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je mets à la place de l’attraction de cohésion des Newtoniens, attraction qui ne sauroit avoir lieu entre ces corps considérés comme matiere, puisque la matiere, le sujet des propriétés des corps n’est qu’un être abstrait, voyez Principes, & que les corps miscibles ne s’attirent entr’eux que selon certains rapports qui supposent nécessairement l’hétérogénéïté ; en un mot, par une propriété relative, & nullement par une propriété absolue. Voy. Rapport.

Je puis démontrer aussi que cette solubilité en acte, ou l’union chimique (aussi-bien que l’union aggrégative ou l’attraction physique) est sans cesse contre-balancée par la chaleur, & non pas alternée par la répulsion. Ainsi je differe des Newtoniens sur ce point à deux égards ; 1° parce que je connois la cause de la répulsion, qui est toûjours le feu ; 2° parce que je considere la cohésibilité & la chaleur comme deux agens qui se contre-balancent & qui peuvent se surmonter réciproquement ; au lieu que les Newtoniens considerent l’attraction & la repulsion comme deux phénomenes isolés, dont l’un commence quand l’autre finit. Voy. Feu, Miscibilité, Rapport.

Les rapports & la chaleur que nous avons substitués à l’attraction & à la repulsion des Physiciens modernes, sont les deux grands principes de tous les phénomenes de la Chimie.

Voilà les premiers linéamens de ce qu’on peut appeller sapientia chimica. Quelques demi-philosophes seront peut-être tentés de croire que nous nous sommes élevés aux généralités les plus hautes ; mais nous savons bien au contraire, que nous nous en sommes tenus aux notions qui découlent le plus immédiatement des faits & des connoissances particulieres, & qui peuvent éclairer de plus près la pratique.

En effet il ne seroit pas impossible de faire disparoître toutes ces distinctions que nous avons tant multipliées, tous ces aspects différens sous lesquels nous avons considéré les corps ; en jettant là-dessus un de ces coups d’œil supérieurs, dans lesquels on montre d’autant plus d’étendue dans le génie, qu’on identifie davantage les causes & les effets. Mais ces efforts nuiroient à la science-pratique dans tous ceux qui n’auroient, ni cette capacité de vûe qui sait embrasser & les plus grandes choses & les plus petites, ni cette aptitude qu’ont certains hommes extraordinaires, de concentrer dans les méditations les plus abstraites toutes leurs facultés intellectuelles, & de sortir de cette espece de léthargie philosophique où tous leurs sens sont pour ainsi dire suspendus, pour en reprendre l’usage avec plus de vivacité, les disperser avec avidité sur tous les objets qui les environnent, & se passionner de l’importante & curieuse minutie des détails.

Ce qui peut avoir quelque ressemblance éloignée avec ces hautes contemplations, dans ce que nous avons exposé plus haut, n’est qu’un simple résumé de réflexions suggérées par l’exercice immédiat des sens ; ce n’est que l’expérience de l’ouvrier décorée du vernis de la science. Exemple : dans une opération chimique on a toûjours l’aggrégation à rompre, & quelquefois la mixtion de certains corps à ménager ; donc une des premieres distinctions indiquées par l’habitude du laboratoire, c’est celle qui établit les caracteres respectifs de l’aggrégation & de la mixtion ; deux expressions premieres & fondamentales dans l’idiome chimique, qui fourniront seules dequoi énoncer scientifiquement, c’est-à-dire par leurs causes prochaines, tous les effets de la chaleur employée dans le traitement des différens corps. Ainsi la manœuvre dit : un certain degré de feu fond l’or, dissipe l’eau, calcine le plomb, fixe le nitre, analyse le tartre, le savon, un extrait, un animal,

&c. Et la science dit : un certain degré de feu lâche l’aggrégation de l’or, détruit celle de l’eau, attaque la mixtion du plomb & la composition du nitre, excite des réactifs dans le tartre, le savon, un extrait, un animal. La manœuvre & la science ont pareillement leur langage dans l’exposition des phénomenes de l’action des menstrues. La manœuvre dit : l’acide nitreux trop concentré n’attaque point l’argent, mais étendu d’une certaine quantité d’eau & excité par un certain degré de chaleur, il le dissout. La science dit : l’union aggrégative de l’acide concentré est supérieure à son rapport avec l’argent, & l’eau ajoûtée au menstrue relâche cette aggrégation que la chaleur relâche davantage encore, &c. La manœuvre ne généralisera jamais ; mais la science dira plus généralement ici : dans tout acte de dissolution, la tendance à l’union mixtive surmonte l’union aggrégative.

La Métaphysique n’a rien dit d’une maniere abstraite dans tous les principes que nous avons posés plus haut, qui ne puisse être traduit pour les objets particuliers en langage de manœuvre, comme nous venons de l’exécuter dans ces exemples, & réciproquement, &c.

Mais si la Chimie a dans son propre corps la double langue, la populaire & la scientifique, elle a entre les autres sciences naturelles sa maniere de concevoir, comme il est évident par ce que nous avons exposé ailleurs fort au long, & par ce que nous nous étions réservé d’ajoûter ici pour achever le tableau de la Chimie par ce qu’elle a de plus distingué ; c’est que la plûpart des qualités des corps que la Physique regarde comme des modes, sont des substances réelles que le chimiste sait en séparer, & qu’il sait ou y remettre, ou porter dans d’autres ; tels sont entre autres, la couleur, le principe de l’inflammabilité, de la saveur, de l’odeur, &c.

Qu’est-ce que le feu, dit le physicien ? n’est-ce pas un corps échauffé à un tel point qu’il jette de la lumiere en abondance ? car un fer rouge & brûlant, qu’est-ce autre chose que du feu ? & qu’est-ce qu’un charbon ardent, si ce n’est du bois rouge & brûlant ? Newton, Opt. quæst. 9. Cependant un charbon embrasé est aussi peu du feu, qu’une éponge imbibée d’eau est de l’eau ; car le chimiste peut aussi bien enlever au charbon, & montrer à part le principe de l’inflammabilité, c’est-à-dire le feu, qu’exprimer l’eau d’une éponge & la recevoir dans un vaisseau.

La couleur considérée dans le corps coloré est, pour le physicien, une certaine disposition de la surface de ce corps, qui le rend propre à renvoyer tel ou tel rayon ; mais pour le chimiste, la verdure d’une plante est inhérente à un certain corps résineux verd, qu’il sait enlever à cette plante ; la couleur bleue de l’argille est dûe à une matiere métallique qu’il en sait aussi séparer ; celle du jaspe, qui semble si parfaitement une avec cette substance fossile, en a pourtant été tirée & retenue, selon la fameuse expérience de Becher.

Une observation qu’il est à propos de faire, c’est que dans l’exposition des phénomenes de la couleur, le physicien & le chimiste disent seulement des choses différentes, mais non contradictoires. Le chimiste fait seulement un pas de plus ; & il en fera un second, si, quand vous lui demanderez en quoi consiste la couleur dans cette résine verte de la plante, ou dans cette substance métallique de l’argille, il n’en est pas encore réduit dans sa réponse à recourir à une certaine disposition occulte, & s’il connoît un corps, un être physique, une substance particuliere qu’il puisse assigner comme le sujet ou la cause de la couleur : or il connoît ce corps, savoir le phlogistique ; en un mot, tant qu’il est question des propriétés des mixtes, le chimiste en trouve la raison dans leurs principes ou dans la mixtion mê-