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Le sceptre du double mont.
Là, d’un Dieu fier & barbare,
Orphée adoucit les lois ;
Ici le divin Pindare
Charme l’oreille des rois ;
Dans de douces promenades,
Je vois les folles Ménades,
Rire au-tour d’Anacréon,
Et les nymphes plus modestes
Gémir des ardeurs funestes
De l’amante de Phaon.

Enfin, toutes les ombres de ceux dont la touche pathétique savoit passionner les cœurs ; tous ceux qui entraînoient les grecs au théatre, pour les frapper des grands traits de la morale, ainsi que tous ceux qui ont mélodieusement réveillé la lyre enchanteresse, s’offrent à moi tour-à-tour.

Société divine, ô vous les prémices d’entre les mortels, ne dédaignez pas m’inspirer dans les jours que je vous consacre ! Faites que mon ame prenne l’essor, & puisse s’élever à des pensées semblables aux vôtres ! Et toi, silence, puissance solitaire, veille à ma porte ; éloigne tout importun qui voudroit me dérober les heures que je destine à cette étude ? N’excepte qu’un petit nombre d’amis choisis, qui daigneront honorer mon humble toit, & y porter un sens pur, un savoir bien digéré, une fidélité extrème, une ame honnête, un esprit sans artifice, & une humeur toujours gaie.

Présent des dieux, doux charme des humains,
O divine amitié, viens pénétrer nos ames ;
Les cœurs éclairés de tes flammes,
Avec des plaisirs purs, n’ont que des jours serains !
C’est dans tes nœuds charmans, que tout est jouissance ;
Le tems ajoute encore un lustre à ta beauté ;
L’amour te laisse la constance ;
Et tu serois la volupté
Si l’homme avoit son innocence.

Entourés de mortels dignes de toi, je voudrois passer avec eux & les jours sombres de l’hiver, & les jours brillans de l’année.

Nous discuterions ensemble, si les merveilles infinies de la nature furent tirées du cahos, ou si elles furent produites de toute éternité par l’esprit éternel. Nous rechercherions ses ressorts, ses lois, ses progrès & sa fin. Nous étendrions nos vues sur ce bel assemblage ; nos esprits admireroient l’étonnante harmonie qui unit tant de merveilles. Nous considérerions ensuite le monde moral, dont le désordre apparent est l’ordre le plus sublime, préparé & gouverné par la haute sagesse qui dirige tout vers le bien général.

Nous découvririons peut-être en même tems, pourquoi le mérite modeste a vécu dans l’oubli, & est mort négligé ; pourquoi le partage de l’honnête homme dans cette vie fut le fiel & l’amertume ; pourquoi la chaste veuve & les orphelins dignes d’elle, languissent dans l’indigence, tandis que le luxe habite les palais, & occupe ses basses pensées à forger des besoins imaginaires ; pourquoi la vérité, fille du ciel, tombe si souvent flétrie sous le poids des chaînes de la superstition ; pourquoi l’abus des lois, cet ennemi domestique, trouble notre repos, & empoisonne notre bonheur…… ?

D’autres fois la sage muse de l’histoire nous conduiroit à-travers les tems les plus reculés, nous feroit voir comment les empires s’accrurent, déclinerent, tomberent & furent démembrés. Nous développerions sans doute les principes de la prospérité des nations. Comment les unes doublent leur sol par les miracles de l’agriculture & du commerce, & changent par l’industrie, les influences d’un ciel

peu favorable de sa nature, tandis que d’autres languissent dans les climats les plus brillants & les plus heureux. Cette étude enflammeroit nos cœurs, & éclaireroit nos esprits de ce rayon de la divinité, qui embrase l’ame patriotique des citoyens & des héros.

Mais si une humble & impuissante fortune, nous force à reprimer ces élans d’une ame généreuse ; alors supérieure à l’ambition même, nous apprendrons les vertus privées, nous parcourrons les plaisirs d’une vie douce & champêtre ; nous saurons comment on passe dans les bois & dans les plaines des momens délicieux. Là, guidés par l’espérance dans les sentiers obscurs de l’avenir, nous examinerons avec un œil attentif les scenes de merveilles, où l’esprit dans une progression infinie, parcourt les états & les mondes. Enfin pour nous délasser de ces pensées profondes, nous nous livrerons dans l’occasion aux saillies de l’imagination enjouée, qui sait peindre avec rapidité, & effleurer agréablement les idées.

Les villes dans cette saison fourmillent de monde. Les assemblées du soir où l’on traite mille sujets divers, retentissent d’un bourdonnement formé du mélange confus de différens propos, dont on ne tire aucun profit. Les enfans de la débauche s’abandonnent au torrent rapide d’une fausse joie qui les conduit à leur destruction. La passion du jeu vient occuper l’ame empoisonnée par l’avarice ; l’honneur, la vertu, la paix, les amis, les familles & les fortunes, sont par-là précipitées dans le gouffre d’une ruine totale.

Les salles des appartemens de réception sont illuminées avec art, & c’est-là que le petit maître, insecte hermaphrodite & léger, brille dans sa parure passagere, papillonne, mord en volant, & secoue des aîles poudrées.

Ailleurs, la pathétique Melpomene, un poignard à la main, tient dans le saisissement une foule de spectateurs de l’un & de l’autre sexe. Tantôt c’est Atrée qui me fait frissonner.

Ce monstre que l’enfer a vomi sur la terre,
N’assouvit la fureur dont son cœur est épris,
Que par la mort du pere après celle du fils.
A travers les détours de son ame parjure,
Se peignent des forfaits dont fremit la nature ;
Le barbare triomphe en de funestes lieux,
Dont il vient de chasser, & le jour & les dieux.

D’autrefois c’est le sort d’Iphigénie qui me perce le cœur, & coupe ma respiration par des sanglots.

On saisit à mes yeux cette jeune princesse.
Eh, qui sont les bourreaux ? tous ces chefs de la Grece,
Ulysse..... Mais Diane a soif de ce beau sang :
Il faut donc la livrer a Calchas qui l’attend.
L’aimable Iphigénie au temple est amenée,
Et d’un voile aussi-tôt la victime est ornée ;
Tout un grand peuple en pleurs s’empresse pour la voir ;
Son pere est auprès d’elle outré de désespoir.
Un prêtre sans frémir, couvre un fer d’une étole ;
A ce spectacle affreux, elle perd la parole,
Se prosterne en tremblant, se soumet à son sort,
Et s’abandonne en proie aux horreurs de la mort.
Helas ! que lui sert-il à cette heure fatale,
D’être le premier fruit de la couche royale ;
On l’enleve, on l’entraîne, on la porte à l’autel,
Où, bien loin d’accomplir un hymen solemnel,
Au lieu de cet hymen sous les yeux de son pere,
Calchas en l’immolant à Diane en colere,
Doit la rendre propice au départ des vaisseaux ;
Tant la religion peut enfanter de maux !
Il n’est point de pitié, l’oracle seule commande :