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intérêt ; merces est l’intérêt que l’on retiroit du capital ; exsecare, signifie déduire les interêts par avance.

Fuffidius dont parle Horace, donnoit, par exemple, cent écus pour un mois, c’étoit le capital, & au bout d’un mois son débiteur devoit lui rendre cent cinq écus, ainsi l’intérêt étoit de cinq pour cent. Mais afin de s’assurer davantage du profit de son argent, il se payoit d’avance par ses mains, & ne donnoit que quatre-vingt-quinze écus, en tirant de son débiteur une obligation de la somme de cent écus payable à la fin du mois ; de sorte qu’il se trouvoit que dans l’espace de vingt mois, l’intérêt égaloit le capital. Cette usure étoit criante, puisqu’elle étoit quatre fois plus forte que le denier courant, qui étoit de douze pour cent par an, c’est-à-dire d’un par mois. L’intérêt permis & ordinaire revient à peu près au denier huit, selon notre maniere de compter, on l’appelloit usura centesima, parce que le capital se trouvoit doublé à la fin du centieme mois, c’est-à-dire, huit ans quatre mois. Voyez Usura centesima.

Cette même usure centesime étoit aussi nommée as usura, & as tout court, parce que toutes les autres usures moindres tiroient d’elle leur qualification, & en étoient comme les parties ; c’est ce que nous allons expliquer.

Usura semis ou semis, étoit lorsqu’on payoit par mois la moitié de ce centieme, demi pour cent par mois, six pour cent par an ; c’est environ le denier dix-sept.

Bes, lorsqu’on payoit les deux tiers de ce centieme par mois ; c’est huit pour cent par an, le denier douze.

Quadrans, lorsqu’on payoit par mois le quart de ce centieme, trois pour cent par an ; le denier trente-trois.

Quincunx, lorsqu’on payoit par mois un cinquieme de ce centieme, environ deux & demi pour cent par an, qui est notre denier quarante.

Triens, lorsqu’on payoit par mois le tiers de ce centieme, quatre pour cent par an, le denier vingt-cinq.

Sextans, lorsqu’on payoit par mois le sixieme de ce centieme, deux pour cent par an, le denier cinquante.

Enfin usura unciaria, lorsqu’on ne payoit par mois que la douzieme partie de ce centieme, un pour cent par an.

La loi des douze tables avoit défendu l’usure à un denier plus haut, ne quis unciario fœnore ampliùs exerceret. On diminua encore cette usure de moitié, car on la fit semiunciariam, c’est le denier deux cens par an ; mais tantôt la rareté de l’argent qui étoit sur la place, tantôt la facilité des juges qui connoissoient de l’usura, tantôt les besoins pressans des particuliers, & toujours l’avarice des usuriers habiles à profiter de toutes les conjonctures, rendoient inutiles toutes les lois, & l’usure demeuroit presque arbitraire.

Elle étoit peu réglée du tems de Cicéron : fœnus, dit-il à Atticus, ex triente idibus factum erat bessibus. « L’usure avoit monté tout-d’un-coup le jour des ides du tiers au deux tiers ». C’est-à-dire, que du denier vingt-cinq, elle étoit montée au denier douze ; ce qu’il dit-là bessibus, il le dit ailleurs, geminis trientibus. C’est dans le deuxieme livre des lettres à Quintus, idibus quintilibus fœnus fuit geminis trientibus. Aux ides de Juillet, l’usure étoit au deux tiers, au denier douze. Quelquefois elle étoit au semis : omninó semissibus magna copia est, dit-il à Sextius. On trouve de l’argent tant qu’on veut à la moitié ; c’est-à-dire, à la moitié du centieme par mois, à six pour cent par an. Quelquefois on la portoit au plus haut denier, au centieme par mois ; à Cæcilio, dit-il à Atticus, nummum moveri ne à proprinquis quidem minore centesimis posse. On ne peut arracher un sol à Cœcilius, non pas

même ses plus proches, à un moindre intérêt qu’à un pour cent par mois. (D. J.)

Usura centesimis, (Droit romain.) intérêt à un pour cent par mois ; on payoit chez les Romains les intérêts par mois, & non par année comme nous faisons ; ainsi c’étoit le centieme de la somme chaque mois, que désignoit le mot usura centesimis, & par conséquent douze pour cent au bout de l’an. Cette usure étoit exorbitante & contraire à la loi des douze tables, confirmée long-tems après que les tribuns eurent réglé les usures à un pour cent par an, ce qui s’appelloit unciarium fœnus.

Tacite, liv. V. de ses annales, parle ainsi de l’usure. Le profit particulier, dit-il, renversa le bien de l’état. L’usure est un des plus anciens maux de la république ; c’est pourquoi on a fait tant de lois pour la réprimer, dans le tems même où les mœurs étoient moins corrompues ; car premieremant par la loi des douze tables il étoit défendu de prêter à plus haut intérêt qu’au denier huit. Cet intérêt même fut réduit depuis au denier seize à la requête des tribuns. Le peuple fit ensuite plusieurs decrets pour empêcher les fourberies qui se commettoient en ce genre ; mais quelques réglemens qu’on pût faire, l’avarice des hommes trouvoit toujours de nouveaux moyens pour les éluder. (D. J.)

USURAIRE, adj. (Gram. & Jurisp.) se dit de ce qui est infecté du vice d’usure, comme un contrat usuraire, une clause & condition usuraire. V. Anticreze, Contrat pignoratif, Denier, Intérêts, & ci-après les mots Usure & Usurier. (A)

USURE, s. f. (Morale.) Usure légale ou intérêt légitime. La question de l’usure, quoique traitée avec beaucoup de subtilité par les Théologiens & par les Jurisconsultes, paroît encore jusqu’ici en quelque sorte indécise ; il paroît même, quand on l’approfondit, qu’on a plus disputé sur les termes que sur les idées, & qu’on a presque toujours manqué le but qu’on se proposoit ; je veux dire la découverte de la vérité. Cependant cette question également intéressante pour le commerce de la vie & pour la paix des consciences, mérite autant ou plus qu’une autre une discussion philosophique, où la raison ait plus de part que l’opinion ou le préjugé. C’est aussi pour remplir cette vue & dans l’espérance de répandre un nouveau jour sur cette matiere importante, que j’ai entrepris cet article.

Plusieurs pratiques dans la Morale sont bonnes ou mauvaises, suivant les différences du plus ou du moins, suivant les lieux, les tems, &c. Qui ne sait, par exemple, que les plaisirs de la table, les tendresses de l’amour, l’usage du glaive, celui des tortures ; qui ne sait, dis-je, que tout cela est bon ou mauvais suivant les lieux, les tems, les personnes, suivant l’usage raisonnable, excessif ou déplacé, qu’on en fait ? Je crois qu’il en est de même du commerce usuraire.

Usura chez les Latins signifioit au sens propre l’usage ou la jouissance d’un bien quelconque. Natura, dit Cicéron, dedit usuram vitæ tanquam pecuniæ, Tusc. lib. I. n°. 39. Usura désignoit encore le loyer, le prix fixé par la loi pour l’usage d’une somme prêtée ; & ce loyer n’avoit rien d’odieux, comme le remarque un savant jurisconsulte, il n’y avoit de honteux en cela que les excès & les abus ; distinction, dit-il, que les commentateurs n’ont pas sentie, ou qu’ils dissimulent mal-à-propos. Certè verbum usura non est fœdum, sed non habere usuræ modum & honestam rationem est turpissimum ; quod commentatores non intelligunt, aut calumniosè dissimulant. Oldendorp. lexic. jurid. Calvini, verbo usuram, p. 691. col. 1. in-fol. Genevæe 1653.

Pour moi, je regarde l’usure comme une souveraine qui régnoit autrefois dans le monde, & qui de-