin, qui passe au-bout de quelques mois, même sans le déplacer : sans doute parce que la fermentation qui se renouvelle quand l’eau est séparée de l’huile, porte à la surface de la liqueur les parties terrestres & salines, & les recombine de nouveau avec les parties grasses ; ce qui confirme ma conjecture, c’est que le vin se dégraisse plutôt, lorsqu’on le met à l’air, qu’en le laissant dans la cave, & qu’on emploie pour le dégraisser de l’alun, du sable chaud, & autres ingrédiens qu’on ajoute avec le vin, en remuant & tournant le tonneau.

Rien n’est plus décisif pour la qualité des vins, que la rapidité ou la lenteur des progrès de la fermentation ; lorsqu’elle est trop impétueuse, ce qui arrive si la saison de la vendange est plus chaude qu’à l’ordinaire, il se forme dans la liqueur beaucoup de concrétions grossieres, ou de feces, elle devient foible & acide. Lorsque le vin a fermenté un tems convenable, il a un piquant sans acidité, qui est moins l’objet du goût, proprement dit, que du tact fin dans la langue, qu’il fait comme frémir légerement. Beccher conseille, pour rendre le vin plus fort, de le faire fermenter long-tems, c’est-à-dire lentement ; ce qu’on gagne par une fermentation lente, c’est d’empêcher l’éruption des vapeurs sulphureuses élastiques, qui s’exhalent de la liqueur. Stahl imagine que ces vapeurs enlevent beaucoup de substances spiritueuses, parce qu’elles approchent de la nature de l’air, de la même maniere que les vapeurs aqueuses, qui en sortant des éolipiles, peuvent souffler le feu ; mais il est plus simple de penser, comme il le dit aussi, que ces vapeurs sulphureuses sont nécessaires pour la mixtion des esprits du vin. En effet pour rendre le vin plus spiritueux, on y ajoute, tandis qu’il fermente, des aromates qui sont propres à réparer ses pertes par leurs parties volatiles, salines, & huileuses.

On se sert de différens moyens pour modérer la fermentation : on place le mout dans des lieux souterrains où le froid est tempéré ; on le met dans des

tonneaux dont la courbure & la forme contraignent les vapeurs sulphureuses à retomber plusieurs fois dans la liqueur qui les absorbe avant que de pouvoir s’échapper par le trou du bondon, & les oblige à se combiner avec l’eau ; c’est par le même principe qu’avant d’entonner la bierre, lorsque le levain est mûr, on frappe avec une longue perche sur la grosse écume qui se forme à la superficie, & on la fait rentrer dans la liqueur, ce qu’on appelle battre la guilloire. Voyez Brasserie.

Boerhaave assure que le mélange du blanc d’œuf empêche l’éruption des esprits du vin, & le fait fermenter plus long-tems. On parvient au même but, en couvrant la surface du moût d’esprit de vin, ou d’huile ; ce moût donne un vin beaucoup plus fort & plus agréable ; pour arrêter la fermentation des liqueurs, il suffit d’environner les vaisseaux qui les contiennent de vapeurs sulphureuses, qui pénétrent dans ces vaisseaux par les pores du bois : on n’aura pas de peine à se persuader cette pénétration, si l’on considere que le tonnerre fait tourner le vin, & que le cidre se fait mieux & se conserve plus long-tems dans les futailles où il y a eu depuis peu de l’huile d’olive.

Il ne nous reste plus qu’à parler de l’esprit de vin, dont nous n’avons pas encore traité pour ne pas interrompre ce que nous avions à dire sur le vin. Les principes exposés plus haut, semblent suffire pour l’explication des détails où nous ne pouvons entrer sur le vin : nous ajouterons seulement que si on vouloit reproduire une liqueur fermentée en mêlant tous les principes qu’on en retire, on n’y réussiroit pas ; ce qui prouve que ces principes ont souffert en se séparant une altération qui ne leur permet pas de se combiner de nouveau.

Esprit-de-vin. Deux sentimens partagent les chimistes sur l’origine de l’esprit-de-vin. Boerhaave croit qu’une portion déterminée de chaque matiere qui fermente, ne peut donner par la fermentation qu’une certaine quantité d’esprit ardent ; il remarque que le résidu d’une matiere dont on a enlevé l’esprit ardent, quoiqu’il ait conservé beaucoup d’huile, ne peut fermenter une seconde fois, ni donner de nouvel esprit, & qu’on ne peut retirer des esprits ardent du tartre, quoiqu’il renferme beaucoup d’huile inflammable & très-pénétrante. Ces observations sont autant d’inductions contre le sentiment de Beccher & de Stahl, qui regardent l’esprit-de-vin comme un produit de la fermentation.

Beccher préparoit avec du limon & des charbons un esprit insipide, qui étant mêlés à une certaine proportion d’esprit de vinaigre, se changeoit en esprit ardent. Stahl a regardé l’esprit-de-vin comme un résultat de la fermentation, dans lequel l’eau est intimement mêlée à l’huile par l’intermede d’un sel acide très-subtil. Il se fonde sur ce que les baies de genievre écrasées, dont on a ramolli le tissu muqueux dans une eau chargée de sel commun, étant exposées au feu, donnent assez d’huile tenue, & point d’esprit ardent : au-lieu que d’une égale quantité de ces baies qu’on a fait fermenter avec la levure de bierre, on ne retire plus, par la distillation, que fort peu d’huile, mais bien une quantité considérable d’esprit : on trouve la même chose dans le moût & dans la farine de froment exposée au feu avant & après la fermentation. Après avoir séparé l’huile des graines aromatiques, on en retire beaucoup moins d’esprit ardent : la présence de l’acide dans l’esprit-de-vin est démontrée, parce que tous les composés qui ne peuvent tourner à l’acide, ne donnent point d’esprit ardent, & parce que l’esprit-de-vin étant redistillé plusieurs fois sur du sel de tartre, ou des cendres gravelées, le résidu après l’évaporation fournit les mêmes crystaux que le sel de tartre joint à l’esprit