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celui de les employer : l’art de faire les caracteres se distribue en deux autres, celui de préparer les poinçons nécessaires pour la fonte des caracteres, & l’art de fondre ces caracteres à l’aide des poinçons.

On peut donc distribuer l’art d’imprimer en trois parties : l’art de graver les poinçons, premiere partie ; l’art de fondre les caracteres, seconde partie ; l’art d’en faire usage, auquel nous avons restraint le nom d’Imprimerie, troisieme partie.

Nous allons exposer ici l’art de graver les poinçons, & celui de fondre les caracteres. Quant à celui d’employer les caracteres, on le trouvera à l’article Imprimerie, avec l’historique détaillé de l’art entier.

De la Gravure des poinçons. On peut regarder les Graveurs des poinçons comme les premiers auteurs de tous les caracteres mobiles, avec lesquels on a imprimé depuis l’origine de l’Imprimerie : ce sont eux qui les ont inventés, corrigés & perfectionnés par une suite de progrès longs & pénibles, & qui les ont portés dans l’état où nous les voyons.

Avant cette découverte, on gravoit le discours sur une planche de bois, dont une seule piece faisoit une page, ou une feuille entiere : mais la difficulté de corriger les fautes qui se glissoient dans les planches gravées, jointe à l’embarras de ces planches qui se multiplioient à l’infini, inspira le dessein de rendre les caracteres mobiles, & d’avoir autant de pieces séparées, qu’il y avoit de figures distinctes dans l’écriture.

Cette découverte fut faite en Allemagne vers l’an 1440 ; l’utilité générale qu’on lui trouva, en rendit les succès très-rapides. Plusieurs personnes s’occuperent en même tems de sa perfection ; les uns s’unissant d’intérêt avec l’inventeur ; d’autres volant, à ce qu’on prétend, une partie du secret pour faire société à part, & enrichir l’art naissant de leur propres expériences ; de maniere qu’on ne sait pas au juste qui est le véritable auteur de l’art admirable de la Gravure des poinçons & de la Fonderie des caracteres, plusieurs personnes y ayant coopéré presqu’en même tems ; cependant on en attribue plus communément l’honneur à Jean Guttemberg, gentilhomme Allemand. Voyez l’article Imprimerie.

Les Graveurs de caracteres sont peu connus dans la république des Lettres. Par une injustice dont on a des exemples plus importans, on a attribué aux Imprimeurs qui ont fait les plus belles éditions, une réputation & des éloges que devoient au moins partager avec eux les ouvriers habiles qui avoient gravé les poinçons sur lesquels les caracteres avoient été fondus ; sans les difficultés de l’art typographique qui sont grandes, ce seroit comme si l’on eût donné à un Imprimeur en taille-douce la gloire d’une belle estampe, dont il auroit acheté la planche, & vendu au public des épreuves imprimées avec soin.

On a beaucoup parlé des Plantins, des Elzevirs, des Etiennes, & autres Imprimeurs, que la beauté & la netteté de leurs caracteres ont rendus célebres, sans observer qu’ils n’en étoient pas les auteurs, & qu’ils n’auroient proprement que montré l’ouvrage d’autrui, s’ils n’avoient travaillé à le faire valoir par les soins d’une impression propre & soignée.

Nous ne prétendons point ici déprimer l’art appellé proprement Typographique : il a ses regles, qui ne sont pas toutes faciles à bien observer, & sa difficulté qu’on ne parvient à vaincre que par une longue habitude du travail. Ce travail se distribue en plusieurs branches qui demandent chacune un talent particulier. Mais n’est-ce pas assez pour l’Imprimeur de la loüange qui lui revient du méchanisme de la composition, de la propreté de l’impression, de la pureté de la correction, &c. sans lui transporter encore celle qui appartient à des hommes qu’on a laissés dans l’oubli, quoiqu’on leur eût l’obligation de

ce que l’Imprimerie a de plus beau ? Car une chose qui doit étonner, c’est que les Écrivains qui ont fait en différens tems l’histoire de l’Imprimerie, qui en ont suivi les progrès, & qui se sont montrés les plus instruits sur cet objet, se sont fort étendus sur le mérite des Imprimeurs, sans presque dire un mot des Graveurs en caracteres ; quoique l’Imprimeur ou plûtôt le Typographe ne soit au Graveur, que comme un habile chanteur est à un bon compositeur de Musique.

C’est pour rendre à ces Artistes la gloire qui leur est dûe, que M. Fournier le jeune, lui-même habile Fondeur & Graveur en caracteres à Paris, en a fait mention dans un livre de modeles de caracteres d’Imprimerie, qu’il a publié en 1742. Il a mis au nombre de ceux qui se sont distingués dans l’art de graver les caracteres, Simon de Colines, né dans le village de Gentilly près Paris ; il gravoit en 1480 des caracteres romains, tels que ceux que nous avons aujourd’hui. Alde Manuce faisoit la même chose & dans le même tems à Venise. Claude Garamond, natif de Paris, parut en 1510, & porta ce travail au plus haut point de perfection qu’il ait jamais acquis, soit par la figure des caracteres, soit par la justesse & la précision avec lesquelles il les exécuta.

Vers le commencement de ce siecle on a perfectionné quelques lettres, mais on n’a rien ajoûté à l’exactitude & à l’uniformité que Garamond avoit introduites dans son art. Ce fut lui qui exécuta par ordre de François I. les caracteres qui ont tant fait d’honneur à Robert Etienne. Robert Granjean aussi de Paris, fils de Jean Granjean, Imprimeur & Libraire, grava de très-beaux caracteres grecs & latins ; il excella dans les caracteres italiques. Il passa à Lyon en 1570 ; il y travailla huit ans, au bout desquels il alla à Rome où le pape Gregoire XIII. l’avoit appellé.

Les caracteres de ce Graveur ont été plus estimés que ceux d’aucun de ses contemporains : ils étoient dans le même goût, mais plus finis. Les frappes ou matrices s’en sont fort répandues en Europe, & elles servent encore en beaucoup d’endroits.

Le goût de ces italiques a commencé à passer vers le commencement du dix-huitieme siecle : cette espece de révolution typographique fut amenée par les sieurs Granjean & Alexandre, Graveurs du roi, dont les caracteres servent à l’Imprimerie royale. En 1742, M. Fournier le jeune que nous avons déja cité avec éloge, les approcha davantage de notre maniere d’écrire, par la figure, les pleins & les déliés qu’il leur donna. Voyez l’article Italique.

Guillaume le Bé, né à Troies en Champagne vers l’an 1525, grava plusieurs caracteres, & s’appliqua principalement aux hébreux & rabbiniques : il travailla d’abord à Paris ; de-là il alla à Venise, à Rome, &c. Il revint à Paris où il mourut. Robert Etienne a beaucoup employé de ses caracteres dans ses éditions hébraïques.

Jacques de Sanlecque, né à Cauleu, dans le Boulonois en Picardie, commença dès son extrème jeunesse, à cultiver la Gravure en caracteres. Il travailloit vers l’an 1558 ; il y a bien réussi.

Jacques de Sanlecque son fils, né à Paris, commença par étudier les Lettres ; il y fit des progrès, & se rendit aussi digne successeur de son pere dans la Gravure. Sanlecque pere & fils étoient, en 1614, les seuls Graveurs qu’on eût à Paris. Le fils exécuta de très-belles notes de Plein-Chant & de Musique, plusieurs beaux caracteres, entre lesquels on peut nommer le plus petit qu’on connût alors à Paris, & que nous appellons la Pariscenne. Voyez Parisienne.

M. Fournier le jeune, juge très compétent, par la connoissance qu’il a & de son Art & de l’Histoire de cet Art, prononce séverement que depuis Sanlecque fils, jusqu’au commencement du dix-huitieme sie-