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verses & du vrai sens de l’Ecriture. Voyez Eglise, Pape, & Infaillibilité.

II. Sur le péché originel, la grace, & la prédestination. Le second pas de nos sectaires n’a pas été un acte de rébellion moins éclatant ; ne voulant point par un aveuglement qu’on ne peut trop déplorer, s’en tenir aux sages décisions de l’église, ils ont osé examiner ce qu’elle avoit prononce sur le péché originel, la grace, & la prédestination, & porter un œil curieux sur ces mysteres inaccessibles à la raison. On peut bien croire qu’ils se sont débattus long-tems dans ces ténebres, sans avoir pu les dissiper ; mais pour eux ils prétendent avoir trouvé dans le pélagianisme, & le sémi-pélagianisme le plus outre, le point le plus près de la vérité ; & renouvellant hautement ces anciennes hérésies, ils disent :

Que la doctrine du péché originel imputé & inhérent, est évidemment impie.

Que Moïse n’a jamais enseigné ce dogme, qui fait Dieu injuste & cruel, & qu’on le cherche envain dans ses livres.

Que c’est à S. Augustin que l’on doit cette doctrine qu’ils traitent de désolante & de préjudiciable à la religion.

Que c’est lui qui l’a introduite dans le monde où elle avoit été inconnue pendant l’espace de 4400 ans ; mais que son autorité ne doit pas être préférée à celle de l’Ecriture, qui ne dit pas un mot de cette prétendue corruption originelle ni de ses suites.

Que d’ailleurs quand on pourroit trouver dans la bible quelques passages obscurs qui favorisassent ce système, ce qui, selon eux, est certainement impossible, quelque violence que l’on fasse au texte sacré, il faudroit nécessairement croire que ces passages ont été corrompus, interpolés, ou mal traduits : « car, disent-ils, il ne peut rien y avoir dans les Ecritures que ce qui s’accorde avec la raison : toute interprétation, tout dogme qui ne lui est pas conforme, ne sauroit dès lors avoir place dans la théologie, puisqu’on n’est pas obligé de croire ce que la raison assure être faux »

Ils concluent de là :

Qu’il n’y a point de corruption morale, ni d’inclinations perverses, dont nous héritions de nos ancêtres.

Que l’homme est naturellement bon.

Que dire comme quelques théologiens, qu’il est incapable de faire le bien sans une grace particuliere du S. Esprit, c’est briser les liens les plus forts qui l’attachent à la vertu, & lui arracher, pour ainsi dire, cette estime & cet amour de soi ; deux principes également utiles, qui ont leur source dans la nature de l’homme, & qu’il ne faut que bien diriger pour en voir naître dans tous les tems, & chez tous les peuples, une multitude d’actions sublimes, éclatantes & qui exigent le plus grand sacrifice de soi-même.

Qu’en un mot c’est avancer une maxime fausse, dangereuse, & avec laquelle on ne fera jamais de bonne morale.

Ils demandent pourquoi les Chrétiens auroient besoin de ce secours surnaturel pour ordonner leur conduite selon la droite raison, puisque les Payens par leurs propres forces, & sans autre regle que la voix de la nature qui se fait entendre à tous les hommes, ont pu être justes, honnêtes, vertueux, & s’avancer dans le chemin du ciel ?

Ils disent que s’il n’y a point dans l’entendement, des ténebres si épaisses que l’éducation, l’étude & l’application ne puissent dissiper, point de penchans vicieux ni de mauvaises habitudes que l’on ne puisse rectifier avec le tems, la volonté & la sanction des lois, il s’ensuit que tout homme peut sans une grace interne atteindre dès ici-bas une sainteté parfaite.

Qu’un tel secours détruiroit le mérite animal de ses œuvres, & anéantiroit non pas sa liberté, car ils prétendent que cette liberté est une chimere, mais la spontanéité de ses actions.

Que bien loin donc que l’homme sage puisse raisonnablement s’attendre à une telle grace, il doit travailler lui-même à se rendre bon, s’appuyer sur ses propres forces, vaincre les difficultés & les tentations par ses efforts continuels vers le bien, dompter ses passions par sa raison, & arrêter leurs emportemens par l’étude ; mais que s’il s’attend à un secours surnaturel, il périra dans sa sécurité.

Qu’il est certain que Dieu n’intervient point dans les volontés des hommes par un concours secret qui les fasse agir.

Qu’ils n’ont pas plus besoin de son secours ad hoc que de son concours pour se mouvoir, & de ses inspirations pour se déterminer.

Que leurs actions sont les résultats nécessaires des différentes impressions que les objets extérieurs font sur leurs organes & de l’assemblage fortuit d’une suite infinie des causes, &c. Voyez Péché originel, Grace, &c.

A l’égard de la prédestination, ils prétendent :

Qu’il n’y a point en Dieu de decret par lequel il ait prédestiné de toute éternité ceux qui seront sauvés & ceux qui ne le seront pas.

Qu’un tel decret, s’il existoit, seroit digne du mauvais principe des Manichéens.

Ils ne peuvent concevoir qu’un dogme, selon eux, si barbare, si injurieux à la divinité, si révoltant pour la raison, de quelque maniere qu’on l’explique, soit admis dans presque toutes les communions chrétiennes, & qu’on y traite hardiment d’impies ceux qui le rejettent, & qui s’en tiennent fermement à ce que la raison & l’Ecriture sainement interprétée leur enseignent à cet égard. Voyez Prédestination & Décret, où l’on examine ce que S. Paul enseigne sur cette matiere obscure & difficile.

III. Touchant l’homme & les sacremens. En voyant les Unitaires rejetter aussi hardiment les dogmes ineffables du péché originel, de la grace & de la prédestination, on peut bien penser qu’ils n’ont pas eu plus de respect pour ce que l’Eglise & les saints conciles ont très-sagement détermine touchant l’homme & les sacremens. L’opinion de nos sectaires à cet égard peut être regardée comme le troisieme pas qu’ils ont fait dans la voie de l’égarement ; mais ils n’ont fait en cela que suivre le sentiment de Socin qui leur a servi de guide. Je fais cette remarque, parce qu’ils n’ont pas adopté sans exception les sentimens de leur chef, nulle secte ne poussant plus loin la liberté de penser, & l’indépendance de toute autorité. Socin dit donc :

Que c’est une erreur grossiere de s’imaginer que Dieu ait fait le premier homme revêtu de tous ces grands avantages que les Catholiques, ainsi que le gros des Réformés, lui attribuent dans son état d’innocence, comme sont la justice originelle, l’immortalité, la droiture dans la volonté, la lumiere dans l’entendement, &c. & de penser que la mort naturelle & la mortalité sont entrées dans le monde par la voie du péché.

Que non-seulement l’homme avant sa chûte n’étoit pas plus immortel qu’il ne l’est aujourd’hui, mais qu’il n’étoit pas même véritablement juste, puisqu’il n’étoit pas impeccable.

Que s’il n’avoit pas encore péché, c’est qu’il n’en avoit pas eu d’occasion.

Qu’on ne peut donc pas affirmer qu’il fût juste, puisqu’on ne sauroit prouver qu’il se seroit abstenu de pécher, s’il en eût eu l’occasion, &c.

Pour ce qui regarde les sacremens, il prétend :

Qu’il est évident pour quiconque veut raisonner sans préjugés, qu’ils ne sont ni des marques de con-