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de feu dont aucun ne peut être produit par quelque autre cause que ce soit ; de sorte qu’en quelque lieu & en quelque tems que nous remarquions quelques-uns de ces signes, nous en pouvons inférer l’action & la présence du feu.

Mais quoique l’effet ne puisse être sans cause, cependant le feu peut exister & demeurer caché sans produire aucun effet, c’est-à-dire, aucun de ces effets qui soient assez considérables pour affecter nos sens, ou pour en devenir les objets. Boerhaave ajoûte que c’est le cas ordinaire où se trouve le feu, qui ne peut produire de ces effets sensibles sans le concours de plusieurs circonstances nécessaires qui manquent souvent. C’est particulierement pour cela que nous voyons quelquefois plusieurs, & quelquefois tous les effets du feu en même tems, & d’autres fois un effet du feu accompagné de quelques autres, suivant les circonstances & les dispositions où se trouvent les corps : ainsi nous voyons quelquefois de la lumiere sans sentir de la chaleur, comme dans les bois & les poissons pourris, ou dans le phosphore hermétique. Il se peut même que l’une des deux soit au plus haut degré, & que l’autre ne soit pas sensible comme dans le foyer d’un grand miroir ardent exposé à la lune, où selon l’expérience qu’en fit le docteur Hooke, la lumiere étoit assez éclatante pour aveugler la meilleure vûe du monde, tandis que la chaleur y étoit imperceptible, & ne pouvoit opérer la moindre raréfaction sur un thermometre excellent. Voyez Lumiere.

D’un autre côté, il peut y avoir de la chaleur sans lumiere, comme nous le voyons dans les fluides qui ne jettent point de lumiere quoiqu’ils bouillent, & qui non-seulement échauffent & raréfient, mais aussi brûlent & consument les parties des corps. Il y a aussi des métaux, des pierres, &c. qui reçoivent une chaleur excessive avant de luire ou de devenir ignées ; bien plus, la plus grande chaleur imaginable peut exister sans lumiere ; ainsi dans le foyer d’un grand miroir ardent concave où les métaux se fondent & où les corps les plus durs se vitrifient, l’œil n’apperçoit aucune lumiere lorsqu’il n’y a point de ces corps à ce foyer ; & si l’on y posoit la main, elle seroit à l’instant réduite en cendre.

De même on a remarqué souvent de la raréfaction dans les thermometres pendant la nuit, sans voir de lumiere, & sans sentir de chaleur, &c.

Il paroît donc que les effets du feu dépendent de certaines circonstances qui concourent ensemble, & que certains effets demandent un plus grand ou un plus petit nombre de ces circonstances. Il n’y a qu’une chose que tous ces effets demandent en général ; savoir, que le feu soit amassé ou réduit dans un espace plus étroit : autrement, comme le feu est répandu par-tout également, il n’auroit pas plus d’effet dans un lieu que dans un autre : d’un autre côté cependant, il faut qu’il soit en état par sa nature d’échauffer, de brûler, & de luire par-tout ; & l’on peut dire en effet qu’il échauffe, brûle, & luit actuellement par-tout ; & dans un autre sens, qu’il n’échauffe, ne brûle, & ne luit nulle part. Ces expressions, par-tout, & nulle part, reviennent ici au même ; car sentir la même chaleur par-tout, signifie que l’on n’en sent point : il n’y a que le changement qui nous soit sensible ; c’est le changement seul qui nous fait juger de l’état où nous sommes, & qui nous fait connoître ce qui opere ce changement. Ainsi nos corps étant comprimés également de tous les côtés par l’air qui nous environne, nous ne sentons aucune compression nulle part ; mais dès que cette compression vient à cesser dans quelque partie de notre corps, comme lorsque nous posons la main sur la platine d’une machine pneumatique, & que nous pompons, nous devenons sensibles au poids de l’air.

L’amas ou la collection du feu se fait de deux façons : la premiere, en dirigeant & déterminant les corpuscules flotans du feu en lignes, ou traînées, que l’on appelle rayons, & poussant ainsi une suite infinie d’atomes ignés vers le même endroit, ou sur le même corps, de sorte que chaque atome porte son coup, & seconde l’effort de ceux qui l’ont précédé, jusqu’à ce que tous ces efforts successifs ayent produit un effet sensible. Tel est l’effet que produisent les corps que nous appellons lumineux, comme le soleil & les autres corps célestes, le feu ordinaire, les lampes, &c. qui, selon plusieurs de nos Physiciens, ne lancent point de feu tiré de leur propre substance ; mais qui par leur mouvement circulaire dirigent & déterminent les corpuscules de feu qui les environnent, à se former en rayons paralleles. Cet effet peut être rendu plus sensible encore par une seconde collection de ces rayons paralleles, en rayons convergens, comme on le fait par le moyen d’un miroir concave, ou d’un verre convexe, qui réunit tous ces rayons dans un point, & produit des effets surprenans. Voyez Miroir ardent, &c.

La seconde maniere de faire cette collection de feu ne consiste point à déterminer le feu vague, ou à lui donner une direction nouvelle, mais à l’amasser purement & simplement dans un espace plus étroit ; ce qui se fait en frottant avec vîtesse un corps contre un autre : à la vérité il faut que ce frottement se fasse avec tant de vîtesse, qu’il n’y ait rien dans l’air, excepté les particules flotantes du feu, dont l’activité soit assez grande pour se mouvoir avec la même promptitude, ou pour remplir à mesure les places vuides : par ce moyen le feu, le plus agile de tous les corps qu’il y ait dans la nature, se glissant successivement dans ces places vuides, s’amasse autour du corps mû, & y forme une espece d’atmosphere de feu.

C’est ainsi que les essieux des roues de charrettes & des meules, les cordages des vaisseaux, &c. reçoivent de la chaleur par le frottement, prennent feu, & jettent souvent de la flamme.

Ce que nous venons de dire suffit pour expliquer la circonstance commune à tous les effets du feu, savoir, la collection des particules. Il y a aussi plusieurs autres circonstances particulieres qui concourent avec celle-là : ainsi pour échauffer ou faire sentir la chaleur, il faut qu’il y ait plus de feu dans le corps chaud, que dans l’organe qui doit le sentir ; autrement l’ame ne peut être mise dans un nouvel état, ni se former une sensation nouvelle : & dans un cas contraire, savoir, quand il y a moins de feu dans l’objet intérieur que dans l’organe de notre corps, cet objet produit la sensation du froid.

C’est pour cela qu’un homme sortant d’un bain chaud, pour entrer dans un air médiocrement chaud, croit se trouver dans un lieu excessivement froid ; & qu’un autre sortant d’un air excessivement froid, pour entrer dans une chambre médiocrement chaude, croit se trouver d’abord dans une étuve : ce qui fait connoître que la sensation de la chaleur ne détermine en aucune façon le degré du feu ; la chaleur n’étant que la proportion ou la différence qu’il y a entre le feu de l’objet extérieur, & celui de l’organe.

A l’égard des circonstances qui sont nécessaires pour que le feu produise la lumiere, la raréfaction, &c. consultez les articles Lumiere, &c.

Les philosophes méchaniciens, & en particulier Bacon, Boyle, & Newton, considerent la chaleur sous un autre point de vûe : ils ne la conçoivent point comme une propriété originairement inhérente à quelque espece particuliere de corps, mais com-