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gueur, d’une vésicule assez épaisse & remplie d’un suc jaunâtre, transparent & médiocrement liquide ; il y a au milieu de cette vésicule sous la grosse dent, plusieurs petites dents crochues, les unes plus longues que les autres & qui servent à remplacer les grosses dents, soit qu’elles tombent d’elles mêmes ou accidentellement : celles ci ont environ 2 lignes de longueur ; elles sont crochues, blanches, creuses, diaphanes & très-pointues ; ses grosses dents restent ordinairement couchées le long de la mâchoire, & leur pointe ne paroît qu’au moment où la vipere veut mordre ; alors elle les redresse & les enfonce dans sa proie. Le venin pénetre dans la plaie que fait la vipere en mordant, en passant par le canal intérieur de la dent ; les glandes qui le filtrent sont situées à la partie postérieure de chaque orbite & à la même hauteur que l’œil, elles sont petites & jointes ensemble, elles forment un corps de la grosseur de l’œil & s’étendent en longueur dans l’orbite au-dessous, & en partie derriere l’œil ; chaque glande a un vaisseau qui communique dans la vésicule de la gencive & qui aboutit à la racine de la grosse dent. Mém. de l’acad. royale des Scienc. tom. III. part. II. Voyez Serpent.

Personne n’ignore combien la morsure des viperes est dangereuse, ainsi que celle des serpens qui ne sont proprement que des viperes de différentes especes. Le remede le plus assuré que l’on ait trouvé jusqu’ici contre leurs morsures, est l’eau de luce, c’est-à-dire un alkali volatil très-pénétrant combiné avec le succin ; on en met dix gouttes dans un verre d’eau que l’on fera prendre à plusieurs reprises à la personne qui aura été mordue, qui se couchera dans un lit bien bassiné, où elle éprouvera une transpiration très-forte, qui fera disparoître les accidens. Cette découverte est dûe à M. Bernard de Jussieu, qui en a fait l’expérience avec beaucoup de succès.

Vipere, (Pharm. Mat. med.) vipere de notre pays ou commune ; c’est une des matieres animales les plus usitées en Médecine. Les anciens médecins ont regardé la vipere comme un aliment médicamenteux, dont le long usage étoit très-utile, presque spécifique contre plusieurs maladies chroniques, opiniâtres, & notamment contre les maladies de la peau. Pline rapporte, qu’Antonius Musa, médecin d’Auguste, avoit guéri par l’usage des décoctions de vipere, des ulceres qui passoient pour incurables.

Les viperes sont principalement consacrées encore aujourd’hui aux maladies de la peau ; elles sont regardées comme excitant principalement l’excrétion de cet organe, & comme le délivrant par-là de certains sucs malins qui sont censés l’infecter & causer la plûpart de ces maladies. Elles sont regardées encore, comme purifiant le sang & comme chassant le venin, soit celui des animaux vénéneux, soit celui des fievres malignes, &c. ce qui est une autre conséquence de l’opinion qu’on a de leurs qualités sudorifiques. Comme l’exercice de cette derniere propriété n’existe point sans que le mouvement du sang soit augmenté & que la vipere d’ailleurs est évidemment alimenteuse ; c’est encore une suite nécessaire de cette opinion, qu’elle soit regardée comme cordiale & analeptique.

La vipere se donne ordinairement en substance ou en décoction, de l’une & de l’autre maniere sous diverses formes pharmacéutiques dont nous parlerons dans la suite de cet article. Il est écrit dans les livres de médecine, & la tourbe ne manque pas de répéter que ces remedes font suer, échauffent, donnent même la fievre, qu’on est souvent obligé d’en suspendre & même d’en supprimer l’usage, &c. mais il est écrit aussi, & le même ordre de médecins répete que la vipere contient beaucoup de sel volatil, ce qui est démonstrativement faux, qu’elle abonde en es-

prits, expression qui très-évidemment n’est qu’un

vain son, &c. ainsi en évaluant la premiere assertion par ce qu’on connoît clairement de la derniere dont elle est très-vraissemblablement déduite, on peut en bonne logique réputer absolument pour rien le témoignage de ces auteurs & de ces médecins : reste à consulter l’expérience. J’avoue que je n’ai jamais eu assez de foi aux prétendues vertus de la vipere pour l’ordonner fréquemment ; je proteste cependant avec sincérité, sanctè affirmo, que je l’ai donnée quelquefois & vû donner un plus grand nombre, & que je n’ai pas observé ces prétendues vertus ; mais je crois que le lecteur doit suspendre son jugement & s’en rapporter à des expériences ultérieures & contradictoires, c’est-à-dire faites par des gens qui ne se seront pas mis d’avance dans la tête, que les viperes chassent le venin & font suer. Au reste, quoiqu’ils soit très-vrai que la prétendue abondance de sel volatil & d’esprits ne sauroit produire ces vertus dans la vipere, puisque ces principes sont purement imaginaires ; quoi qu’il soit très-vraissemblable encore que ces vertus n’ont été imaginées que parce que on les a déduites par une conséquence très-fausse & très-précaire de la vertu sudorifique, de la qualité incendiaire que possede réellement l’alkali volatil retiré de la vipere par le feu chimique ; cependant il est très-possible que les viperes animent, échauffent, fassent suer, donnent la fievre ; il est seulement très-raisonnable d’en douter, par le soupçon très-légitime que nous venons d’exposer. Quoi qu’il en soit, les formes ordinaires sous lesquelles on administre la vipere sont celles de bouillon, soit préparé à la maniere commune avec des racines & herbes appropriées, soit préparées au bain-marie.

Cette derniere préparation, qui est la plus usitée parce qu’elle est la plus élégante, & qu’on croit par ce moyen mieux retenir les parties volatiles précieuses, se fait ainsi.

Bouillon de vipere. Prenez une vipere en vie, rejettez-en la tête & la queue ; écorchez-la & éventrez-la, & coupez-la par morceaux, que vous mettrez dans un vaisseau convenable, avec le cœur, le foie & le sang que vous aurez conservé, & avec douze onces d’eau commune, & si vous voulez quelques plantes ou racines, selon l’indication. Fermez exactement votre vaisseau, & faites cuire au bain-marie pendant sept à huit heures. La pharmacopée de Paris dit trois ou quatre, mais ce n’est pas assez : passez avec une légere expression.

On prépare encore une gelée de vipere, en faisant cuire une certaine quantité de viperes récemment écorchées & éventrées, dans suffisante quantité d’eau, au degré bouillant pendant cinq ou six heures, en clarifiant & filtrant la décoction, l’évaporant au bain-marie, & la faisant prendre dans un lieu froid.

La poudre de vipere se prépare ainsi. Prenez des troncs, des cœurs & des foies de viperes, sechés selon l’art (Voyez Dessication.) & coupés par petits morceaux ; réduisez-les sur le champ en poudre selon l’art, & par un tems sec ; enfermez-la dans une bouteille bien seche, que vous boucherez exactement, car l’humidité de l’air corrompt facilement cette poudre.

Les trochisques de vipere, appellés aussi trochisci theriaci, se préparent de la maniere suivante. Prenez de la chair de viperes choisies, dont vous aurez séparé les têtes, les queues, que vous aurez écorchées & éventrées ; faites cuire cette chair dans suffisante quantité d’eau, avec de l’aneth verd & du sel, jusqu’à ce qu’elle se soit séparée des épines ; prenez-en huit onces ; battez-la dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, en y jettant peu-à-peu 2 onces & demie de mie de pain de froment très-blanc, séchée