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qu’il n’y ait à la peau qu’on enchaussene pas un endroit où le cuiret n’ait passé & n’ait laissé de la chaux. Cette précaution est de conséquence. A mesure qu’on met les peaux en chaux, on les met en pile. Il n’y a plus de danger à les mettre en pile, car les peaux ne s’échauffent plus quand elles sont enchausnées ou enchaussenées ; mais tout ce qui n’a pas été enchaussené se pourrit.

Pour mettre en pile, voici comment on s’y prend. Quand une peau est enchaussenée, on la plie en deux selon sa longueur, c’est-à-dire que les deux parties de la tête sont appliquées l’une sur l’autre, & les deux parties de derriere pareillement l’une sur l’autre, chair contre chair. On met à terre cette peau ainsi pliée ; on en enchaussene une seconde qu’on plie comme la premiere, & qu’on pose sur elle, & ainsi de suite. Une centaine de peaux fournit trois à quatre tas ou piles, selon qu’elles sont plus ou moins fortes de laine. Le ployement des peaux se fait par deux ouvriers. On laisse les peaux en pile ou tas à terre, passer enchaussenées, une huitaine entiere, ou même une dixaine de jours, si elles ont été travaillées seches ; il ne faut que deux jours, si elles étoient fraîches.

Au bout de ce tems on les déchaussene ; pour cet effet, on les enleve du tas une à une, on les ouvre, on les plie en sens contraire à celui selon lequel elles étoient pliées, c’est-à-dire par le milieu, mais toûjours laine contre laine, de maniere que la laine de la tête soit contre la laine de la queue ; on a de l’eau nouvelle toute prête ; on passe chaque peau pliée comme nous venons de dire, dans cette eau, & on l’y agite jusqu’à ce que la chaux qui n’est pas encore séchée sur elle, en soit entierement détachée.

Quand la chaux a été emportée par l’eau, on plie la peau selon sa longueur, c’est-à-dire de maniere que le pli traverse la tête & la queue, & que la chair soit contre la chair, & on la met sur un treteau pour égoutter. On continue de déchaussener, de plier & de mettre en pile sur le treteau. On ne peut guere déchaussener plus d’un cent dans la même eau ; au reste ceci dépend beaucoup de la grandeur des timbres. On prend ordinairement de l’eau nouvelle à chaque cent ; d’où l’on voit combien il est avantageux à un Chamoiseur de travailler sur une riviere où l’eau change sans cesse.

Quand les peaux sont toutes déchaussenées, on les laisse égoutter sur les treteaux le tems à-peu près qu’il faut pour tirer de l’eau nouvelle ; ce tems suffit pour que l’eau qui s’égoutte entraîne avec elle le gros de ce qui reste de chaux. Après cela, on les prend sur les treteaux, on les laisse pliées, & on les met ainsi une à une dans l’eau nouvelle, & on les lave précisément comme le linge, en frottant une partie de la peau contre une autre. Le but de ce lavage est d’ôter de dessus la laine la portion d’eau de chaux dont elle pourroit être chargée.

Quand une peau a été ainsi lavée, on la met étendue sur les treteaux, & ainsi de suite ; on y en forme un tas qu’on laisse égoutter jusqu’au lendemain : le lendemain, s’il fait beau, on prend les peaux dessus les treteaux, & on les expose au soleil à terre, sur des murs, la laine tournée du côté du soleil ; cette manœuvre n’est pas indifférente, la laine en devient beaucoup plus douce & plus marchande. On ne laisse les peaux exposées au soleil qu’environ une heure, quand il fait chaud.

C’est alors le tems de dépeler : on entend par dépeler, enlever la laine. Pour cet effet on prend une peau, on la place sur le chevalet sur lequel on l’a retalée ; & avec le même fer on en fait retomber toute la laine, qui se détache si facilement qu’un ouvrier peut dépeler vingt douzaines en un jour, & qu’on ne passe le fer qu’une fois pour dépeler.

Quand la laine est abattue, on l’étend sur le grenier pour la faire sécher. Cette laine est appellée laine de plie. Elle reste plus ou moins sur le grenier, selon la saison : il ne faut que huit jours en été ; en hyver il faut quelquefois quinze jours, ou même un mois. L’hyver est cependant la saison où l’on tue le plus de moutons, & où le Chamoiseur dépele davantage. Quand la laine est seche, elle se vend au Drapier, sans recevoir aucune autre préparation.

Quand les peaux ont été dépelées, elles prennent le nom de cuirees, & on les jette en plains. Les plains sont des fosses rondes ou quarrées dont le côté a cinq piés (Voyez de ces fosses en A B D, Pl. du Mégissier.) : leur profondeur est de quatre piés. On y met environ un muid de chaux, & on les remplit d’eau environ aux deux tiers. On y jette douze douzaines de cuirets les uns après les autres ; on les y étend ; on les enfonce dans la chaux avec un instrument qu’on voit Pl. du Mégiss. fig. 4. & qu’on appelle un enfonçoir ; c’est un quarré de bois emmanché d’un long bâton. Toute cette manœuvre s’appelle coucher en plain.

On les laisse dans le plain pendant quatre, cinq à six jours, puis on les en tire ; ce qui s’appelle lever. Plus on leve souvent, mieux on fait. Pour lever, on prend les tenailles, on saisit les peaux (Voyez ces tenailles, même Pl. fig. 8.) ; on les tire ; on les jette sur des planches mises sur les bords du plain : on les laisse sur ces planches quatre jours, au bout desquels on les recouche : on réitere cette opération pendant le cours de deux mois, ou deux mois & demi ; mais on observe au bout de ce tems de les coucher dans un autre plain neuf. Il ne faut pas mettre les peaux dans le plain aussi-tôt qu’il est fait ; c’est une regle générale, la chaleur de la chaux les brûleroit : quand on a préparé un plain, il faut donc attendre toûjours, avant que d’y jetter les peaux, au moins deux jours, tems qui lui suffit pour se refroidir.

Après ce travail de deux mois & demi, les peaux tirées des plains pour n’y plus rentrer, sont mises à l’eau, & rincées de chaux. On a de l’eau fraîche, & on les lave dans cette eau. Il y a des ouvriers qui ne rincent point, mais ils n’en font pas mieux. Après que les peaux ont été rincées de chaux, on les effleure. Cette opération de rincer & d’effleurer se fait sur chaque peau l’une après l’autre : on tire une peau du plain, on la rince, & on l’effleure, puis on passe à une autre.

Effleurer, c’est passer le fer sur le côté où étoit la laine : cette opération s’exécute sur le chevalet avec un fer tranchant, & qu’on appelle fer à effleurer : celui dont on s’est servi jusqu’à présent s’appelle fer à tenir. L’effleurage consiste à enlever la premiere pellicule de la peau. Cette pellicule s’enleve plus ou moins facilement : il y a des cuirets qui se prêtent avec tant de peine au couteau, qu’on est obligé de les raser. Effleurer, c’est passer le couteau sur la peau légerement, & menant le tranchant circulairement & parallélement au corps tout le long de la peau ; raser au contraire, c’est appuyer le couteau fortement, couché de plat sur la peau, & le conduire dans une direction oblique au corps, comme si l’on se proposoit de couper & d’enlever des pieces de la peau. Les ouvriers, pour désigner la qualité des peaux difficiles à effleurer, & qu’ils sont obligés de raser, disent qu’elles sont creuses. Les moutons creux ont le grain gros, & la surface raboteuse. Il y en a de si creux, qu’on est obligé de les raser tous ; tels sont les grands moutons. Un ouvrier ne peut guere effleurer que quatre douzaines par jour ; mais s’il étoit obligé de raser toutes les peaux, il n’en finiroit guere que deux douzaines dans sa journée.

Quand les peaux sont effleurées, on les met à l’eau : pour cet effet on a un timbre plein d’eau nouvelle ;