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serviroit de pieces authentiques, & qu’on ne pourroit se servir d’écritures privées qu’elles ne fussent signées de trois témoins.

Par sa novelle 49. il mit deux exceptions à cette loi pour les écritures privées, qu’il permit d’employer pour pieces de comparaison, lorsqu’elles étoient produites par celui contre lequel on vouloit se servir de pieces de comparaison ; ou lorsque l’écriture privée étoit tirée d’un dépôt public.

Mais par sa novelle 73. il restraignit tellement l’usage de la preuve par comparaison d’écritures, qu’il est vrai de dire que son intention étoit qu’on y eût peu d’égard, du moins en matiere civile.

Dans la préface de cette novelle, il dit que quelques-uns de ses prédécesseurs avoient admis cette preuve, que d’autres l’avoient rejettée ; que ces derniers en avoient reconnu l’abus, en ce que les faussaires s’exerçoient à contrefaire toute sortes d’écritures ; & qu’on ne peut bien juger de la qualité d’un acte faux par le seul rapport qu’il a avec un acte véritable, attendu que la fausseté n’est autre chose que l’imitation d’une chose vraie ; qu’il avoit lui-même reconnu les inconvéniens de cette preuve, étant arrivé qu’en Arménie un contrat d’échange tenu pour faux par les experts, fut néanmoins reconnu véritable par tous les témoins qui l’avoient signé.

La disposition de cette novelle est assez compliquée : l’empereur défend de vérifier aucune piece par comparaison d’écritures, si la piece que l’on veut faire vérifier n’est signée de trois témoins dignes de foi, ou d’un notaire, ou de deux témoins sans reproche, ou du moins si elle n’est passée en présence de trois témoins irreprochables. Il veut de plus que le notaire & les témoins qui auront signé avec la partie, reconnoissent leur signature au bas de l’acte : que si le notaire reconnoît la sienne, en ce cas c’est une piece publique, qui n’a point besoin d’être vérifiée par comparaison : que si c’est un acte signé de trois témoins, ou seulement écrit en leur présence sans être signé d’eux, ou même s’il est reçû par un notaire en présence de deux témoins, mais que le notaire soit depuis décédé, ou ne soit plus en état de déposer ; en ce cas Justinien veut qu’outre la vérification par comparaison d’écritures, les témoins qui ont signé reconnoissent tous leur seing, & qu’en outre soit qu’ils ayent signé ou non, ils déposent si l’écriture vérifiée par experts a été faite en leur présence de la même main dont les experts ont jugé qu’elle étoit écrite : que si les témoins & le notaire ne sont plus vivans, leur signature soit vérifiée ainsi que celle de la partie : que si l’acte ne se trouve pas signé du nombre de personnes publiques ou de témoins qui est ordonné, la seule comparaison d’écritures ne sera jamais suffisante pour que l’on y ajoûte foi ; & qu’en ce cas, après la vérification faite, le juge s’en rapportera au serment décisoire de la partie qui veut se servir de la piece contestée. Enfin la novelle ajoûte encore que si les contrats sont de peu d’importance, ou passés à la campagne, on n’y desire pas ces formalités ; mais qu’à l’égard de tous les autres, la seule comparaison d’écritures ne suffit pas pour y faire ajoûter foi ; & la raison qu’en donne la loi, c’est que la ressemblance des écritures est trop suspecte, que c’est une voie qui a souvent induit en erreur, & que l’on ne doit pas s’y rapporter tant que l’on ne voit pas de meilleure preuve.

Les interpretes du droit ont tous parlé de la comparaison d’écritures, conformément à la novelle 73. & entre autres Cujas, qui tient que la simple comparaison d’écritures ne fait point de foi, qu’elle ne peut être regardée au plus que comme une semi-preuve qui peut obliger le juge de déférer le serment à la partie qui soûtient la vérité de l’acte ; & que pour faire preuve il faut que le rapport des experts soit

appuyé de la signature des témoins & de leur déposition.

Il y a beaucoup de docteurs qui pensent que dans les cas mêmes portés par la novelle 73. on doit encore être fort reservé sur la foi qu’on ajoûte à la ressemblance des écritures : d’autres vont jusqu’à dire qu’elle ne fait pas toûjours une semi-preuve ; & quelques-uns enfin nient qu’elle fasse même la plus legere présomption.

Il est néanmoins certain dans notre usage que la preuve par comparaison d’écritures est admise, tant en matiere civile qu’en matiere criminelle.

Elle est admise en matiere civile par l’ordonnance d’Orléans, art. 145. par celle de 1539, art. 92. par celle de Charles IX. du mois de Janvier 1565 ; & enfin par l’ordonnance de 1667, tit. xij. art. 5.

La forme en est reglée pour les matieres civiles par cette derniere ordonnance : il y est dit que les reconnoissances & vérifications d’écritures privées se feront partie présente ou dûement appellée, pardevant le rapporteur, ou s’il n’y en a point, pardevant l’un des juges qui sera commis sur une simple requête, pourvû, & non autrement, que la partie contre laquelle on prétend se servir des pieces soit domiciliée ou présente au lieu où l’affaire est pendante, sinon que la reconnoissance se fera devant le juge royal ordinaire du domicile de la partie ; & que s’il échet de faire quelque vérification, elle sera faite pardevant le juge où le procès principal est pendant.

Les pieces & écritures dont on poursuit la reconnoissance ou vérification, doivent être communiquées à la partie en présence du juge ou commissaire.

Faute par le défendeur de comparoir à l’assignation, on donne défaut contre lui, pour le profit duquel si on prétend que l’écriture soit de sa main, elle est tenue pour reconnue ; & si elle est d’une autre main, on permet de la vérifier tant par témoins, que par comparaison d’écritures publiques ou authentiques.

La vérification par comparaison d’écritures se fait par experts sur les pieces de comparaison dont les parties conviennent, & à cette fin on les assigne au premier jour.

Enfin si au jour de l’assignation l’une des parties ne compare pas, ou ne veut pas nommer des experts, la vérification se fait sur les pieces de comparaison par les experts nommés par la partie présente, & par ceux qui seront nommés par le juge au lieu de la partie refusante & défaillante.

Telles sont les formalités prescrites par l’ordonnance de 1667, pour les vérifications d’écritures privées par pieces de comparaison en matiere civile.

Cette preuve étoit aussi admise en matiere criminelle chez les Romains, du moins en matiere de faux, comme il paroît par une loi de l’empereur Constantin, qui est la seconde au code Théodosien, & la vingt-deuxieme dans le code Justinien, ad legem Corneliam de falsis.

M. Le Vayer de Boutigny célebre avocat au parlement, & depuis maître des requêtes, a fait une savante dissertation dans la cause fameuse de Jean Maillart, où il s’attache d’abord à faire voir en général qu’il y a peu de certitude dans la comparaison d’écritures, & qu’elle ne fait pas seule preuve, même en matiere civile : il prétend qu’elle ne doit point avoir lieu, sur-tout en matiere criminelle ; qu’elle n’a été admise par aucune loi dans ces sortes de matieres ; que la loi n’y admet que trois sortes de preuves, savoir la preuve par titres, la preuve par témoins, & les indices indubitables & plus clairs que le jour.