Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me, & il ne s’arrête jamais dans cette espece d’analyse que quand il en est aux élémens, c’est-à-dire à ces corps qu’il ne sait plus décomposer. V. Phlogistique, Feu, Inflammable, Saveur, Odeur, &c.

Nous avons regardé jusqu’à présent la Chimie comme la science générale des petits corps, comme une vaste source de connoissances naturelles ; l’application particuliere qu’on en a faite à différens objets, a produit les diverses branches de la Chimie & les différens arts chimiques. Les deux branches de la Chimie qui ont été cultivées le plus scientifiquement, & qui sont devenues par-là la base du travail, le vrai fonds d’expériences du chimiste philosophe, en même tems qu’elles ont été les deux premiers arts chimiques, sont l’art de préparer les médicamens, voyez Pharmacie, & celui de traiter les mines & de purifier les métaux, soit en grand soit en petit. Voyez Métallurgie, & Docimasie.

Les connoissances que la Chimie a fournies à la medecine rationnelle, peuvent faire regarder aussi la théorie medecinale tirée de ces connoissances, comme une branche de la Chimie, branche très-nécessaire au medecin dans l’état présent de la théorie de la medecine, soit pour l’admettre, soit pour la rejetter avec connoissance de cause, puisqu’elle est principalement fondée sur de prétendus changemens très chimiques des alimens & des humeurs. Nous avouerons cependant, quoiqu’à regret, que ces connoissances sont bien moins étendues, & sur-tout bien moins utiles à la medecine-pratique, que ne l’a prétendu Boerhaave (voyez Element. Chim. part. 2. usus chimiæ in medendo), chez qui l’on retrouve toûjours le dangereux projet de déduire toutes les vérités vraiment médicinales des connoissances physiques. Voyez Medecine.

C’est à dessein que nous ne parlons pas ici de l’Alchimie. Voyez Philosophie hermétique.

La verrerie ; la manufacture de porcelaine ; l’art des émaux ; la peinture sur le verre, qui n’est pas un art perdu malgré l’opinion publique ; la poterie ; la zimotechnie, ou l’art de disposer certaines substances végétales à la fermentation, qui comprend l’art de faire les vins ; l’art du brasseur, & celui du vinaigrier ; la halotechnie, ou l’art de préparer les sels ; la pyrotechnie, ou l’art des feux d’artifice ; celui du tanneur ; la manufacture du savon ; l’art des vernis ; celui de graver à l’eau-forte ; la teinture ; la préparation des cornes, des écailles, & des poils des animaux ; l’art du distillateur, celui du confiseur, & celui du limonadier, qui sont proprement trois branches de la Pharmacie ; l’art du boulanger, panificium ; la cuisine, &c. sont des arts tout chimiques. Voyez ces articles particuliers.

Outre ces arts dont nous venons de parler, & qui s’occupent essentiellement à exécuter certaines opérations chimiques, il est d’autres arts dont les opérations fondamentales ne sont pas chimiques, mais auxquels la Chimie fournit des secours essentiels. C’est dans des produits chimiques que la méchanique trouve ses principes de mouvement les plus efficaces, la poudre à canon, dont tout le monde connoit l’emploi, la vapeur de l’eau dans la pompe à feu, &c. Les couleurs les plus éclatantes & les plus durables qu’employe la Peinture, sont des présens de la Chimie, &c.

La branche la plus curieuse & la plus magique de la magie naturelle, est celle qui opére ses prodiges par les agens & sur les sujets chimiques. Les phosphores, l’inflammation des huiles par les acides, les poudres fulminantes, les effervescences violentes, les volcans artificiels, la production, la destruction, & le changement soudain des couleurs de certaines liqueurs, les précipitations & les coagu-

lations inespérées, &c. en négligeant même les prétentions

apparemment chimériques sur la divine pierre, les rajeunissemens, le petit homme de Paracelse, les miracles de la palingenésie, &c. toutes ces merveilles, dis-je, peuvent, dans ce siecle éclairé même, étonner bien des gens, au moins les amuser. Voyez Récréations chimiques.

Les arts chimiques étant liés à la Chimie générale comme à un tronc commun, il se présente ici deux questions très-importantes, ce me semble. 1°. Jusqu’à quel point chacun de ces arts peut-il être corrigé & perfectionné par la science chimique ? 2°. Combien la science chimique peut-elle être avancée à son tour par les connoissances particulieres puisées dans l’exercice de chacun de ces arts ?

Quant à la premiere question, il est évident que le chimiste le plus éclairé, le plus instruit, dirigera, réformera, perfectionnera un art chimique quelconque, avec un avantage proportionnel à ses connoissances générales, à sa science ; à condition néanmoins que sur l’objet particulier de cet art il aura acquis cette faculté de juger par sentiment, qui s’appelle coup d’œil chez l’ouvrier, & que celui-ci doit à l’habitude de manier son sujet ; car aucun moyen scientifique ne sauroit suppléer à cette habitude ; c’est un fait, une vérité d’expérience.

Quant à la seconde, la nécessité de se rendre familiers tous les procédés, toutes les opérations, toutes les manœuvres des arts chimiques, selon le conseil & l’exemple du grand Stahl ; elle nous paroît absolument indispensable pour le chimiste qui aspire à embrasser son art avec quelque étendue ; car non-seulement c’est un spectacle très-curieux, très-philosophique, que d’examiner combien les moyens chimiques sont variés & combinés dans leur application à des usages particuliers, & sous quelle forme le génie se présente chez les ouvriers, où il ne s’appelle que bon sens ; mais encore les leçons de ce bon sens, & l’industrie, l’aisance, l’expérience de l’ouvrier, sont des biens qu’il ne doit pas négliger. En un mot, il faut être artiste, artiste exercé, rompu, ne fût-ce que pour exécuter, ou pour diriger les opérations avec cette facilité, cette abondance de ressources, cette promptitude, qui en font un jeu, un délassement, un spectacle qui attache, & non pas un exercice long & pénible, qui rebute & qui décourage nécessairement par les nouveaux obstacles qui arrêtent à chaque pas, & sur-tout par l’incertitude des succès. Tous ces phénomenes isolés, ces prétendues bisarreries des opérations, ces variétés des produits, toutes ces singularités dans les résultats des expériences, que les demi-chimistes mettent sur le compte de l’art, ou des propriétés inconnues des matieres qu’ils employent, peuvent être attribuées assez généralement à l’inexpérience de l’artiste, & elles se présentent peu aux yeux du Chimiste exercé. Il n’arrivera que très-rarement à celui-ci, peut-être même ne lui arrivera-t-il jamais d’obtenir un certain produit, & de ne pouvoir jamais parvenir à le retirer une seconde fois des mêmes matieres. L’artiste dont nous parlons ne s’avisera jamais d’estimer les degrés de chaleur qu’il employe par le moyen des thermometres, ou la succession des gouttes dans une distillation, par la pendule à secondes ; il aura, comme disent très-sensément les ouvriers, son thermometre au bout des doigts, & son horloge dans la tête ; en un mot, il se dirigera dans toutes les manœuvres ordinaires, dans les opérations journalieres, sur des indices grossiers & sensibles, qui sont toûjours préférables à cause de leur commodité, tant qu’ils sont suffisans : or on parvient par l’habitude à estimer avec beaucoup de précision, par leur seul secours, la plûpart des phénomenes chimiques ; & toutes les mesures artificielles qu’on