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toye parfaitement ; mettez la laine, après qu’elle aura bouilli le tems nécessaire, dans un filet, pour la laisser égoutter : prenez pour lors la moitié qui vous reste de votre eau de son, joignez-y vingt-quatre pintes d’eau commune, & faites-les bien bouillir ; dans le fort de la cuisson mettez-y la cochenille pulvérisée au plus fin, mêlée avec deux onces de tartre ; il faut remuer sans cesse ce mêlange pour l’empêcher de fuir : on y mettra la laine, on l’y fera bouillir pendant une heure & demie, en observant de la remuer, comme il a déjà été dit ; lorsqu’elle aura pris couleur, on la remettra dans un filet pour égoutter ; elle aura pour lors une belle couleur écarlate.

» Voici la maniere de tirer la laque ou le carmin de cette laine ainsi colorée. Prenez environ trente-deux pintes d’eau claire, faites-y fondre assez de potasse pour en faire une lessive fort acre ; purifiez cette lessive en la filtrant ; faites-y bouillir votre laine jusqu’à ce qu’elle ait perdu toute sa couleur, & soit devenue toute blanche, & que la lessive se soit chargée de toute sa teinture ; pressez bien votre laine, & passez la lessive par la chausse ; faites fondre deux livres d’alun dans de l’eau, versez cette solution dans la lessive colorée ; remuez bien le tout ; par cette addition la lessive se caillera & s’épaissira ; repassez-la à la chausse, elle sortira toute claire & pure : si elle étoit encore chargée de couleur, il faudroit la remettre bouillir, & y ajoûter encore de l’alun dissous ; elle achevera de se cailler, & le carmin ou la laque ne passera point, mais restera dans la chausse. On aura soin de verser à plusieurs reprises de l’eau fraîche par-dessus, pour achever d’en ôter l’alun ou les sels qui pourroient y être restés : on fait sécher ensuite la couleur, qu’on réserve pour l’usage, après l’avoir réduite en une poudre impalpable. Si dans l’opération on trouvoit que l’eau se fût trop diminuée par la cuisson, il faudra bien se garder d’y verser de l’eau froide ; mais il faut dans ce cas n’y mettre que de l’eau bouillante ».

Si on vouloit faire du carmin à moins de frais, & sans se donner la peine de commencer par teindre la laine, il n’y auroit qu’à faire bouillir dans la lessive susdite de la bourre tontisse de drap écarlate, & procéder en toutes choses de la maniere qu’on vient de décrire. Kunckel dit avoir souvent fait ces deux opérations & toûjours avec succès. Voyez ses remarques sur l’art de la Verrerie d’Antoine Néri, liv. VII.

On contrefait le carmin avec du bois de Brésil ou de Fernambouc ; on les pile pour cet effet dans un mortier, on les met tremper dans du vinaigre blanc ; on fait bouillir ces matieres, & l’écume qui en vient donne une espece de carmin : mais il n’approche nullement de la beauté de celui que nous venons d’indiquer. On tire aussi une couleur rouge des grains de kermès & de la garance. Voyez l’art. Rouge. (—)

CARMINA, (Géog.) île de l’Archipel, habitée par des Grecs & des Turcs, qui ne s’occupent qu’à la piraterie.

CARMINACH, ou CARMINIAH, (Géog.) ville d’Asie, dans la grande Tartarie, dans la contrée de Bochara. Long. 88. lat. 39. 30.

CARMINATIF, adj. (Méd.) nom que l’on a donné à certains médicamens, qui ont la vertu d’expulser les vents retenus dans la cavité de l’estomac & des intestins. Quincy pense que la promptitude avec laquelle ces remedes agissent, les a fait nommer carminatifs, qu’il tire du mot Latin carmen, vers ; parce que l’on loüoit en vers tout ce qui paroissoit surprenant, & tenant du charme ou de l’enchantement. On explique leur action par la raréfaction de l’air arrêté par une humeur visqueuse, placée dans l’estomac ou dans les intestins. Lorsque cette espece de digue est

rompue par quelque remede atténuant, alors l’air sort avec explosion & occasionne du bruit par haut ou par bas. Rien n’est plus capable de produire cet effet que les semences que l’on employe contre les vents, & que l’on appelle carminatives : telles sont les semences d’anis, de fenouil, de persil, &c. les eaux distillées de ces mêmes plantes, l’infusion de leurs fleurs, auxquelles on peut ajoûter celles de camomille, de mélilot, de matricaire & d’aneth. Leur nature chaude les rend très-propres à raréfier l’air, & à faire sur la membrane de l’estomac & des intestins, une petite irritation, & un petit mouvement capable de broyer ces humeurs visqueuses, & d’en détruire la ténacité. Voyez Vent). (N)

CARMONE, (Géog.) ville d’Espagne, dans l’Andalousie. Long. 12. 52. lat. 37. 24.

CARMONS ou CORMONS, (Géog.) petite ville d’Italie, dans le Frioul, près de la riviere d’Indri.

* CARNA, CARNE, ou CARDINEA, s. f. (Myth.) Déesse réverée chez les Romains. Elle présidoit à la conservation de la santé des parties intérieures du corps, & à l’embonpoint des autres. On lui sacrifioit le premier de Juin ; l’offrande étoit d’une bouillie de farine & de lard. Il étoit encore de son ministere d’écarter les esprits folets, qui tourmentoient les enfans au berceau. Voyez Esprits.

CARNACIER, adj. (Hist. nat.) épithete qu’on donne aux animaux qui se nourrissent naturellement de chair. Voyez Animal & Nourriture.

Les Physiciens sont en dispute sur la question, si l’homme est ou n’est pas naturellement carnacier : il y en a qui prétendent que les fruits de la terre étoient destinés seuls à le nourrir ; & que ç’a été le besoin dans quelques pays, & le luxe dans d’autres, qui les a portés à se nourrir des animaux auxquels ils ont tant de ressemblance. Pythagore & ses sectateurs regardoient cette action comme une grande impiété, & s’en abstenoient rigoureusement d’après l’opinion où ils étoient sur la métempsycose ; & les Bramines leurs successeurs continuent encore à en faire autant aujourd’hui. Voyez Abstinence, Brachmanes, &c.

La réflexion sur laquelle Gassendi insiste le plus, pour prouver que les hommes ne sont pas naturellement animaux carnaciers ; c’est la conformation de nos dents, dont il y en a plusieurs d’incisives & de molaires ; au lieu que nous n’avons de semblables aux animaux carnaciers, & propres à déchirer la chair, que les quatre canines ; comme si la nature nous avoit destinés plûtôt à couper des herbes, des racines, &c. Cette raison paroît assez foible. Mais on peut observer, que si nous nous nourrissons de viandes, ce n’est qu’après une préparation par coction, & en la mangeant, soit bouillie, soit rôtie, &c. & qu’alors même, suivant que l’observe le docteur Drake, elle est plus difficile à digérer que toutes les autres nourritures ; ce qui fait qu’on la défend dans les fievres & dans d’autres indispositions : enfin que les enfans ont de l’éloignement pour les viandes, jusqu’à ce que leur palais ait été vicié par l’habitude ; & que la maladie des vers à la quelle ils sont sujets, ne vient que de ce qu’on leur fait manger trop tôt de la viande.

Le docteur Wallis en apporte encore une autre preuve : c’est que les quadrupedes qui broutent les plantes, ont un long colum avec un cœcum à son extrémité inférieure, ou quelque chose d’équivalant, qui porte la nourriture de l’estomac en en-bas par un chemin fort long & fort large, par où la nature paroît avoir eu en vûe de rendre le passage des nourritures dans les intestins plus lent, & de les y faire arrêter plus long-tems ; au lieu que dans les animaux carnaciers, on ne trouve point de cœcum, mais on trouve en sa place un boyau plus court & plus grêle, par où il est évident que le passage de la nourriture doit se faire plus promptement. Or le cœcum