Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lyon, Moulins, Tours, Laval, Nantes, & d’autres villes.

2°. Que les embarras & même les accidens causés par les gros bestiaux dans les rues de la ville, semblent l’exiger.

3°. Que ce projet s’accorde avec l’intérêt & la commodité du Boucher & du public : du Boucher, à qui il en coûteroit moins pour sa quotité dans une tuerie publique, que pour son loyer d’une tuerie particuliere : du public, qui se ressentiroit sur le prix de la viande de cette diminution de frais.

4°. Qu’il est desagréable de laisser une capitale infectée par des immondices & du sang qui en corrompent l’air, & la rendent mal saine, & d’un aspect dégoûtant.

Malgré la justesse de ces observations, je croi que dans une grande ville sur-tout, il faut que les boucheries & les tueries soient dispersées. On peut en apporter une infinité de raisons : mais celle qui me frappe le plus, est tirée de la tranquillité publique. Chaque Boucher a quatre garçons ; plusieurs en ont six : ce sont tous gens violens, indisciplinables, & dont la main & les yeux sont accoûtumés au sang. Je croi qu’il y auroit du danger à les mettre en état de se pouvoir compter ; & que si l’on en ramassoit onze à douze cents en trois ou quatre endroits, il seroit très-difficile de les contenir, & de les empêcher de s’entrassommer : mais le tems amene même des occasions où leur fureur naturelle pourroit se porter plus loin. Il ne faut que revenir au regne de Charles VI. & à l’expérience du passé, pour sentir la force de cette réflexion, & d’une autre que nous avons faite plus haut. Loin de rassembler ces sortes de gens, il me semble qu’il seroit du bon ordre & de la salubrité, qu’ils fussent dispersés un à un comme les autres marchands.

De la vente des chairs. La bonne police doit veiller à ce que la qualité en soit saine, le prix juste, & le commerce discipliné.

En Grece, les Bouchers vendoient la viande à la livre, & se servoient de balance & de poids. Les Romains en userent de même pendant long-tems : mais ils assujettirent dans la suite l’achat des bestiaux & la vente de la viande, c’est-à-dire le commerce d’un objet des plus importans, à la méthode la plus extravagante. Le prix s’en décidoit à une espece de sort. Quand l’acheteur étoit content de la marchandise, il fermoit une de ses mains ; le vendeur en faisoit autant : chacun ensuite ouvroit à la fois & subitement, ou tous ses doigts ou une partie. Si la somme des doigts ouverts étoit paire, le vendeur mettoit à sa marchandise le prix qu’il vouloit : si au contraire elle étoit impaire, ce droit appartenoit à l’acheteur. C’est ce qu’ils appelloient micare ; & ce que les Italiens appellent encore aujourd’hui joüer à la moure. Il y en a qui prétendent que la mication des boucheries Romaines se faisoit un peu autrement : que le vendeur levoit quelques-uns de ses doigts ; & que si l’acheteur devinoit subitement le nombre des doigts ouverts ou levés, c’étoit à lui à fixer le prix de la marchandise, sinon à la payer le prix imposé par le vendeur.

Il étoit impossible que cette façon de vendre & d’acheter n’occasionnât bien des querelles. Aussi fut-on obligé de créer un tribun & d’autres officiers des boucheries ; c’est-à-dire d’augmenter l’inconvénient ; car on peut tenir pour maxime générale, que tant qu’on n’aura aucun moyen qui contraigne les hommes en place à faire leur devoir, c’est rendre un desordre beaucoup plus grand, ou pour le présent ou pour l’avenir, que d’augmenter le nombre des hommes en place.

La création du tribun & des officiers des boucheries ne supprima pas les inconvéniens de la mication :

elle y ajoûta seulement celui des exactions, & il en fallut revenir au grand remede, à celui qu’il faut employer en bonne police toutes les fois qu’il est praticable, la suppression. On supprima la mication & tous les gens de robe qu’elle faisoit vivre. L’ordonnance en fut publiée l’an 360, & gravée sur une table de marbre, qui se voit encore à Rome dans le palais Vatican. C’est un monument très-bien conservé. Le voici.

Ex auctoritate Turci Aproniani, V. C. præfecti urbis.

Ratio docuit, utilitate suadente, consuetudine micandi summotâ, sub exagio potius pecora vendere quam digitis concludentibus tradere ; & adpenso pecore, capite, pedibus & sevo lactante (mactanti) & subjugulari (subjugulanti) lanio cedentibus, reliqua caro cum pelle & iteraneis proficiat venditori, sub conspectu publico fide ponderis comprobatâ, ut quantum caro occisi pecoris adpendat & emptor norit & venditor, commodis omnibus, & prædâ damnatâ quam tribunus officium cancellarius & scriba de pecuariis capere consueverant. Quæ forma interdicti & dispositionis, sub gladii periculo perpetuo, custodienda mandatur.

« La raison & l’expérience ont appris qu’il est de l’utilité publique de supprimer l’usage de la mication dans la vente des bestiaux, & qu’il est beaucoup plus à propos de la faire au poids que de l’abandonner au sort des doigts : c’est pourquoi, après que l’animal aura été pesé, la tête, les piés & le suif appartiendront au Boucher qui l’aura tué, habillé & découpé ; ce sera son salaire. La chair, la peau & les entrailles seront au marchand Boucher vendeur, qui en doit faire le débit. L’exactitude du poids & de la vente ayant été ainsi constatées aux yeux du public, l’acheteur & le vendeur connoîtront combien pese la chair mise en vente, & chacun y trouvera son avantage. Les Bouchers ne seront plus exposés aux extorsions du tribun & de ses officiers ; & nous voulons que cette ordonnance ait lieu à perpétuité, sous peine de mort ».

Charlemagne parle si expressément des poids & du soin de les avoir justes, qu’il est certain qu’on vendoit à la livre dans les premiers tems de la monarchie. L’usage varia dans la suite, & il fut permis d’acheter à la main. La viande se vend aujourd’hui au poids & à la main, & les Bouchers sont tenus d’en garnir leurs étaux, selon l’obligation qu’ils en ont contractée envers le public, sous peine de la vie.

Les Bouchers sont du nombre de ceux à qui il est permis de travailler & de vendre les dimanches & fêtes : leur police demande même à cet égard beaucoup plus d’indulgence que celle des Boulangers, & autres ouvriers occupés à la subsistance du peuple. D’abord il leur fut enjoint d’observer tous les dimanches de l’année, & d’entre les fêtes celles de Pâques, de l’Ascension, de la Pentecôte, de Noël, de l’Epiphanie, de la Purification, de l’Annonciation, de l’Assomption, de la Nativité de la Vierge, de la Toussaint, de la Circoncision, du Saint-Sacrement, & de la Conception. Dans la suite, il leur fut permis d’ouvrir leurs étaux les dimanches depuis Pâques jusqu’à la Saint-Remi : le terme fut restraint, étendu, puis fixé au premier dimanche d’après la Trinité jusqu’au premier dimanche de Septembre inclusivement. Pendant cet intervalle ils vendent les dimanches & les fêtes.

Ces marchands sont encore assujettis à quelques autres regles de police, dont il sera fait mention ailleurs. Voyez les articles Tuerie, Viande, Échaudoir, Suif, Étal, &c.

* BOUCHERIE, s. f. (Police anc. & mod.) c’étoit chez les Romains, sous le regne de Néron, un grand bâtiment public élevé avec magnificence, où des marchands distribuoient la viande aux habitans. C’est de notre tems & dans nos villes de France, une rue