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après Moliere, qui a le mieux saisi la nature ; avec cette différence que nous croyons tous avoir apperçu les traits que nous peint Moliere, & que nous nous étonnons de n’avoir pas remarqué ceux que Dufreni nous fait appercevoir.

Mais combien Moliere n’est-il pas au-dessus de tous ceux qui l’ont précédé, ou qui l’ont suivi ? Qu’on lise le parallele qu’en a fait, avec Terence, l’auteur du siecle de Louis XIV. le plus digne de les juger, la Bruyere. Il n’a, dit-il, manqué à Térence que d’être moins froid : quelle pureté ! quelle exactitude ! quelle politesse ! quelle élégance ! quels caracteres ! Il n’a manqué à Moliere que d’eviter le jargon, & d’écrire purement : quel feu ! quelle naïveté ! quelle source de la bonne plaisanterie ! quelle imitation des mœurs ! & quel fléau du ridicule ! mais quel homme on auroit pû faire de ces deux comiques !

La difficulté de saisir comme eux les ridicules & les vices, a fait dire qu’il n’étoit plus possible de faire des comédies de caracteres. On prétend que les grands traits ont été rendus, & qu’il ne reste plus que des nuances imperceptibles : c’est avoir bien peu étudié les mœurs du siecle, que de n’y voir aucun nouveau caractere à peindre. L’hypocrisie de la vertu est-elle moins facile à démasquer que l’hypocrisie de la dévotion ? le misantrope par air est-il moins ridicule que le misantrope par principes ? le fat modeste, le petit seigneur, le faux magnifique, le défiant, l’ami de cour, & tant d’autres, viennent s’offrir en foule à qui aura le talent & le courage de les traiter. La politesse gase les vices ; mais c’est une espece de draperie légere, à-travers laquelle les grands maîtres savent bien dessiner le nud.

Quant à l’utilité de la comédie morale & décente, comme elle l’est aujourd’hui sur notre théatre, la révoquer en doute, c’est prétendre que les hommes soient insensibles au mépris & à la honte ; c’est supposer, ou qu’ils ne peuvent rougir, ou qu’ils ne peuvent se corriger des défauts dont ils rougissent ; c’est rendre les caracteres indépendans de l’amour propre qui en est l’ame, & nous mettre au-dessus de l’opinion publique, dont la foiblesse & l’orgueil sont les esclaves, & dont la vertu même a tant de peine à s’affranchir.

Les hommes, dit-on, ne se reconnoissent pas à leur image : c’est ce qu’on peut nier hardiment. On croit tromper les autres, mais on ne se trompe jamais ; & tel prétend à l’estime publique, qui n’oseroit se montrer s’il croyoit être connu comme il se connoît lui-même.

Personne ne se corrige, dit-on encore : malheur à ceux pour qui ce principe est une vérité de sentiment ; mais si en effet le fond du naturel est incorrigible, du moins le dehors ne l’est pas. Les hommes ne se touchent que par la surface ; & tout seroit dans l’ordre, si on pouvoit réduire ceux qui sont nés vicieux, ridicules, ou méchans, à ne l’être qu’au-dedans d’eux-mêmes : C’est le but que se propose la comédie ; & le théatre est pour le vice & le ridicule, ce que sont pour le crime les tribunaux où il est jugé, & les échafauds où il est puni.

On pourroit encore diviser la comédie relativement aux états, & on verroit naître de cette division, la comédie dont nous venons de parler dans cet article, la pastorale & la féerie : mais la pastorale & la féerie ne méritent guere le nom de comédie que par une sorte d’abus. Voyez les articles Féerie & Pastorale. Cet article est de M. de Marmontel.

* Comédie, (Hist. anc.) La comédie des anciens prit différens noms, relativement à différentes circonstances dont nous allons faire mention.

Ils eurent les comédies Atellanes, ainsi nommées d’Atella, maintenant Aversa, dans la Campanie : c’étoit un tissu de plaisanteries ; la langue en étoit

Oscique ; elle étoit divisée en actes ; il y avoit de la musique, de la pantomime, & de la danse ; de jeunes Romains en étoient les acteurs. Voy. Atellanes.

Les comédies mixtes, où une partie se passoit en récit, une autre en action ; ils disoient qu’elles étoient partim stataria, partim motoria, & ils citoient en exemple l’Eunuque de Térence.

Les comédies appellées motoriæ, celles où tout étoit en action, comme dans l’Amphitrion de Plaute.

Les comédies appellées palliatæ, où le sujet & les personnages étoient Grecs, où les habits étoient Grecs ; où l’on se servoit du pallium : on les appelloit aussi crepidæ, chaussure commune des Grecs.

Les comédies appellées planipediæ, celles qui se joüoient à piés nuds, ou plûtôt sur un théatre de plain-pié avec le rez-de-chaussée.

Les comédies appellées prætextatæ, où le sujet & les personnages étoient pris dans l’état de la noblesse, & de ceux qui portoient les togæ-prætextæ.

Les comédies appellées rhintonicæ, ou comique larmoyant, qui s’appelloit encore hilaro tragedia, ou latina comedia, ou comedia italica. L’inventeur en fut un bouffon de Tarente nommé Rhintone.

Les comédies appellées statariæ, celles où il y a beaucoup de dialogue & peu d’action, telles que l’Hecyre de Terence & l’Asinaire de Plaute.

Les comédies appellées tabernariæ, dont le sujet & les personnages étoient pris du bas peuple, & tirés des tavernes. Les acteurs y joüoient en robes longues, togis, sans manteaux à la Greque, palliis. Afranius & Ennius se distinguerent dans ce genre.

Les comédies appellées togatæ, où les acteurs étoient habillés de la toge. Stephanius fit les premieres ; on les soûdivisa en togatæ proprement dites, prætextatæ, tabernariæ, & Atellanæ. Les togatæ tenoient proprement le milieu entre les prætextatæ & les tabernariæ : c’étoient les opposées des palliatæ.

Les comédies appellées trabeatæ : on en attribue l’invention à Caïus Melissus. Les acteurs y paroissoient in trabeis, & y joüoient des triomphateurs, des chevaliers. La dignité de ces personnages si peu propres au comique, a répandu bien de l’obscurité sur la nature de ce spectacle.

Comédie sainte, (Hist. mod. théat.) Les comédies saintes étoient des especes de farces sur des sujets de piété, qu’on représentoit publiquement dans le quinzieme & le seizieme siecle. Tous les historiens en parlent.

Chez nos dévots ayeux le théatre abhorré
Fut long-tems dans la France un plaisir ignoré.
De pélerins, dit-on, une troupe grossiere
En public à Paris y monta la premiere,
Et sottement zélée en sa simplicité
Joüa les Saints, la Vierge, & Dieu par piété.

Art poétiq.

La fin du regne de Charles V. ayant vû naître le chant royal, genre de poésie de même construction que la ballade, & qui se faisoit en l’honneur de Dieu ou de la Vierge, il se forma des sociétés qui, sous Charles VI. en composerent des pieces distribuées en actes, en scenes, & en autant de différens personnages qu’il étoit nécessaire pour la représentation. Leur premier essai se fit au bourg Saint-Maur ; ils prirent pour sujet la passion de Notre-Seigneur. Le prevôt de Paris en fut averti, & leur défendit de continuer : mais ils se pourvûrent à la cour ; & pour se la rendre plus favorable, ils érigerent leur société en confrairie, sous le titre des confreres de la passion de Notre-Seigneur. Le roi Charles VI. voulut voir quelques-unes de leurs pieces : elles lui plurent, & ils obtinrent des lettres patentes du 4 Décembre 1402, pour leur établissement à Paris. M. de la Mare