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les vins spiritueux, tant que ces liqueurs se conservent ; lorsqu’on les verse, on voit surnager une écume légere, qui est la marque d’une fermentation subite, & lorsqu’elles coulent aussi tranquillement que l’eau ou l’huile pure, elles sont sur le point de se gâter. Les corps gras & huileux ne renferment pas assez de sel & de terre dans leur mixtion. C’est pourquoi les vins qui sont plus huileux en Espagne & en Italie bouillent beaucoup moins que les vins des pays septentrionaux.

Le fermentation ne produit de chaleur spontanée que dans ces corps terreux, dont la substance grasse est pour la plus grande partie épaisse & bitumineuse. Mais le mouvement intestin dont est agitée une liqueur qui fermente, quelque fort qu’il soit, n’est pas plus favorable à l’atténuation des molécules de cette liqueur, qu’à leur complication. Il reste donc à considerer les nouvelles combinaisons que la fermentation fait naître des principes qu’elle a divisés.

La partie grasse résineuse d’une liqueur qui fermente, comme plus mobile, forme d’abord à la surface une croute, ou naissent de tems-en-tems des crevasses, qui sont aussi-tôt réparées. Cette croûte contribue à rendre la fermentation plus parfaite. Elle est enfin entrainée au fond par l’écume & les floccons de poussiere qui s’y attachent durant la forte agitation de la liqueur, après que le bouillonnement en a dissout les parties huileuses. La substance grasse & la tartareuse entrent dans la composition des feces, qui sont néanmoins formées principalement des parties les plus terrestres de la liqueur qui fermente, lorsque ces parties terrestres sont séparées des parties salines, & empêchées de s’y rejoindre par l’esprit vineux.

Cet esprit, à-mesure qu’il se forme par l’intermede de ses parties grasses, enveloppe les parties terreuses de la liqueur, & émousse les acides. Ainsi le vin, qui en commençant à fermenter a une acidité austere, étonne les dents, & ronge même les métaux les moins solubles, s’adoucit dans la suite, & il est bien plutôt mitigé par l’addition de l’esprit-de-vin pur (en observant néanmoins avec Beccher qu’une trop grande quantité d’esprit-de-vin ajoutée, arrêteroit la fermentation). Dans la préparation que faisoit Beccher de ce qu’il appelloit la substance moyenne du vin, le tartre étoit précipité par le même principe. On sait que les acides minéraux dulcifiés par l’esprit-de-vin ont beaucoup moins de prise sur les terres ; & que cet esprit rectifié étant versé sur une dissolution de vitriol, précipite un très-grand nombre de parties vitrioliques sous une forme crystalline.

Il est remarquable que la lie a une consistence épaisse & mucilagineuse, tant qu’elle renferme dans sa mixtion le vin ou la substance spiritueuse ; mais dès que cette substance est détachée par coction, la lie devient assez liquide, & après avoir été exprimée, elle donne par la distillation de l’esprit volatil, ou du sel urineux, & beaucoup d’huile. Par une seconde coction on en retire un tartre fort blanc & fort pur.

La mixtion vineuse est accomplie dans le mout qui a fermenté par la précipitation de la lie. La séparation de ce marc salin, gras & limoneux laisse une liqueur qui a un goût légérement acide, pénétrant, qu’on trouve moins épaisse au goût & au tact, & qui a acquis beaucoup de transparence & de fluidité.

La transparence des vins en assure la durée ; étant trop épais, ils moisissent facilement, sur-tout les vins nouveaux, qu’on ne soutire pas assez tôt au printems de la lie qui s’en est séparée pendant l’hiver. D’un autre côté les vins qu’on soutire trop tôt dégénerent aisément, s’ils ne sont assez forts ; parce que la lie, qui a les mêmes principes que le vin, est un sédiment

ménagé par la nature, pour que cette liqueur en y puisant répare les pertes qu’elle fait par l’évaporation, tandis qu’elle fermente encore.

La lie ne donne point de sel volatil urineux qu’après avoir été exposée à l’action du feu, ou à la putréfaction. Ce sel urineux ne pourroit subsister dans la lie séparément de l’acide du tartre ; leur union formeroit un sel soluble, qui seroit entraîné par l’eau : mais on ne retire de la lie du vin qu’un sel acide tartareux, dont la fermentation dégage une grande quantité dans les substances végétales, où il existoit déjà tout formé. De plus Stahl a rendu très-probable que la fermentation en produit beaucoup de tout pareil ; puisque la combinaison d’eau & de terre qui a produit ce sel naturel dans les raisins, voyez Sel, semble avoir été le résultat d’un mouvement de fermentation. En effet, il ne paroît pas que ce sel ait été rapporté dans le fruit par les racines de la vigne, puisqu’il auroit été plutôt absorbé par la terre poreuse du vignoble. Il n’est pas vraissemblable qu’il y ait pénétré en forme de vapeurs, ni qu’il ait été reçu de l’atmosphere par imbibition, puisqu’on voit souvent paroître après un mois de tems sec une quantité prodigieuse de raisins qui sont très acides, avant que d’être mûrs.

On ne peut douter que ce sel n’ait pénétré par les racines de la vigne, malgré la qualité poreuse & absorbante du terroir qu’oppose Stahl ; puisqu’il y a apparence que l’huile suit cette route, quoiqu’elle soit un mixte plus composé & moins pénétrant que l’eau. En effet ; on a observé que la trop grande quantité de fumier dans un vignoble, rend le vin mol & fade, & facile à graisser. On est parvenu à faire prendre à un sep de vigne l’odeur de l’anis. Un bon vin de Moselle doit avoir le goût de l’ardoise, parce qu’on engraisse les vignes qui donnent ces vins avec des ardoises, qu’on a laissé exposées à l’air, jusqu’à ce qu’elles fussent reduites à une espece d’argile ou de terre grasse. Les vignobles d’Hocheim auprès de Mayence enferment dans leur sein des charbons fossilles, qui peuvent être cause que les vins de ce terroir approchent du succin par le goût & par l’odeur. Loffman, diss. de naturâ vini Rhenani, n°. 24. Les brasseurs ont trouvé que l’orge venu dans les champs couverts de fumier de brebis, produit une biere, dont la senteur & le goût sont extraordinaires & vicieux, principalement si le fumier de champ a été mêlé avec des excrémens humains, comme on le pratique en quelques endroits. Voyez là-dessus Kenkel de appropriatione, p. 89. l’acide du tartre, dont la consistence est seche, & qui est difficilement soluble dans l’eau, est le dernier produit que développe la fermentation vineuse. Le vin du Rhin ne pose du tartre sur les parois des vaisseaux qui le contiennent, qu’après qu’il a laissé tomber au fond la lie muqueuse & terrestre. Les vins. d’Espagne ne laissent point de tartre dans leurs vaisseaux, parce qu’il est enveloppé dans ces vins d’une trop grande quantité de substance huileuse & tenace.

Le degré de consistance qui est propre à chaque liqueur fermentée, dépend de l’union de ces principes, & du concours du principe aqueux qui se combine intimément avec eux, après avoir été l’instrument de la fermentation. C’est pourquoi on ne pourroit enlever toute l’humidité que renferment le vin & le vinaigre, sans altérer extrémement ces liqueurs, quoiqu’on pût en retirer ensuite de la lie, du tartre, de l’esprit ardent avec son phlegme essentiel.

Les vins des pays humides sont chargés d’une eau plus abondante, qu’il n’est nécessaire pour étendre leurs principes. On les dépouille de cette eau superficielle en les concentrant par la gelée ; par ce procédé dont Stahl passe pour l’inventeur, mais qui est connu depuis long-tems, comme on peut voir dans