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tés de l’équateur à distances égales : de plus, la chaleur même du soleil est différente dans ces climats. Ils sont plus près du soleil que nous dans leur été, & plus loin dans leur hyver. Voyez Chaleur.

L’illustre auteur de l’esprit des lois examine dans le XIV. livre de son excellent ouvrage, l’influence du climat sur les mœurs, le caractere, & les lois des peuples.

Après des détails physiques sur les effets du froid & du chaud, il commence par expliquer la contradiction qui se trouve dans le caractere de certains peuples. La chaleur, dit-il, donne d’un côté un corps foible, & de l’autre une imagination vive : voilà pourquoi les Indiens ont, à certains égards, tant de courage, & à d’autres tant de foiblesse. La foiblesse du corps rend naturellement paresseux ; de là l’attachement de ces peuples à leurs usages : cette foiblesse portant à fuir les travaux même nécessaires, les législateurs sages doivent au contraire par leurs lois encourager le travail, au lieu de favoriser l’indolence. C’est à la dévotion spéculative des pays chauds qu’on doit la naissance du Dervichisme. L’ivrognerie est un vice des pays froids. La loi de Mahomet en défendant aux Arabes de boire du vin, étoit en cela conforme à leurs coûtumes. Les lois contre les maladies qui ne sont pas particulieres à un climat, mais qui y sont transplantées, comme la peste, la lepre, la vérole, &c. ne sauroient être trop séveres. Le suicide en Angleterre est l’effet d’une maladie ; & si les lois civiles de quelques pays peuvent avoir eu des raisons pour flétrir le suicide, du moins en Angleterre on n’a dû le regarder que comme un effet de la démence ; dans ce même pays où le peuple se dégoûte si aisément de la vie, on sent bien que le gouvernement d’un seul eût été pernicieux, & que les lois doivent gouverner plûtôt que les hommes. Ce caractere d’impatience & d’inquiétude, est comme le gage de leur liberté. Nos peres les anciens Germains qui habitoient un climat froid, avoient des lois très-peu séveres sur la pudeur des femmes. Ce fut autre chose quand ils se virent transportés dans le climat chaud d’Espagne. Chez un peuple féroce comme les Japonois, les lois ne sauroient être trop dures, & le sont en effet : il en est & il en doit être autrement, chez des peuples d’un caractere doux, comme les Indiens.

Voilà en peu de mots ce que dit l’auteur sur les effets du climat, & dont quelques écrivains lui ont fait des reproches, comme s’il faisoit dépendre tout du climat ; tandis qu’au contraire son ouvrage n’est destiné qu’à exposer la multitude presque infinie de causes qui influent sur les lois & sur le caractere des peuples, & dont on ne peut nier que le climat ne soit une des principales. C’est là l’idée qu’on doit avoir de ce qu’on lit à ce sujet dans cet ouvrage, dans lequel il peut s’être glissé quelques propositions qui ont besoin d’être éclaircies, mais où l’on voit briller le philosophe profond, le citoyen vertueux. Notre nation lui a donné les applaudissemens qu’il méritoit, & les étrangers le regardent comme un ouvrage qui fait honneur à la France. (O)

Climat, (Med.) Les Medecins ne considerent les climats que par la température ou le degré de chaleur qui leur est propre : climat, dans ce sens, est même exactement synonyme à température ; ce mot est pris par conséquent dans un sens beaucoup moins vaste que celui de région, pays, ou contrée, par lequel les Medecins expriment la somme de toutes les causes physiques générales ou communes, qui peuvent agir sur la santé des habitans de chaque pays ; savoir la nature de l’air, celle de l’eau, du sol, des alimens, &c. Voyez Eau, Sol, Régime. Toutes ces causes sont ordinairement si confusément combinées avec la température des diverses

contrées, qu’il est assez difficile de saisir quelques phénomenes de l’œconomie animale, qui ne dépendent uniquement que de cette derniere cause. Ce ne sera pas cependant une inexactitude blâmable, que de lui attribuer certains effets dont elle est vraissemblablement la cause prédominante. Ainsi on peut avancer avec beaucoup de fondement, que c’est du climat que dépendent les différences des peuples, prises de la complexion générale ou dominante de chacun, de sa taille, de sa vigueur, de la couleur de sa peau & de ses cheveux, de la durée de sa vie, de sa précocité plus ou moins grande relativement à l’aptitude à la génération, de sa vieillesse plus ou moins retardée, & enfin de ses maladies propres ou endémiques.

On ne sauroit contester l’influence du climat sur le physique des passions, des goûts, des mœurs. Les plus anciens medecins avoient observé cette influence ; & les considérations de cette classe sont des objets si familiers aux Medecins, que si l’auteur de l’esprit des lois avoit pû supposer que leur doctrine sur cette matiere fût assez répandue, il auroit pû se contenter d’assûrer que les lois, les usages, le genre de gouvernement de chaque peuple, avoient un rapport nécessaire avec ses passions, ses goûts, ses mœurs, sans se donner la peine de déterminer le rapport de ces passions, de ces goûts, de ces mœurs, avec sa constitution corporelle dominante, & l’influence du climat. Les lumieres supérieures de l’auteur l’ont pourtant sauvé de l’écueil presque inévitable, pour les talens même les plus distingués qui s’exercent sur des sujets qui leur sont étrangers. La partie médicinale des observations de l’auteur de ce livre sur les climats, mérite l’éloge des Medecins. Voyez le XIV. livre de l’esprit des lois.

Mais en nous attachant principalement aux affections corporelles de chaque nation relativement au climat sous lequel elle vit, les principales questions de Medecine qui se présentent sur cette matiere, se réduisent à celles-ci, 1°. quel est le tempérament, la taille, la vigueur, & les autres qualités corporelles particulieres à chaque climat ? Une réponse détaillée appartient proprement à l’histoire naturelle de chaque pays. Voy. les articles particuliers. On a cependant assez généralement observé, que les habitans des climats chauds étoient plus petits, plus secs, plus vifs, plus gais, communément spirituels, moins laborieux, moins vigoureux ; qu’ils avoient la peau moins blanche, qu’ils étoient plus précoces, qu’ils vieillissoient plûtôt, & qu’ils vivoient moins que les habitans des climats froids : que les femmes des pays chauds étoient moins fécondes que celles des pays froids ; que les premieres étoient plus jolies, mais moins belles que les dernieres ; qu’une blonde étoit un objet rare dans les climats chauds, comme une brune dans les pays du nord, &c. que dans les climats très-chauds, l’amour étoit dans les deux sexes un desir aveugle & impétueux, une fonction corporelle, un appétit, un cri de la nature, in furias ignesque ruunt ; que dans les climats tempérés il étoit une passion de l’ame, une affection refléchie, meditée, analysée, systématique, un produit de l’éducation ; & qu’enfin dans les climats glacés, il étoit le sentiment tranquille d’un besoin peu pressant.

Au reste, tant de causes physiques & morales cooperent dans tout ceci, que les observations que nous venons de faire, ne doivent pas être regardées comme générales & constantes.

Par exemple à Paris, sous un climat beaucoup plus froid que celui des provinces méridionales de France, les filles sont plûtôt formées (puberes) que dans ces provinces, & devancent sur-tout de beaucoup celles des campagnes des environs de Paris,