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on les jette dans cette eau ; on les en tire pour les travailler sur le chevalet avec le fer à écharner. Cette opération s’appelle écharner : elle se donne du côté de la chair, ou côté opposé à celui de la laine : elle consiste à en détacher des parcelles de chair en assez petite quantité. On écharne jusqu’à dix douzaines par jour.

Après cette façon on leur en donne encore trois autres ; deux consécutives du côté de la fleur, & une du côté de la chair ; observant avant chacune de les passer dans l’eau nouvelle : toutes se donnent sur le chevalet, & toûjours avec le même dernier fer : elles s’appellent façons de fleur, façons de chair, selon les côtés où elles se donnent.

Voici le moment d’aller au foulon. Si on a la quantité nécessaire de peaux pour cet effet, on y va : cette quantité s’appelle une coupe ; la coupe est de vingt douzaines. Ce terme vient de l’espece d’auge du moulin à fouler où l’on met les peaux. Il y a des moulins où il y a jusqu’à quatre coupes : il y a deux maillets dans chaque coupe. Ces maillets sont taillés en dents à la surface qui s’applique sur les peaux : ce sont des pieces de bois très-fortes ou blocs à queue ; une roue à eau fait tourner un arbre garni de camnes ; ces camnes correspondent aux queues des maillets, les accrochent, les élevent, s’en échappent, & les laissent retomber dans la coupe. Voilà toute la construction de ces moulins, qui different très-peu, comme on voit, des moulins à foulon des Drapiers. Voyez l’article Drap.

Pour faire fouler les peaux, on les met dans la coupe en pelote de trois ou quatre : pour faire la pelote, on met les peaux les unes sur les autres, on les roule : on les tient roulées en noüant les pattes & les têtes, & en passant les deux autres extrémités de la peau sous ce nœud : on jette ensuite ce nœud dans les coupes qui contiennent jusqu’à 20 douzaines de peaux. On laisse les pelotes sous l’action des pilons pendant deux heures ou environ ; au bout de ce tems on les retire de la coupe : on a des cordes tendues dans un pré à la hauteur de quatre piés ; on disperse les peaux sur ces cordes, & on leur donne un petit évent ou vent blanc ; c’est-à-dire qu’on les y laisse exposées à l’air un peu de tems, un quart d’heure, un demi-quart-d’heure. Il faut, comme on voit, avoir du beau tems ou des étuves : ces étuves ou chambres chaudes ont au plancher & de tous côtés des clous à crochet, auxquels on suspend les peaux jusqu’au nombre de trente douzaines. Ces chambres sont échauffées par de grands poêles.

Après ce premier petit vent blanc, on leve les peaux de dessus les cordes ; tant qu’elles ont de l’eau, on dit qu’elles sont en tripes ; & quand elles commencent à s’en dépouiller, on dit qu’elles se mettent en cuir. Quand on les a levées de dessus les cordes, on les porte dessus une table pour leur donner l’huile. On se sert de l’huile de poisson. On ne la fait point chauffer. On a cette huile fluide dans une chaudiere ; on trempe sa main dedans ; puis la tenant élevée au-dessus de la peau, on en laisse dégoutter l’huile dessus : on la promene ainsi par-tout, afin que la peau soit par-tout arrosée de l’huile degouttante des doigts. Pour mettre bien en huile, il faut environ quatre livres d’huile par chaque douzaine de peau. Il n’y a point d’acception sur le côté de la peau ; on l’arrose d’huile par le côté qui se présente.

A mesure qu’on donne l’huile aux peaux, on les remet en pelotes de quatre peaux chacune ; & on jette les pelotes dans la coupe du foulon, où elles restent exposées à l’action des maillets pendant environ trois heures ; au bout de ce tems on les retire, & on leur donne sur les cordes un second vent un peu plus fort que le premier : il est d’un bon quart-d’heure.

Au bout de ce quart-d’heure on leve de dessus les cordes, on remet en pelotes, & on jette les pelotes dans la coupe pour la troisieme fois, où elles restent encore deux heures ; puis on les retire, & on leur donne une rosée d’huile sur la même table, & semblable à la premiere qu’elles ont reçûe ; après cette rosée on remet en pelotes & on les fait fouler pendant trois heures.

Au bout de ces trois heures on les retire encore de la coupe ; on les étend sur des cordes, où on leur donne encore un vent un peu plus fort que le précédent : au sortir de dessus les cordes, & après avoir été remises en pelotes, on les foule encore pendant trois heures ou environ. On continue la foule & les vents alternativement jusqu’à huit vents, observant de donner immédiatement avant le dernier vent la troisieme rosée d’huile. Après le huitieme vent, qui est d’une ou de deux heures, il n’y a plus de foule.

Il faut ménager les vents qui précedent le dernier avec beaucoup d’attention : s’ils étoient trop forts ou trop longs, les peaux se vitreroient, ou deviendroient trop dures ; qualité qui les rendroit mauvaises. Les endroits foibles sont plus exposés que le reste à se vitrer : mais si l’ouvrier étoit négligent, la peau se vitreroit par-tout.

Au sortir de la foule, & après le dernier vent, on met les peaux en échauffe. Mettre les peaux en échauffe, c’est en former des tas de vingt douzaines, & les laisser s’échauffer dans cet état. Pour hâter & conserver cette chaleur, on enveloppe ces tas de couvertures, de façon qu’on n’apperçoit plus de peaux. C’est alors qu’il faut veiller à son ouvrage ; si on le néglige un peu, les peaux se brûleront, & sortiront des tas noires comme charbon. On les laisse plus ou moins en échauffe, selon la qualité de l’huile & la saison. Elles fermentent tantôt très-promptement, tantôt très-lentement. La différence est au point qu’il y en a qui passent le jour en tas sans prendre aucune chaleur ; d’autres qui la prennent si vîte, qu’il faut presque les remuer sur le champ. On s’apperçoit à la main que la chaleur est assez grande pour remuer. Remuer les peaux, c’est en refaire de nouveaux tas en d’autres endroits, retournant les peaux par poignées de huit à dix, plus ou moins. Leur chaleur est telle, que c’est tout ce que l’ouvrier peut faire que de la supporter.

On couvre les nouveaux ou le nouveau tas, & on fait jusqu’à sept ou huit remuages. On remue tant qu’il y a lieu de craindre à la force de la chaleur, qu’elle ne soit assez grande pour brûler les peaux. On laisse entre chaque remuage plus ou moins de tems, selon la qualité de l’huile : il y en a qui ne permet de repos qu’un quart-d’heure, d’autre davantage. Après cette manœuvre, les peaux sont ce qu’on appelle passées : pour les passer, on les a débarrassées de leur eau ; il s’agit maintenant pour les finir de les débarrasser de leur huile.

Pour cet effet, on prépare une lessive avec de l’eau & des cendres gravelées : il faut une livre de cendres gravelées par chaque douzaine de peaux. On fait chauffer l’eau au point de pouvoir y tenir la main ; trop chaude elle brûleroit les peaux : quand la lessive a la chaleur convenable, on la met dans un cuvier, & on y trempe les peaux ; on y jette à la fois tout ce qu’on en a ; on les y remue ; on les y agite fortement avec les mains ; on continue cette manœuvre le plus long-tems qu’on peut, puis on les tord avec la bille.

La bille est une espece de manivelle, telle qu’on la voit Pl. du Chamoiseur, fig. 5. cette manivelle est de fer : le coude & le bras BCD sont perpendiculaires à la queue AB : AB a environ a piés de longueur ; CD un pié & demi ; l’ouverture du coude BF, 4 pouces ; le tout va un peu en diminuant depuis la